Dans un article célèbre intitulé Nocturne , J. Carbonnier rappelait que dans les sociétés anciennes le droit s'arrêtait à la tombée du jour, celle-ci étant une trêve dans la continuité juridique. La vie sociale, économique et juridique est aujourd'hui continue, ce dont M. Abdemamazack Makhfi a fait les frais : la majeure partie du deuxième jour des débats de son procès pour viols et vol en réunion devant la Cour d'Assises du Maine et Loire se sont en effet déroulés la nuit.
A une heure du matin le deuxième jour des débats, l'avocat de M. Makhfi dépose des conclusions aux fins de suspension de l'audience : "Les droits de la défense ne sont pas respectés lorsque les défenseurs des accusés sont contraints de plaider après 15 h de débats et que la durée des débats peut encore être estimée à plus de 4h." La Cour refuse cependant cette suspension au motif que d'autres ont déjà été accordées et que les conseils de la partie civile et de son coaccusé veulent poursuivre. Les débats continuent donc jusqu'à 6h15 (avec une interruption de 25 minutes), l'avocat plaidant vers 5h. Les débats du "marathon judiciaire" de M. Makhfi ont donc duré 15h45 le 3 décembre et 17h15 le 4 décembre.
Le verdict de la Cour d'Assises, rendu à 8h15 le 5 décembre 1998, reconnaît M. Makhfi coupable et le condamne à 8 ans d'emprisonnement.
En conséquence de quoi M. Makhfi forme un pourvoi en Cassation, dont le deuxième moyen repose sur la violation des droits de la défense. La Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 janvier 2000 rejette son pourvoi au visa de l'article 307 du Code de procédure pénale. Elle rappelle sa jurisprudence traditionnelle : "Il appartient souverainement au Président des assises ou, en cas d'incident contentieux, à la Cour, de décider si une suspension d'audience est nécessaire ou non au repos des juges et de l'accusé."
M. Makhfi saisit alors la CEDH, sa requête reposant sur la violation des art 6 § 1 et 3 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. La France oppose à M. Makhfi deux arguments : le requérant n'explique pas en quoi en l'espèce le fait de plaider à une heure tardive aurait rendu son procès inéquitable, et elle rappelle qu'il y avait eu de nombreuses suspensions au cours des deux jours de débats. Selon elle, le Ministère public, le conseil du coaccusé de M. Makhfi et celui du requérant ont donc plaidé dans les même conditions
La CEDH doit donc statuer sur la question de savoir si les conditions dans lesquelles le procès de M. Makhfi s'est déroulé ont violé les règles procédurales contenues aux articles 6 § 1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Dans un arrêt du 19 octobre 2004, la CEDH, statuant en une formation collégiale de 7 juges (J.P Costa étant parmi eux), reconnaît à l'unanimité que les articles 6 § 1 et 3 de la Convention EDH ont été violés. La Cour est en effet d'avis qu'"il est primordial que, non seulement les accusés mais également leurs défenseurs, puissent suivre les débats, répondre aux questions et plaider en n'étant pas dans un état de fatigue excessif. De même, il est crucial que les juges et jurés bénéficient de leurs pleines capacités de concentration et d'attention pour suivre les débats et rendre un jugement éclairé."
Cet arrêt de la CEDH est une démonstration topique de la volonté de cette dernière de protéger les droits de l'Homme de façon effective et concrète (I), mais cet arrêt n'enjoint pas à la France de modifier son droit interne, ce qui limite sa portée. (II)
[...] Makhfi France; CEDH octobre 2004 Dans un article célèbre intitulé Nocturne[1], J. Carbonnier rappelait que dans les sociétés anciennes le droit s'arrêtait à la tombée du jour, celle-ci étant une trêve dans la continuité juridique. La vie sociale, économique et juridique est aujourd'hui continue, ce dont M. Abdemamazack Makhfi a fait les frais : la majeure partie du deuxième jour des débats de son procès pour viols et vol en réunion devant la Cour d'Assises du Maine et Loire se sont en effet déroulés la nuit. [...]
[...] La Cour protège les droits de l'Homme de façon effective et concrète La Cour adopte une démarche combinatoire 1. Le requérant et le défendeur s'affrontent sur le terrain de l'égalité des armes. Le principe d'égalité des armes, tel qu'il a été défini par la CEDH dans son arrêt Dombo Beheer Pays Bas du 27 octobre 1993, est "l'obligation [pour l'état] d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause [ ] dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire" Le requérant aussi bien que la France situent leurs argumentations en grande partie sur ce terrain, même s'il font l'un et l'autre référence à d'autres principes que sont le procès équitable et les droits de la défense. [...]
[...] réexamen juin RDH 001, Bourisse), - la violation de l'article 6 & 1 de la Convention consistant pour la Cour de cassation à avoir privé le demandeur au pourvoi, qui n'avait pas déféré au mandat d'arrêt décerné contre lui, du droit d'exercer un recours ou du droit d'accès à un tribunal (Comm. réexamen janvier 2002, 01 RDH 006, Van Pelt ; 14 mars 2002, 01 RDH 007, Omar ; 26 septembre RDH 008, Khalfaoui), - la violation de l'article 6 & 1 de la Convention consistant pour la Cour de cassation en la communication au seul avocat général de l'intégralité du rapport du conseiller rapporteur et l'absence de communication au condamné des conclusions de l'avocat général (Comm. réexamen mai RDH 010, Slimane Kaïd). [...]
[...] Conclusion La règle de droit romain contenue dans la loi des XII Tables Solis occasus suprema tempestas esto que le coucher du soleil soit le terme du temps, ne s'est pas transmise jusqu'à nous. Il n'existe pas en droit positif français de droit à la suspension des audiences nocturnes, et les situations de violation flagrante du droit à un procès équitable, des droits de la défense et du droit à l'égalité des armes du type de celle subie par M. Makhfi peuvent donc se reproduire. [...]
[...] France en droit interne? II. Un arrêt d'espèce qui n'impose pas à la France l'obligation positive de modifier son droit interne L'existence d'un problème structurel en France 1. M. Makhfi est loin d'être un cas isolé en France. Certains tribunaux manquent en effet de moyens. Ainsi la 17ème Chambre du Tribunal de Bobigny siège 6 jours sur 7 et les débats durent presque toujours au-delà de minuit. D. [...]
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