« La définition de l'élément intentionnel du crime d'empoisonnement continue à alimenter la jurisprudence et à exciter l'imagination des commentateurs. A cet égard, l'arrêt du 2 juillet 1998 tient une place de choix » Véron.
Le litige était né des faits suivants. Deux individus qui avaient une relation sentimentale avaient des rapports sexuels protégés. L'homme demanda à sa partenaire de faire un test de séropositivité, qui s'avéra négatif. Il refusa de se soumettre au même test et lui assura qu'il n'était pas séropositif. Or, il était sidaïque et soigné pour cette maladie. Par la suite, le couple eut des rapports sexuels non protégés, et sa partenaire attrapa le virus du sida.
L'affaire fut portée devant les tribunaux. Par un arrêt du 17 décembre 1997, la chambre d'accusation de la Cour d'appel d'Aix en Provence renvoya le prévenu devant la Cour d'assises sous l'accusation d'empoisonnement, au motif que connaissant le mode de transmission du sida, « virus d'une maladie mortelle », il aurait délibérément contaminé sa partenaire. La Cour énonce en outre que « l'intention d'empoisonner se caractérise par le fait de vouloir transmettre des substances mortifères en connaissance de cause, quel que soit le mode de transmission », et que « le fait d'inciter sa partenaire à ne plus se protéger lors des rapports sexuels alors qu'il avait connaissance qu'elle n'était pas porteuse du virus suffit à caractériser l'intention d'homicide ». Le prévenu forme alors un pourvoi en cassation contre cette décision.
La controverse porte ici sur la nature de l'élément moral du crime d'empoisonnement. L'empoisonnement suppose-t-il l'intention de donner la mort ?
La cour de cassation, après avoir énoncé que « l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence », casse l'arrêt pour motifs contradictoires. Elle juge que « la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit pas à caractériser l'intention d'homicide. ». Elle casse, annule la décision de la chambre d'accusation et renvoie l'affaire devant la Cour d'appel de Montpellier.
L'arrêt invite donc à étudier l'élément intentionnel du crime d'empoisonnement. Nous verrons dans un premier temps que la solution de la Cour d'appel présente, contradictoirement, les deux conceptions de l'élément moral du crime d'empoisonnement (I). Mais si la haute juridiction casse l'arrêt pour contradiction et insuffisance de motifs, elle ne prend pas nettement position sur la définition de l'élément intentionnel (II).
[...] Alors que dans la première proposition, celui qui attente à la vie d'autrui doit juste administrer une substance dont il connaît le caractère mortifère, l'acte doit ici être accompli en plus avec l'intention de tuer. Il s'assimile alors à un meurtre. La motivation de la cour d'appel est donc contradictoire, puisqu'elle évoque deux conceptions de l'élément moral. Elle ne tranche finalement pas la question de savoir si l'intention de tuer est requise ou non pour caractériser l'intention d'homicide. La cour de cassation casse donc sa décision pour contradiction de motifs. [...]
[...] Or, dans son premier attendu, la Cour de cassation énonce que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence Il conviendra donc d'étudier la contradiction dans les motifs de la chambre d'accusation et au-delà de cette contradiction, l'insuffisance des motifs allégués Une condition préalable indispensable Dans sa motivation, la chambre d'accusation énonce tout d'abord que l'intention d'empoisonner se caractérise par le fait de vouloir transmettre des substances mortifères en connaissance de cause, quelque soit le mode de transmission Cette conception de l'élément intentionnel caractérise l'infraction formelle, qui se consomme par l'emploi de la substance mortifère en connaissance de cause. L'infraction formelle est indifférente au résultat, elle est réalisée et consommée par l'acte qui l'accomplit, par l'administration de la substance. Dès lors, dans cette conception, l'intention d'homicide est inexistante. L'auteur de l'empoisonnement ne recherche pas forcément la mort de la victime, son intention est juste de lui administrer le produit mortifère. Le résultat de l'acte ne faisant pas partie de la matérialité de l'infraction, la volonté d'obtenir ce résultat ne peut pas en faire partie. [...]
[...] En effet, la Cour déclare non criminelle toute contamination délibérée avec une substance mortifère, dès que la volonté de tuer n'est pas établie. Mais finalement, si cet arrêt est tant critiquable, c'est essentiellement parce qu'il méconnaît la logique de l'infraction formelle. La solution fait ici entrer le résultat dans l'infraction alors que celle- ci, par son caractère formel, est indifférente à la mort. Il importe peu que celle-ci soit effectivement atteinte. Cette jurisprudence contrarie la logique même de l'infraction formelle dont la criminalité tient au seul comportement. [...]
[...] C'est pourquoi elle énonce que la seule connaissance ( ) ne suffit pas à caractériser l'intention d'homicide Mais elle ne mentionne pas les éléments supplémentaires qui pourraient établir cette intention de tuer. Finalement, la cour de cassation ne tranche pas. II- Le silence de la Cour de cassation sur la définition de l'élément intentionnel Alors que la Cour de cassation était fortement invitée à exposer sa définition de l'élément intentionnel du crime d'empoisonnement, afin de fixer la jurisprudence ultérieure, elle n'a pas tranché et s'est contentée de casser l'arrêt sans donner d'éléments de solution. [...]
[...] Par conséquent, la définition de l'intention n'est pas posée. Cet arrêt est un banal arrêt de censure, qui ne constitue qu'une petite avancée vers l'exigence d'une intention de tuer. Il fut beaucoup commenté et critiquée par des auteurs déçus de ce flou. Un arrêt critiquable dont la portée est limitée Cet arrêt fut notamment critiqué pour sa rédaction, qui n'explicite par la position de la cour de cassation. Sa portée est limitée dans la mesure où il admet juste le fait que, pour un malade du Sida, d'avoir des relations sexuelles non protégées, n'est pas constitutif du crime d'empoisonnement. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture