Cet arrêt de la Cour de Cassation réunie en Assemblée Plénière en date du 15 avril 1988 est relatif aux éventuelles difficultés naissant lors de la qualification d'un bien en meuble ou en immeuble. La qualité d'immeuble par destination d'un bien est plus précisément au coeur de l'arrêt.
En l'espèce, des fresques anciennes ornant le mur d'une église ayant été désaffectée et qui ont fait l'objet d'un détachement du reste de l'édifice sont l'objet d'une action en revendication. L'église est la propriété indivise de quatre personnes. Seules deux d'entres elles ont consenti la vente des fresques à un acquéreur qui les a détachées du mur à l'aide d'un procédé particulier. Les deux co-indivisaires n'ayant pas donné leur accord à l'opération souhaite récupérer les fresques qui sont alors réparties en deux lots distincts. L'un est en la possession d'un musée suisse (la ville de Genève) tandis que l'autre est entre les mains d'une fondation d‘un particulier.
Les deux co-indivisaires ont entamé une action en revendication devant le Tribunal de grande instance de Perpignan. Les défendeurs soulevaient l'incompétence territoriale de la juridiction française. Le jugement a qualifié les fresques d'immeuble, l'action était donc bien une revendication immobilière dont pouvait connaître le juge français (le juge du lieu de situation de l'immeuble litigieux). Les défendeurs ont alors formé un contredit devant la Cour d'appel de Montpellier qui l'a rejeté (dans un arrêt rendu le 18 décembre 1984) au motif que les fresques étaient passées de la qualité d'immeuble par nature à celle d'immeuble par destination avec la découverte d'un procédé permettant leur détachement. Les co-indivisaires n'ayant pas consenti au détachement, les fresques ont conservé toute leur nature immobilière. En concluant à la nature immobilière du bien, objet de la revendication, les juridictions françaises restent compétentes territorialement.
Deux pourvois sont formés, l'un par la ville de Genève et l'autre par la fondation, tous les deux ayant en leur possession les fresques litigieuses.
La Cour de Cassation a alors à se demander si les fresques ont conservé leur qualité initiale d'immeuble après avoir été détaché de leur support?
La solution qualifie le type d'action de revendication à engager ainsi que par la même occasion les juridictions territorialement compétentes. Si les fresques sont des immeubles par destination, il s'agit d'une action en revendication immobilière relevant de la compétence des juridictions françaises (lieu de situation de l'immeuble) ; alors que si les fresques ne sont que meubles, l'action en revendication mobilière devra être portée devant les juridictions helvétiques (lieu de domiciliation du défendeur)
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier au motif que les fresques initialement immeubles par nature n'ont pu devenir que des meubles suite à l'opération de détachement de leur support. Elle vise l'article 524 du Code civil (violé par l'arrêt de la Cour d'appel) relatif aux immobilisations par destination, l'arrêt pose rigoureusement les conditions cumulatives d'une telle immobilisation qui en l'espèce ne sont pas remplies. Seuls les biens meubles peuvent être qualifiés d'immeubles par destination à la condition d'avoir été affecté à perpétuelle demeure par la volonté de leur propriétaire.
Cet arrêt présente une solution rigoureuse de l'Assemblée Plénière qui en rejetant la qualification immobilière des fresques, enlève aux juridictions françaises la faculté de restituer dans le patrimoine français des fresques qui à l'origine lui appartenait. Face à la solution de la Cour d'appel imaginant cette fiction juridique probablement en raison d'une question d'opportunité, la Cour de cassation choisit ici une application stricte du droit et de la qualification de meuble et d'immeuble. Cette solution et son attendu de principe permettent de renseigner sur l'appréciation des conditions pour qu'un bien puisse être considéré comme immobilisé par destination.
Les conditions de l'immobilisation par destination ne sont pas remplies : le bien censé être immobilisé par destination n'a jamais eu la qualité de meuble (I.) et le rapport de destination entre les deux biens ne peut être établi de manière satisfaisante (II.).
[...] Cette solution est sévère, l'Assemblée plénière a fait une stricte application du droit en appliquant fidèlement les conditions de l'immobilisation fixées par l'article 524 du Code civil. Les fresques n'ont jamais été véritablement un meuble et seule l'immobilisation par destination d'un meuble est possible. Par ailleurs, les fresques n'ont jamais fait l'objet d'une affectation matérielle à perpétuelle demeure émanant de la volonté de ses propriétaires. La réponse de l'Assemblée Plénière pour prononcer la cassation de l'arrêt rendu en appel se démarque par sa brièveté alors que la Cour d'appel de Montpellier avait rendu un arrêt très argumenté pour justifier un raisonnement qui pouvait apparaître a priori comme surprenant. [...]
[...] La fresque était un immeuble par nature, elle faisait partie intégrante de l'édifice. Elle a été peinte directement sur le plâtre du mur à l'aide d'une technique picturale dénommée "alla fresca" (ou à la fraîche littéralement) consistant en l'application de différentes couches sur le mur jusqu'à une totale confusion entre la fresque et le support constitué par le mur. La fresque ne peut alors existée sans le mur, les deux ne forment qu'un. La fresque n'a pas préexisté à l'édifice, elle est née de l'imagination de son auteur. [...]
[...] Cette solution et son attendu de principe permettent de renseigner sur l'appréciation des conditions pour qu'un bien puisse être considéré comme immobilisé par destination. Les conditions de l'immobilisation par destination ne sont pas remplies : le bien censé être immobilisé par destination n'a jamais eu la qualité de meuble et le rapport de destination entre les deux biens ne peut être établi de manière satisfaisante (II.) I. Le défaut de qualité mobilière du bien antérieure à une immobilisation par destination Les biens litigieux, objets de la revendication étaient avant leur détachement de leur support des immeubles par nature. [...]
[...] La Cour de cassation ne suit pas l'argumentation mise en relief par la Cour d'appel. Le bien immeuble par nature est devenu suite au détachement de son support initial un meuble. Elle relève qu'à aucun moment les propriétaires n'ont eu la volonté d'affecter les fresques à l'immeuble à perpétuelle demeure. Les fresques n'ont jamais eu la qualité de meuble, les propriétaires par conséquent n'ont jamais pu exprimer leur volonté de l'affecter tel un accessoire à l'immeuble principal. Elles faisaient parties intégrantes de l'édifice jusqu'à une confusion entre les deux éléments. [...]
[...] La fresque détachée de son support devient alors bien un meuble au sens de l'article 532. Il a donc été mis en évidence que pour rejeter la nature immobilière des fresques détachées et plus précisément leur immobilisation par destination, la Cour de cassation s'est appuyée sur le principe que seul un meuble peut devenir un tel immeuble. Or en l'espèce, les fresques n'ont à aucun moment eu la qualité de meuble. Ce bien n'a pu donc être soumis au régime de l'article 524 du Code civil puisque a aucun moment il n'a été lui- même meuble. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture