Cour de cassation assemblée plénière 7 juillet 2006, arrêt Césaréo, forclusion substantielle de Motulsky, concentration des moyens, changement du moyen de droit, seconde demande en justice, enrichissement sans cause, cohéritiers, article 1355 du Code civil, triple identité, notion d'autorité de la chose jugée, article 122 du Code de procédure civile, moyen de droit, moyen de fait, arrêt Legrand contre France
Dans le cas d'espèce Gilbert Césaréo travaille sans rémunération au service de son père. Après le décès de ce dernier, lui et son frère René sont désignés comme les deux seuls cohéritiers. Se prétendant titulaire d'une créance de salaire différé sur la succession de son père, Gilbert Césaréo a, sur ce fondement, assigné son frère, pris en sa qualité de seul cohéritier du défunt, en paiement d'une somme d'argent. Un premier jugement rejette sa demande au motif que l'activité professionnelle litigieuse n'avait pas été exercée au sein d'une exploitation agricole. Face à ce jugement, Gilbert assigne de nouveau son frère en paiement de la même somme, mais cette fois sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
[...] C'est une sanction particulièrement sévère : la demande est rejetée « sans examen au fond » selon les termes de l'article 122. Elle apparait presque comme une sanction du comportement du demandeur, ce qui apparait notamment en ce que la Cour souligne que le demandeur s'était « abstenu » de soulever son moyen « en temps utile » : la terminologie est évocatrice et les juges soulignent que le demandeur a volontairement adopté un comportement passif, là où il aurait dû être actif au moment propice de la procédure. [...]
[...] Les juges déduisent alors que le demandeur « ne pouvait être admis à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile ». Autrement dit, le principe de concentration des moyens imposait que le demandeur soulève directement, « en temps utile », les moyens de droit lui permettant de contester l'identité de cause des deux demandes retenues par les juges. Or il ne l'a pas fait : il a donc violé le principe de concentration des moyens de droit. [...]
[...] Or la cause est ce qui permet de délimiter le champ de ce sur quoi le juge s'est prononcé, et donc le champ de l'autorité de la chose jugée : cette dernière renvoie à un attribut du jugement liant les parties sur ce qui a été décidé sur le juge et empêchant une nouvelle demande, hors voies de recours, sur ce qui a déjà été jugé. Le champ de ses composantes est donc essentiel : plus il est large, plus l'autorité de la chose jugée s'impose facilement et plus les parties sont privées de réitérer une demande en justice pour la même affaire. [...]
[...] Autrement dit, les juges de cassation assimilent l'objet de la demande à la cause de la demande. Avec cette jurisprudence la cause de la demande est le moyen de fait qui fonde la demande, et non pas le moyen de droit. Or c'est en réalité un débat qui a longtemps animé la jurisprudence que de savoir quel est le contenu exact de la notion de cause de la demande. En effet selon une jurisprudence longtemps constante, notamment admise par la chambre des requêtes le 16 juillet 1928, la cause de la demande était assimilée au fondement juridique invoqué. [...]
[...] C'est effectivement ce qui semble ressortir des faits de l'espèce dans la mesure où Gilbert Césaréo, après avec assigné son frère René Césaréo sur un premier fondement juridique et avoir été débouté, l'a de nouveau assigné sur un second fondement. Les deux frères sont donc deux parties que l'on retrouve dans la première et dans la seconde demande. L'arrêt poursuit également en notant que la seconde demande « tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière ». Le demandeur, bien que variant son fondement de droit, avait en effet à deux reprises agi dans le même but. [...]
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