Cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 3 juillet 1996 est relatif à la question de l'absence de cause, cause de nullité dans les contrats synallagmatiques et notamment aux éléments qui doivent être retenus dans l'appréciation de la cause.
En l'espèce, un couple de particuliers avait passé un contrat de location avec une société locatrice de cassettes vidéo avec l'intention d'ouvrir dans leur commune un établissement de location pour ces produits. Un litige est né entre les 2 parties. Le contrat fut annulé pour défaut de cause par la cour d'appel de Grenoble dans un arrêt daté du 7 mars 1994. La cour d'appel a prononcé la nullité de ce contrat au motif que certes "le mobile déterminant" (c'est-à-dire la raison interne qui avait poussé le couple à s'engager était la certitude que les cassettes seraient ensuite sous louées). Or, les juges du fond retiennent l'élément suivant, la commune où le commerce devait être exercé est faiblement peuplée, l'objectif d'exploitation de leur « point club vidéo » qu'ils s'étaient fixés ne pourrait jamais être atteint.
Un pourvoi en cassation est formé contre cet arrêt par la société locatrice des cassettes. Le pourvoi est fondé sur un moyen unique divisé en 2 branches.
D'un coté, la demanderesse au pourvoi fait valoir l'argument selon lequel la cour d'appel aurait confondu la cause et le motif du contrat. La cause dans un contrat synallagmatique réside dans l'obligation de l'autre partie qui en l'espèce, était la cause de l'engagement du couple ne faisait pas défaut (puisqu'elle réside dans l'obligation de la société de lui louer les cassettes comme le prévoit un tel contrat de location). Alors que le motif qui poussait la partie à s'engager consistait en l'espèce dans l'intention de relouer les cassettes acquises en location auprès de la clientèle de la commune.
D'un autre coté, le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir fait référence au motif déterminant du contrat sans pour autant avoir constaté que ceux-ci étaient rentrés dans le champ contractuel.
Il s'agit de savoir si l'existence de la cause dans un contrat synallagmatique doit-elle être apprécier au regard de l'existence de contrepartie à chacune des obligations des parties? La problématique soumise à la Cour de Cassation est relative aux deux appréciations qu'il est possible d'envisager en matière de cause, le juge doit-il plutôt choisir une approche objectiviste ou se tourner vers une démarche subjectiviste?
La Cour de cassation choisit de s'éloigner de l'approche purement objectiviste de la cause en rejetant le pourvoi et en retenant ainsi la solution de la Cour d'appel qui avait prononcé la nullité du contrat litigieux. Elle retient cette solution au motif qu'il y'avait bien absence totale de cause en raison de l'impossibilité d'exécuter le contrat selon l'économie envisagée par les parties. L'arrêt relève l'absence de "contrepartie réelle" à l'obligation du couple (le paiement du prix pour la location des cassettes) d'où une absence de cause entraînant la nullité du contrat.
Cet arrêt permet de faire appel aux deux acceptions que peut revêtir la cause. Elle peut être envisagée de manière subjective mais aussi objective. De manière traditionnelle, il peut être constaté que la jurisprudence de la Cour de cassation utilise la cause objective pour apprécier l'existence de cause. La motivation adoptée par cet arrêt semble marquée une rupture avec cette position. Il peut être intéressant de montrer comment globalement la solution effectue un passage de la cause objective à une appréciation plus subjective de celle- ci. Cependant, l'utilisation faite ici de la cause subjective est marquée par une certaine originalité lui donnant un nouveau visage.
Le contrôle strictement objectif de la cause des obligations des parties est laissé de côté au profit d'une appréciation plus subjective de la cause du contrat (I.). C'est pourquoi il conviendra d'étudier plus précisément comment la solution prend en compte les mobiles concrets des parties et l'impact d'une telle appréciation (II.).
[...] L'engagement que la société avait pris est anéanti. On revient sur un engagement concernant ces intérêts à partir de considérations subjectives sur l'avenir de l'exploitation d'un commerce qui ne la concerne qu'indirectement. Néanmoins, on peut y lire une certaine protection dans le sens où en partant du postulat que l'exploitation du commerce serait vouée à l'échec, il est probable qu'à court ou moyen terme, les particuliers se seraient retrouvés dans l'impossibilité d'exécuter le contrat (retard dans le paiement du loyer des cassettes.) Or dans cette hypothèse la sanction sera située sur le terrain de l'exécution et non de la formation du contrat (comme dans le cas de nullité). [...]
[...] Elles rompent avec les positions traditionnelles en matière d'appréciation de l'existence de la cause. A priori, à la lecture des faits et de la solution de la cour d'appel, le contrat de location ne semble pas avoir été annulé en raison de son caractère immoral voire illicite. Un tel contrat ne porte pas atteinte à l'ordre public et les intentions des parties notamment celles du couple qui veut créer un point vidéo ne présentent pas un caractère immoral. Ils veulent simplement mettre à la disposition du public des cassettes vidéo. [...]
[...] La Cour de cassation choisit de s'éloigner de l'approche purement objectiviste de la cause en rejetant le pourvoi et en retenant ainsi la solution de la cour d'appel qui avait prononcé la nullité du contrat litigieux. Elle retient cette solution au motif qu'il y'avait bien absence totale de cause en raison de l'impossibilité d'exécuter le contrat selon l'économie envisagée par les parties. L'arrêt relève l'absence de "contrepartie réelle" à l'obligation du couple (le paiement du prix pour la location des cassettes) d'où une absence de cause entraînant la nullité du contrat. [...]
[...] Son existence est bien certaine à travers les termes du contrat qui pose des obligations réciproques. Son existence est peut être moins certaine dans la réalité (de l'exécution) d'après l'argumentation de la Cour de cassation : certes, si le couple paye bien les frais de location, il pourra jouir pleinement pour son commerce des cassettes vidéos. La Cour de cassation ne prend pas en considération cette contrepartie là (qui est pourtant celle inscrite au contrat) mais se focalise plutôt sur la contrepartie qui découle du contrat. [...]
[...] La Cour de cassation va prendre en considération "l'économie voulue par les parties". L'économie en question souhaitée par les parties était la suivante : les particuliers louait un ensemble de cassettes à la société et les sous louait ensuite à la commune dans le but de réaliser un profit. Du premier contrat de location découlait alors tout un ensemble de sous-contrats, "le contrat principal" ne pouvait avoir de sens que si les autres contrats pouvaient être envisageables. Il peut être reproché à la solution de faire entrer trop de subjectivité dans la solution au détriment même d'une certaine sécurité contractuelle et des parties. [...]
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