L'article 226-13 du Code pénal dispose que « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000€ d'amende ». Cette sanction, découlant de l'obligation du secret de certains professionnels et du secret de l'instruction prévu à l'article 11 du Code de procédure pénale, concerne notamment les médecins, les banquiers, les avocats, les magistrats… Outre ces personnes limitativement énumérées par la loi pénale, celles détentrices d'une information liée à une instruction sont également tenues à un devoir de réserve au risque d'être poursuivies pour recel du secret d'instruction. L'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 juin 2001 illustre cette infraction commise par des journalistes dans la célèbre affaire des « écoutes de l'Elysée ».
En effet, en l'espèce, deux journalistes, rédacteurs d'un livre sur les affaires « des écoutes de l'Elysée » sont poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction ou de secret professionnel aux motifs que leur ouvrage contenait des pièces issues du dossier d'instruction. Plus précisément, le livre contenait des extraits de procès verbaux dressés par le magistrat et des fac-similés d'écoutes téléphoniques ; reproduction exacte des fiches consignées par le juge.
Il convient de rappeler la définition du recel prévu à l'article 321-1 du Code pénal. « C'est le fait de dissimuler, détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire, afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ». Le recel est une infraction de conséquence exigeant nécessairement une infraction d'origine (en l'espèce, la violation du secret professionnel ou de l'instruction) avec qui elle a des liens connexes.
Dans notre affaire, la Cour d'appel, confirmant la décision des juges du fond, condamne les rédacteurs du livre aux motifs que l'auteur de l'infraction principale, certes non identifié, était nécessairement soumis au secret professionnel et que les journalistes ne pouvaient ignorer la provenance illégale de ces documents.
Les journalistes refusent de donner leurs sources, conformément à l'article 109 alinéa 2 du Code de procédure pénale, mais affirment qu'elles ne sont pas illégales. Ils forment un pourvoi en cassation. Les moyens soulevés au pourvoi sont d'une part, l'application des règles de droit commun en matière de liberté d'expression (ce moyen non reproduit dans l'extrait soumis à notre commentaire, devra tout de même être abordé, car il apparaît en filigrane de la décision) et d'autre part la qualification de recel du secret de l'instruction alors que l'auteur de l'infraction originaire et plus généralement les conditions de commission de l'infraction ne sont pas connues.
Peut-on condamner un prévenu sur le fondement du recel de la violation du secret d'instruction sans que les conditions et l'auteur de l'infraction originaire ne soient précisément qualifiés ?
La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que les juges du fond ont apprécié souverainement les circonstances de la détention et de la publication, en connaissance de cause, de pièces issues de l'instruction. La Haute Cour attache peu d'importance à l'auteur de l'infraction principale puisqu'elle considère que celui-ci était nécessairement soumis au secret professionnel et que les journalistes ne pouvaient ignorer que les documents provenaient d'un délit. Elle réaffirme également que l'information ne peut faire l'objet d'un recel mais que c'est la détention et la publication du support matériel qui permet de qualifier le délit.
Le raisonnement adopté par la Cour suprême fait apparaître un double mouvement du délit de recel à savoir une interprétation stricte de la notion de recel mais une acception large de l'infraction qui en est à l'origine (I). Si l'interprétation stricte de la notion de recel ne peut être qu'approuvée en raison du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, l'absence de qualification précise de l'infraction d'origine doit néanmoins être critiquée, car attentatoire aux libertés fondamentales (II)
[...] La Cour de cassation ne répond pas à ce moyen se retranchant derrière l'appréciation souveraine des juges du fond. Enfin, l'arrêt semble imposer aux journalistes d'apporter la preuve de la licéité de leurs sources ; mais en raison du principe accusatoire qui gouverne la procédure pénale en France, il convient de rappeler que c'est au Ministère public d'apporter la preuve de ce qu'il soutient Une mauvaise foi déduite de la qualité de professionnel expérimenté Une deuxième critique peut être apportée à cet arrêt concernant l'élément moral. [...]
[...] Ainsi, il n'est pas nécessaire que les circonstances matérielles et personnelles soient caractérisées: peu importe, la date, le lieu, l'auteur de l'infraction Ce principe est réaffirmé par l'arrêt du 19 juin 2001. L'auteur de la violation du secret professionnel ou du secret de l'instruction n'est pas connu, mais les juges apprécient souverainement qu'il ne puisse y avoir divulgation accidentelle et que cette divulgation ne puisse avoir été faîte que par une personne soumise au secret professionnel ou au secret de l'instruction. [...]
[...] Une appréciation souple de l'infraction originaire du recel : l'admission de circonstances indéterminées 1. La nécessité d'une infraction préalable au recel Le recel est une infraction de conséquence : il suppose que la chose recelée provienne d'un crime ou d'un délit antérieur. Ce délit doit être caractérisé. Un arrêt de la Chambre criminelle du 5 décembre 1946 affirme que les juges du fonds doivent définir la nature exacte de l'infraction d'origine et qu'ils ne peuvent se contenter de formules imprécises constatant l'origine frauduleuse de l'acte En l'espèce, dans notre arrêt, l'infraction d'origine a bien été qualifiée quant à sa nature puisqu'il s'agit de la violation du secret professionnel ou du secret d'instruction. [...]
[...] Le juge a pourtant recours, en l'espèce au droit commun pour attenter à cette liberté. Bien qu'il s'agisse d'une entrave à la loi de 1881, cela doit néanmoins être approuvé. Les juges, dans une appréciation in abstracto, face aux intérêts en présence, ont fait prévaloir ceux des personnes visées par l'instruction et la garantie du bon fonctionnement de la justice sur la liberté d'expression La compatibilité avec l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'Homme L'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'Homme consacre la liberté d'expression. [...]
[...] L'arrêt du 19 juin 2001 adopte une position contraire. En vertu du principe de proportionnalité, il admet la compatibilité de la solution avec l'article 10 de la Convention aux motifs que cette limitation est conforme à l'alinéa 2 de l'article prévoyant des restrictions à la liberté de la presse. Cette différence de solution s'explique par le fait que dans la première affaire, seuls des intérêts personnels étaient en cause (violation de la vie privée) alors que pour la violation du secret professionnel, c'est à l'ordre public qu'on porte atteinte. [...]
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