« Dans toute discussion, le plus délicat est toujours de faire la différence entre une querelle de mots et une querelle de fond » (Russel B., ABC de la relativité).
Dans ces deux arrêts rendus le 14 avril 2006, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur les critères cumulés pour caractériser la force majeure en matières délictuelle et contractuelle, et ainsi mettre fin tant au conflit de mots qu'au conflit de fond qui opposaient les différentes chambres de la juridiction suprême depuis maintenant plus de dix ans.
Les faits de l'espèce présentent des caractères forts différents dans les deux arrêts. En effet, dans l'un c'est la responsabilité contractuelle du débiteur de l'obligation qui est recherchée, tandis que dans l'autre c'est la responsabilité délictuelle du gardien de la chose. Reprenons-les brièvement :
Le premier arrêt est relatif à un contrat conclu entre deux individus, par lequel un client avait demandé à un artisan une machine spécialement conçue pour les besoins de son entreprise. En raison de l'état de santé de ce dernier, les parties avaient décidé d'une nouvelle date de livraison, qui n'avait pas été respectée. Les examens médicaux pratiqués par la suite révélèrent que le débiteur de l'obligation de livrer la chose souffrait d'un cancer, maladie dont l'artisan décéda quelques mois plus tard, sans que la machine ait été livrée. Le créancier de cette obligation assigna les héritiers du défunt en résolution du contrat et en réparation du préjudice par lui subi.
Les premiers juges rejetèrent sa demande, de même que les juges d'appel de Douai par leur arrêt rendu le 12 novembre 2001. Le créancier se pourvoit alors en cassation.
L'assemblée plénière rejette le pourvoi formé par le client en se basant sur l'article 1148 du Code civil, et en affirmant que la force majeure peut être invoquée dans le cas où « le débiteur a été empêché d'exécuter par la maladie, dès lors que cet évènement (présente) un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution.
Dan la deuxième affaire, le corps sans vie d'une femme avait été découvert, entre le quai et la voie, dans une gare desservie par la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP). L'époux de la victime, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs, assigne la RATP en réparation du préjudice causé par cet accident, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil.
L'arrêt d'appel rendu par la Cour de Paris le 29 juin 2004 le déboute de sa demande, à la suite de quoi l'époux se pourvoit en cassation.
La Cour rejette le pourvoi, en affirmant que « si la faute de la victime n'exonère totalement le gardien qu'à la condition de présenter les caractères de la force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l'accident, un caractère imprévisible et irrésistible. Après avoir pleinement souscrit à l'argumentation des juges du fond, la juridiction suprême que la faute de la victime, présentant les caractères de la force majeure, exonère la RATP de toute responsabilité.
Quels sont les critères retenus par l'Assemblée plénière pour caractériser la force majeure permettant d'exonérer de toute responsabilité aussi bien le débiteur d'une obligation que le gardien d'une chose ayant produit un dommage ? Doit-il y avoir un alignement des critères de la force majeure pour les responsabilités contractuelle et délictuelle ? Si telle est l'orientation prise par la Cour, quelles en sont la pertinence et les conséquences dans l'un et l'autre des deux champs de responsabilité ?
Il conviendra dans un premier temps d'analyser à la fois le contexte jurisprudentiel dans lequel sont intervenus ces deux arrêts, et en quoi ces décisions viennent clarifier les conditions d'application de la force majeure tant en matière contractuelle qu'en matière délictuelle.
Puis, dans un deuxième temps, il sera constaté que les juges suprêmes ont opté pour une définition unitaire de la force majeure, laquelle engendre des conséquences diverses, ce qui lui vaut d'être contestée à juste titre par une partie de la doctrine.
L'intervention de l'Assemblée plénière a vocation à mettre un terme à une cacophonie jurisprudentielle qui perdure depuis plus de dix ans, en redéfinissant clairement les conditions d'application de la force majeure.
[...] L'intervention de l'Assemblée plénière a vocation à mettre un terme à une cacophonie jurisprudentielle qui perdure depuis plus de dix ans, en redéfinissant clairement les conditions d'application de la force majeure. D'une cacophonie jurisprudentielle à l'intervention clarificatrice de l'Assemblée plénière Les moyens soulevés par les demandeurs l'ont été dans un contexte de forte hésitation jurisprudentielle s'agissant des critères de la force majeure. Des moyens soulevés dans une cacophonie jurisprudentielle Le client se base sur l'article 1148 du Code civil et reproche à la Cour d'appel de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations ceci engendrant une violation de l'article précité. [...]
[...] Les examens médicaux pratiqués par la suite révélèrent que le débiteur de l'obligation de livrer la chose souffrait d'un cancer, maladie dont l'artisan décéda quelques mois plus tard, sans que la machine ait été livrée. Le créancier de cette obligation assigna les héritiers du défunt en résolution du contrat et en réparation du préjudice par lui subi. Les premiers juges rejetèrent sa demande, de même que les juges d'appel de Douai par leur arrêt rendu le 12 novembre 2001. Le créancier se pourvoit alors en cassation. [...]
[...] En effet, d'une part, il convient de rappeler que l'extériorité n'est pas toujours débattue devant les juges. Ainsi, Paul GROSSER ne dit- il pas lorsque le défendeur invoque un évènement de la nature ou une faute de la victime, le litige se noue autour de l'imprévisibilité ou de l'irrésistibilité de ces évènements et non de leur extériorité qui relève de l'évidence. Toutefois, une autre interprétation est possible, celle-là en faveur d'un abandon pur et simple de cet élément dans la qualification de force majeure : cette dernière est en effet retenue s'agissant de la maladie du débiteur, maladie qui ne peut être que difficilement considérée comme lui étant extérieure. [...]
[...] Conséquence de la définition unitaire de la force majeure en matière délictuelle : une sévérité accrue vis-à-vis de la victime La manière dont la Cour, dans certains de ses arrêts (voir ci-dessus), a évoqué l'élément d'inévitabilité, impliquait d'apprécier l'attitude du défendeur avant l'accident, c'est-à-dire l'attitude du débiteur jusqu'à la survenance de l'événement. Cette méthode semblait favorable à la victime puisque c'était une manière de rechercher avec encore plus d'insistance la responsabilité de l'auteur du dommage, ou du gardien de la chose. D'ailleurs, sa mise à l'écart dans cet arrêt permet de voir le fossé qui s'est creusé entre la décision de l'espèce, exonérant la RATP, et la sévérité dont a déjà fait preuve la Cour de cassation à l'égard de la SNCF. [...]
[...] Assemblée plénière de la Cour de cassation avril 2006 Commentaire d'arrêt Dans toute discussion, le plus délicat est toujours de faire la différence entre une querelle de mots et une querelle de fond (Russel B., ABC de la relativité). Dans ces deux arrêts rendus le 14 avril 2006, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur les critères cumulés pour caractériser la force majeure en matières délictuelle et contractuelle, et ainsi mettre fin tant au conflit de mots qu'au conflit de fond qui opposaient les différentes chambres de la juridiction suprême depuis maintenant plus de dix ans. [...]
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