Tout comme pour la matière civile, le critère de détermination de la matière pénale selon la jurisprudence européenne est un critère matériel et non pas un critère organique : peu importe la nature de l'organe appelé à se prononcer sur l'accusation.
La CEDH définit la matière pénale par rapport à la notion « d'accusation en matière pénale », ce qui est beaucoup plus large que la définition nationale et formelle du droit pénal et de la procédure pénale. La CEDH a autonomisé cette notion à partir d'un arrêt de principe, l'arrêt Engel contre Pays Bas (8 juillet 1976.
En effet, l'arrêt Engel a été le premier a fixé les 3 réactifs déterminant la matière pénale. Les 3 réactifs sont : la qualification de l'infraction en droit national, la nature de l'infraction, et la sévérité de la sanction. Chacun d'eux suffit à qualifier une matière pénale. Ces 3 réactifs sont donc alternatifs et non pas cumulatifs, mais l'approche cumulative est possible, si l'analyse de chaque critère ne permet pas d'aboutir à une conclusion claire. (Lutz. 25/08/85).
En l'espèce, il était question d'un retrait immédiat du permis de conduire de M. Escoubet ordonné par le ministère public.
Le requérant devant la CEDH soutient que le retrait immédiat de son permis de conduire ordonné par le ministère public et sans possibilité de recours effectif devant un organe judiciaire l'a privé du droit à un tribunal au sens de l'article 6 § 1 de la convention.
D'après le requérant il ne fait aucun doute que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire, ordonné sur la base de l'article 55 des lois coordonnées, relève du droit pénal. En effet, en droit belge, la durée de retrait immédiat est imputée sur la peine de déchéance du permis qui pourra ultérieurement être prononcée au cas où des poursuites pénales seraient engagées pour des faits dans le cadre desquelles l'article 55 a trouvé application. De plus cette disposition s'adresse à tous les citoyens en leur qualité d'usagers de la route et le refus de remise du permis est sanctionné, aux termes de l'article 55 des lois coordonnées, par une peine d'emprisonnement et ou une amende.
A l'inverse, le gouvernement soutient que l'article 6 ne s'applique pas en l'espèce, puisque la mesure litigieuse ne concerne pas le bien fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre le requérant. Il évoque en particulier le fait que la procédure de retrait immédiat ne comporte ni examen, ni constatation de culpabilité ou d'innocence. La mesure ne relève pas de la matière pénale au regard de la jurisprudence de la cour, et le retrait immédiat est considéré en droit interne comme une mesure de police administrative et de sécurité. Le gouvernement insiste donc sur la nature de la mesure qui ne vise qu'à protéger le public contre un éventuel risque que crée le comportement du conducteur dangereux. De plus, le gouvernement souligne le fait que l'impact de la mesure de retrait est minime, aussi bien dans le temps que dans l'intensité, puisque le permis a été restitué peu de temps après que qu'il en est fait la demande.
La CEDH a donc dû se poser la question de savoir si la mesure de retrait immédiat du permis de conduire relève de la matière pénale et si par conséquent l'article 6 de la convention trouvait application.
Afin de déterminer si une mesure relevant de la matière pénale était en jeu en l'espèce, elle s'est référée aux 3 critères dégagés par la jurisprudence Engel et conclut que l'article 6 ne trouve pas a s'appliquer. Selon la cour, la mesure en question n'est pas une sanction pénale en raison de sa nature préventive et de son faible degré de sévérité (II). La particularité de cet arrêt réside dans le fait que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire était insérée dans une loi pénale belge particulière. La cour contrairement à sa jurisprudence antérieure, écarte l'application de l'article 6. (I)
[...] A partir du moment où il existe dans le droit national suffisamment d'élément qui permet de rattacher la mesure litigieuse au domaine pénal, il est paradoxal de prendre le contre-pied du droit interne et d'écarter l'application de l'article 6 de la Convention. On peut penser que la cour en se prononçant comme elle l'a fait est en contradiction totale avec sa politique jurisprudentielle habituelle. La cour européenne use de l'autonomie des notions afin d'élargir au maximum le champ d'application de l'article 6 de la convention. [...]
[...] La sévérité de la mesure, de la sanction est de fait, l'élément décisif. Il ne s'agit pas de la sanction effectivement prononcée mais de la sanction encourue. Ainsi une peine encourue peut être à la fois modique dans son montant et lourde par rapport au comportement. (Ozturk contre Allemagne.21/02/84) La peine encourue pour une infraction routière que le droit allemand avait dépénalisée était une amende de 30 euros environ, mais elle pouvait être convertie en contrainte par corps en cas de non paiement. [...]
[...] La notion d'accusation en matière pénale est la clef d'accès au droit à un procès équitable. L'interprétation autonome permet donc de surmonter l'opposition du droit interne afin d'assurer l'applicabilité du droit garanti et d'éviter une fraude à la convention Ainsi, généralement les indications nationales n'ont qu'une valeur faible dans la jurisprudence de la CEDH, compte tenu de l'autonomie des notions et de la méfiance envers les états membres. Le problème se pose quand le droit national ne classe pas telle ou telle action dans la catégorie des infractions pénales. [...]
[...] La particularité de cet arrêt réside dans le fait que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire était insérée dans une loi pénale belge particulière. La cour contrairement à sa jurisprudence antérieure, écarte l'application de l'article 6. I. Application a rebours du principe de l'autonomie des notions L'autonomie des notions est un moyen pour la cour d'étendre au maximum le champ d'application de l'article 6 de la convention. La cour en effet écarte la qualification interne quand elle est en contradiction avec le but poursuivi par la convention. [...]
[...] Après avoir ignorer le fait que la mesure soit qualifiée de pénale par le droit interne, elle a en outre fondée sa décision sur le fait que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire ne relevait pas de la matière pénale en raison de sa nature préventive et du degré limité de sévérité de la sanction. II. Le caractère déterminant de la nature préventive et du degré limité de sévérité de la sanction A. La prédominance du 3ème réactif Afin d'écarter de la matière pénale le retrait immédiat du permis de conduire la cour s'appuie également sur la nature et le degré de sévérité de la mesure. [...]
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