Il résulte du principe de légalité de la loi pénale que les justiciables doivent avoir connaissance des infractions et des peines qui leur sont applicables avant de subir une quelconque condamnation. Toutefois, qu'en est-il des positions jurisprudentielles dégagées par les tribunaux ? Les justiciables peuvent-ils se fier à ses interprétations pour savoir s'ils encourent ou non une condamnation pénale ?
C'est tout le problème qui se pose dans la décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 30 janvier 2002. Traitant de l'application de la loi pénale dans le temps, notamment en ce qui concerne l'interprétation jurisprudentielle, la chambre criminelle a rendu un arrêt de rejet.
En l'espèce, Grifhorst Robert, de nationalité néerlandaise, a été jugé coupable d'importation de capitaux, d'une valeur de 1 528 850 francs, sans avoir au préalable déclaré la somme importée. De ce fait, il a été condamné par un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier en date du 20 mars 2001 à la confiscation des capitaux saisis par la douane ainsi qu'au paiement d'une amende de 750 000 francs avec prononcé de la contrainte par corps, pour délit de non-respect de l'obligation déclarative de capitaux d'un montant supérieur à 50 000 francs. Pour motiver sa décision, la Cour d'appel faisait valoir que « l'obligation de déclaration, qui n'empêche aucunement la libre circulation des capitaux, s'impose à toute personne physique, résident ou non résident français. »
[...] Robert était fondé à invoquer une violation des dispositions de la Convention, la chambre criminelle refusant d'appliquer le principe de non-rétroactivité à la nouvelle jurisprudence concernant l'article 464 du Code des douanes. Toutefois, la CEDH est venue préciser ce principe quant à la portée de la rétroactivité jurisprudentielle. Ainsi, dans l'arrêt célèbre S. W. contre Royaume-Uni du 22 novembre 1995, la CEDH a apporté les limites au principe énoncé. Il s'agissait en l'espèce d'un homme qui fut condamné pour avoir violé sa femme. [...]
[...] En effet, la non- rétroactivité des interprétations jurisprudentielles posée par la Cour de cassation semble entrer en conflit direct avec le principe d'interprétation stricte de la loi pénale, énoncée à l'article 111-4 CP. Puisque le juge a le devoir d'interpréter strictement la loi pénale, il pourrait sembler curieux qu'il puisse l'interpréter à sa guise, et de surplus, entrainer une application rétroactive de cette interprétation pour d'éventuelles condamnations pénales. C'est d'ailleurs ce qu'invoquait le prévenu dans son moyen de cassation, au visa de cet article. [...]
[...] Il faut ici préciser que la solution du 30 janvier 2002 n'est pas en soi un revirement jurisprudentiel plus sévère. En effet, la Cour n'a fait que se prononcer sur une espèce qui n'avait encore jamais été envisagée, à savoir l'importation de capitaux par un non-résident français. En utilisant le terme personne physique la Cour d'appel n'avait donc pas exclu cette hypothèse. La chambre criminelle n'a fait que préciser que les non- résidents étaient eux aussi concernés par la solution. [...]
[...] Constatant la violation, la Cour de cassation s'est vue dans l'obligation d'accepter le pourvoi et de casser l'arrêt. Ainsi, le juge est tenu de ne pas appliquer la loi nouvelle en vigueur, mais celle applicable à la date de la commission des faits. De ce fait, il respectera le principe de non- rétroactivité expliqué précédemment. La question qui peut découler de ce principe, et qui fut le cas en l'espèce, est donc la suivante : qu'en est-il de la jurisprudence ? [...]
[...] La Cour d'appel ayant utilisé dans sa formule l'expression personnes physiques il semble logique que le requérant pût valablement prévoir qu'il était lui aussi, même si la jurisprudence ne s'était pas encore prononcée sur ce point, concerné par l'incrimination prévue. Ainsi, là où la France semble écarter totalement le principe de non- rétroactivité concernant les interprétations jurisprudentielles, la CEDH demeure plus nuancée, n'écartant le principe qu'aux évolutions prévisibles ou envisageables. Seul le citoyen de bonne foi pourrait alors échapper au principe. Dès lors, la chambre criminelle pourrait tenter de concilier sa position avec celle de la CEDH, du moins la rétroactivité des interprétations jurisprudentielles avec le principe de non-rétroactivités des lois pénales plus sévères. [...]
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