L'article 379 de l'ancien Code pénal, relatif au vol, énonce que celui-ci est constitué lorsque « quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas». Dans la doctrine pénaliste classique, cette soustraction frauduleuse de la chose d'autrui (reprise par l'article 311-1 du Code pénal) implique une atteinte à la propriété ; or une information n'est pas un bien susceptible d'appropriation car incorporel.
Cependant, la jurisprudence semble vouloir remettre en cause cette absence de répression comme le montre notamment un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 12 Janvier 1989.
En l'espèce, deux salariés de l'imprimerie Bourquin ont reproduit deux séries de disquettes, et le contenu informationnel de certaines d'entre elles -représentant une grande valeur marchande-, afin de créer leur propre entreprise concurrente.
Leur employeur (l'établissement Bourquin) les a assignés en justice pour le vol des disquettes, ainsi que pour la reproduction de données en violation du règlement d'atelier signé par les salariés. Le premier jugement qui les avait condamnés a été confirmé par la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Reims le 27 Février 1987 qui les a également déclarés coupables du vol du contenu informationnel d'une partie des disquettes.
Les prévenus ont formé un pourvoi en cassation en invoquant cinq moyens. Le premier est que la cour d'appel n'était pas appelée à statuer sur le vol du contenu informationnel et a donc violé l'article 388 du Code de procédure pénale en élargissant sa saisine. Ils invoquent également une contradiction de motifs et un manque de base légale au regard de l'article 593 et 158 du CPP. Ils reprochent aussi à la cour d'appel de n'avoir pas qualifié les éléments constitutifs du vol de disquettes en violation des articles 593 du CPP et 379 de l'ancien CP. Ils ajoutent enfin, que le règlement d'atelier n'a pas été débattu contradictoirement devant eux comme l'exige l'article 427 CPP, et qui ne peut pas leur être opposé puisque signé avant l'obtention de la machine auxquelles les informations volées sont relatives, ce qui constitue un manque de base légale au regard de l'article 379 de l'ancien CP.
L'arrêt attaqué énonce quant à lui que les éléments constitutifs du vol sont présents ; tant intentionnel (il est évident que les informations volées sont la propriété de l'employeur), que matériel (la soustraction a eu lieu durant le temps nécessaire à la reproduction des disquettes). Enfin les juges du fond relèvent que le contenu informationnel volé est d'une extrême richesse, et constitue le bien de la société qui les emploie.
La question qui se pose devant la Cour de cassation est donc la suivante: la reproduction d'un bien incorporel, tel que le contenu informationnel d'un bien appartenant à autrui, peut-elle être qualifiée de vol ?
[...] A l'inverse, la seule juridiction à avoir clairement consacré un vol d'informations est la cour d'appel de Grenoble dans un arrêt du 15 Février 1995. Dans cet arrêt, le vol constitue une atteinte à la possession et non à la propriété, ce qui rend le vol d'informations possible. Mais toutes ces décisions ont été rendues par des juges du fond. Pour une partie de la doctrine, la portée de l'arrêt Bourquin n'est donc pas suffisante pour consacrer un vol d'information, qui étendrait ainsi le vol aux biens incorporels. [...]
[...] Sur ce point, mais cela n'est pas contesté dans cette affaire, la Cour de cassation rappelle que l'élément intentionnel du vol doit être présent, ce qui n'est le cas que si le prévenu a conscience de soustraire une chose qui ne lui appartient pas (rappelé notamment par Crim. 25/10/2000). Les juges du fond ont souverainement estimé qu'il était ici évident pour les salariés que les disquettes reproduites étaient la propriété de l'employeur. La Cour de cassation confirme ici que l'activité matérielle de reproduction peut être un moyen de soustraction de la chose, bien que celle-ci reste temporaire. [...]
[...] M. Devèze, dans sa note sous l'arrêt étudié ne voyait pas d'obstacle théorique à voir un vol dans le fait de graver le contenu d'un document dans sa mémoire. Cette solution comporterait donc des dangers de par sa capacité d'extension : elle ouvrirait en effet la voie aux délits d'opinion ou de pensée (M. Lucas de Leyssac), etc. [...]
[...] Ils reprochent aussi à la cour d'appel de n'avoir pas qualifié les éléments constitutifs du vol de disquettes en violation des articles 593 du CPP et 379 de l'ancien CP. Ils ajoutent enfin, que le règlement d'atelier n'a pas été débattu contradictoirement devant eux comme l'exige l'article 427 CPP, et qui ne peut pas leur être opposé puisque signé avant l'obtention de la machine auxquelles les informations volées sont relatives, ce qui constitue un manque de base légale au regard de l'article 379 de l'ancien CP. [...]
[...] Lucas de Leyssac, précité, se refuse également à voir une révolution dans cette décision, bien que celle-ci ne soit pas seule en jurisprudence. Cet arrêt a pourtant entraîné d'autres décisions similaires, mais toutes de rejet (notamment Crim. 01/03/1989, où le vol d'information sans support consacré par la cour d'appel n'est pas sanctionné par la Cour de cassation). C'est pourquoi M-L. Rassat penche plutôt pour une consécration du vol d'informations par les juges du fond, qui serait acceptée par la Cour de cassation mais de façon ponctuelle. [...]
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