Les intérêts de retard, régis aux articles 1727 et suivants du CGI, ont suscité de nombreuses interrogations quant à leur nature juridique et ont ainsi été à l'origine de différentes prises de positions jurisprudentielles.
Les articles 1727 et suivants du CGI permettent de définir les intérêts de retard comme
– les sommes versées indépendamment de toute sanction suite
•au défaut de paiement
ou
•au versement tardif du contribuable des impôts recouvrés par la Direction générale des impôts.
Les tribunaux ont eu à se prononcer sur la question de savoir s'il était possible de considérer que les intérêts de retard constituent ou non une sanction pénale.
Le CGI distingue deux catégories de sanctions fiscales : elles peuvent être pécuniaires ou pénales.
Les sanctions qui ont une coloration pénale sont soumises aux principes de la matière pénale.
Ainsi, les sanctions fiscales qui ont un caractère répressif sont susceptibles de rentrer dans le champ des « accusations en matière pénale » de l'article 6 de la CESDH, sous son volet pénal.
L'article 6§1 de la CESDH , offre un certain nombre de garanties procédurales qui visent à assurer le droit à un procès équitable.
Si l'article 6§1 de la CESDH venait à s'appliquer, les procédures d'établissement des intérêts de retard par l'administration fiscale devraient être conformes à la convention.
Les positions des juridictions administratives et européennes ont varié à propos de cette question.
Dans l'exposé, nous nous intéresserons plus précisément sur le point de savoir quelle a été la jurisprudence de la Cour de Cassation à partir de l'arrêt FERREIRA de 1997 et l'évolution de la jurisprudence judiciaire.
Brefs rappels :
•La CEDH conclue dans son arrêt BENDENOUN du 24 février 1994, à l'applicabilité de l'article 6 de la convention à la majoration d'impôt pour absence de bonne foi prévue par l'article 1729-1 du CGI .
En effet, elle a considéré que les sanctions fiscales avaient une coloration pénale et par conséquent, les contribuables sont autorisés à élever des protestations au cas où les garanties juridictionnelles auxquelles ils peuvent prétendre n'auraient pas été respectées.
La cour, pour déterminer si la pénalité infligée en l'absence de bonne foi à un contribuable entre dans le champ d'application de l'article 6 de la convention européenne, a caractérisé l'existence d'une sanction fiscale, assimilable à une accusation en matière pénale, par 4 critères :
1.La sanction doit concerner « tous les citoyens en leur qualité de contribuable, et non un groupe déterminé doté d'un statut particulier »,
2.Les sanctions ne doivent sas tendre à la réparation pécuniaire d'un préjudice,
3.La sanction doit viser à punir pour empêcher la réitération d'agissements semblables,
4.La sanction doit revêtir, pour le justiciable, « une ampleur considérable » et exposer à la contrainte par corps.
Après avoir évalué l'importance de ces différents éléments, « La Cour note la prédominance de ceux qui présentent une coloration pénale. Aucun d'eux n'apparaît décisif à lui seul, mais additionnés et combinés ils conféraient à "l'accusation" litigieuse un "caractère pénal" au sens de l'article 6§ ; lequel trouvait donc à s'appliquer. » .
La Cour admet néanmoins la conformité du régime de sanction administrative avec les prescriptions de l'article 6 puisqu'elle dispose : « [qu'] un Etat contractant doit avoir la liberté de confier au fisc la tâche de les poursuivre et de les réprimer (les infractions), même si la majoration encourue à titre de sanction peut être lourde.
Pareil système ne se heurte pas à l'article 6 de la CEDH pour autant que le contribuable puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de ce texte. »
Par cette décision, la CEDH tranche donc pour la première fois en faveur de l'applicabilité aux pénalités fiscales des dispositions de l'article 6§1.
•Puis dans sa décision MOREL du 3 juin 2003 , relatif à une pénalité de 10% pour défaut ou retard de déclaration (article 1728 CGI), la CEDH pour « savoir si la procédure litigieuse tranchait une "accusation en matière pénale" dirigée contre le requérant » a recouru aux 4 critères dégagés par la décision BENDENOUN.
Elle a rappelé que l'article 6, depuis sa décision FERRAZZINI, n'est applicable aux procédures à caractère fiscal que sous le volet pénal et non « au titre de la notion de "droits et obligations à caractère civil" ».
La Cour décide après examen des 4 critères de détermination d'une "accusation en matière pénale" (référence à Bendenoun), que la majoration d'impôt est « d'une ampleur insuffisante », par conséquent, l'article 6 §1 est inapplicable sous l'angle pénal.
•Par ailleurs, le Conseil d'Etat dans son avis MERIC en date du 31 mars 1995, reconnaît à son tour l'applicabilité de l'article 6 de la CESDH aux majorations d'impositions, prévues à l'art 1729-1 CGI en cas de manœuvres frauduleuses.
Ces majorations d'imposition constituent des « accusations en matière pénale » au sens de l'article 6. Néanmoins les dispositions de l'article 6 ne s'appliquent pas à la procédure d'établissement ou de prononcé des pénalités par l'administration, mais seulement aux seules procédures suivies devant les juridictions compétentes.
•Puis dans un avis SA FINANCIERE LABEYRIE du 12 avril 2002, le Conseil d'Etat a refusé d'avaliser l'interprétation de certaines juridictions consistant à reconnaître la nature d'une sanction à caractère pénal pour la partie de l'intérêt de retard qui excède l'intérêt légal.
Selon le Conseil d'Etat, qui était invité par un tribunal administratif à préciser la nature de l'intérêt de retard , celui-ci « vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales. » Certes « l'évolution du taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution », mais le juge administratif conclut néanmoins que « cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d'une sanction dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif ».
L'intérêt de retard ne constitue pas une sanction pénale puisqu'il :
1.vise à réparer les préjudices subis par l'Etat
2.ne répond pas au critère de « l'ampleur considérable »
3.est « dû indépendamment de toute sanction ».
Bien que l'article 1727 du code général des impôts figure dans le chapitre II « pénalités » du livre II « recouvrement de l'impôt » de ce code, l'intérêt de retard n'est donc pas à proprement à parler une sanction.
La nature des intérêts de retard au regard de l'article 6§1 de la CEDH a suscité de nombreuses incertitudes de la part des juridictions judiciaires (I).
Par ailleurs, nous verrons, dans quelle direction s'est orientée la réforme progressive des intérêts de retard suite à la loi de finances pour 2006 (II).
[...] A la suite de la jurisprudence FERREIRA, consacrant l'application de l'article de la cesdh à la matière fiscale, les juges de première instance ont dû apprécier la nature des intérêts de retard. En appliquant les critères dégagés par la CEDH à l'occasion de son arrêt BENDENOUN, ils en ont déduit leur caractère pénal, essentiellement dû au montant trop élevé du taux applicable. Par un arrêt du 6 juillet 2000, le TGI de Paris[16] se prononce sur le caractère de l'intérêt de retard. [...]
[...] Les taux de l'intérêt de retard et des intérêts moratoires : Bulletin Officiel des Impôts du 13 Janvier 2006 Bible Introduction Tome 4 p 97-98 La plus caractéristique correspond aux différents taux applicables au retard de TVA selon le régime applicable : article 1731 CGI d'une part et articles 1761 et 1762 du CGI et L du LPF d'autre part. Bible Introduction Tome 4 p et suivants. L'amélioration des rapports entre les citoyens et les administrations fiscales et douanières rapport au Ministre d'Etat, Ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, juillet 1986. Les relations entre les contribuables et l'administration 20ème rapport du Président de la République Rapport d'information sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables présenté par M. Jean-Yves Cousin, commission des finances, de l'économie générale et du plan, septembre 2003. [...]
[...] L'impossibilité de contester in fine la décision de l'administration : l'article 35 de la loi de Finances pour 2004 ne répond pas aux problèmes des contribuables exposés dans les décisions de jurisprudence mentionnées ci-dessus. Et ce recours gracieux ne fait qu'officialiser une pratique de négociation avec l'administration fiscale. Cette mesure ne faisait que rajouter un pallier dans la procédure, alors que la voie juridictionnelle et la contestation devant le juge relative au taux pratiqué restait toujours impossible. Le législateur a donc été contraint d'intervenir afin d'instaurer un mécanisme plus protecteur et plus équitable au profit du contribuable. B. [...]
[...] Dans l'exposé, nous nous intéresserons plus précisément sur le point de savoir quelle a été la jurisprudence de la Cour de Cassation à partir de l'arrêt FERREIRA de 1997 et l'évolution de la jurisprudence judiciaire. Brefs rappels : La CEDH conclue dans son arrêt BENDENOUN[3] du 24 février 1994, à l'applicabilité de l'article 6 de la convention à la majoration d'impôt pour absence de bonne foi prévue par l'article 1729-1 du CGI[4]. En effet, elle a considéré que les sanctions fiscales avaient une coloration pénale et par conséquent, les contribuables sont autorisés à élever des protestations au cas où les garanties juridictionnelles auxquelles ils peuvent prétendre n'auraient pas été respectées. [...]
[...] L'application de l'article de la CESDH aux sanctions fiscales Dans sa décision FERREIRA[14] du 29 avril 1997, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation apprécie la conformité de l'amende fiscale prévue à l'article 1840 N quater du CGI, au regard des prescriptions de l'article de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette appréciation est une réelle avancée pour le contribuable. Le Professeur Fréderic Sudre, va même jusqu'à parler d'une véritable onde de choc En effet, la Cour de Cassation accepte pour la première fois d'appliquer l'article aux sanctions fiscales. [...]
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