Louis-Edmond Pettiti ancien juge à la Cour Européenne des Droits de l'Homme, en 1998 s'exprimait en ces termes «La parole est au cœur de la personnalité, sa contre-face est le silence, le droit à garder celui-ci. Par rapport à la liberté d'expression, cela signifie le droit d'être maître de sa communication avec autrui. Le droit au silence est issu du mythe de la parole, de la conquête organique et spirituelle de celle-ci par l'homo sapiens. Pouvoir conférer à l'être de nommer les vivants, pouvoir de méditer sans parler ».
Cette phrase prononcée lors d'un exposé sur le Droit au silence et son évolution dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) trouve aujourd'hui place dans notre droit interne même s'il n'en a pas toujours été ainsi.
En effet, dans la procédure contradictoire, au droit de parler offert au contribuable n'a pas toujours répondu le droit de se taire, pour ne pas s'incriminer. Le mécanisme des sanctions administratives fiscales est en effet assez récent. Ce n'est que dans les années 1970 qu'un mouvement de pénalisation des sanctions fiscales a été mis en place notamment par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans un arrêt Engel du 8 juin 1976. Le Conseil d'Etat a opéré quant à lui l'amorce d'un changement seulement quelques années plus tard et a accepté il y seulement une trentaine d'années l'application des droits de la défense et du droit à la contradiction en matière de sanctions administratives.
En ce qui concerne le droit de se taire, cœur de la notion de procès équitable, diverses sources internationales le prévoit et en constitue son fondement.
L'article 14, §3, g), du Pacte International sur les droits civils et politiques énonce que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable. Cependant, ce Pacte ne comporte pas de protection internationale obligatoire et contraignante en cas de non-respect d'un Etat.
En revanche, un tel contrôle international contraignant existe dans le système de protection des droits reconnus par la Convention Européenne des Droits de l'Homme. En effet, selon la Cour Européenne des Droits de l'Homme, même si l'article 6 de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6 § 1 de la Convention. Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités ne se fondent pas sur des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l' « accusé ». Ainsi, cela permet d'éviter des erreurs judiciaires, une coercition abusive de la part des autorités et donc de garantir le résultat voulu par l'article 6 .
Néanmoins, l'article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ne permet pas à une personne de se retrancher derrière le droit de se taire et de ne pas s'incriminer elle-même, pour refuser de donner à l'Administration fiscale des renseignements sur des tiers, de la même manière dont des témoins pourrait le faire . La Convention ne défend donc pas le « droit de se taire » en tant que tel mais bien plutôt le « droit de se taire et de ne pas s'incriminer soi-même ». Le droit de se taire et de ne pas s'incriminer soi même tels qu'appréciés par les institutions européennes de protection des droits de l'homme aux vues de l'article 6 de la CEDH visent seulement les éléments qui n'existent pas indépendamment de la volonté du contribuable.
Dans cette perspective où le droit de se taire est visé par des normes internationales, il convient de se demander quel est la portée du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination au regard des pénalités fiscales ?
Il convient de préciser préalablement que, dans cet exposé, il sera entendu par « silence du contribuable » silence dans le cadre d'une procédure de sanction fiscale et non silence comme donnant lieu à pénalité fiscale et ce pour mieux cibler le sujet et le circonscrire. Dans cette optique, s'interroger sur les effets du droit de se taire face aux pénalités fiscales revient à se demander s'il existe en procédure fiscale l'équivalent du principe pénal du droit de se taire.
Le droit de se taire a une base conventionnelle. Le droit de se taire en droit fiscal, qui est reconnu par l'article 6 §1, ne s'applique pas à tous les éléments d'une dette d'impôt. Cependant, son champ d'application reste relativement large : à partir du moment où un litige, même partiellement relève de la qualification d' « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 de la CEDH une obligation du respect du droit de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination nait à la faveur de la partie du litige visée par cette qualification d'accusation en matière pénale.
Le droit de se taire et de ne pas s'incriminer soi-même est donc directement lié à la notion de « sanction fiscale ». La Cour Européenne des Droits de l'Homme a définit la notion de sanction fiscale, dans l'affaire Bendenoun du 24 février 1994, comme étant la totalité des mesures coercitives dont dispose une autorité fiscale dans le but de dissuader quelqu'un de commettre une infraction fiscale, de le dissuader de continuer à commettre une infraction fiscale ou de le punir d'avoir commis une infraction fiscale. Dans cette affaire, la Cour a appliqué trois critères : la généralité de la sanction, le but dissuasif ou répressif de la sanction, le degré de gravité de la sanction. Ce dernier critère nous permet de supposer que toutes les sanctions fiscales d'une certaine gravité (c'est-à-dire d'un certain montant ou privatives de liberté) rentrent dans le champ de l'article 6 § 1 (en dehors des intérêts de retard de paiement qui eux ont un caractère de réparation, et ceci sans tenir compte de la qualification civile ou pénale donnée par le législateur national).
Ainsi, le droit de se taire ne trouvera à s'appliquer que pour assurer la contradiction face à une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la CEDH. Dès lors, en matière de procédure fiscale, ce n'est que lorsque l'Administration aura une attitude pouvant être qualifiée d'accusation que le droit au silence pourra être invoqué.
Le droit de se taire est un droit relativement récent puisque dégagé et affiné par la jurisprudence tant internationale qu'interne à partir des années 1990 (I). Pour autant, ce droit connaît de nombreuses limites tant juridiques que sociologiques conduisant à se demander s'il ne tend pas à être aujourd'hui une coquille vide pour grands nombres de contribuables (II).
[...] Quelques années plus tard, la même Cour a réaffirmé l'application de ce principe en matière fiscale dans l'arrêt J.B contre Suisse du 3 mai 2001 relativement à la volonté de l'Administration de se faire communiquer des documents par un contribuable. Il convient de noter que la Cour a qualifié ces principes de normes internationales généralement reconnues. Dans ces arrêts, la Cour a souligné que ce qui était prohibé était l'emploi d'une pression ou d'une contrainte, contre lesquelles le droit de ne pas s'auto–incriminer constituait un contrepoids. [...]
[...] Ainsi, le droit de se taire ne trouvera à s'appliquer que pour assurer la contradiction face à une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la CEDH. Dès lors, en matière de procédure fiscale, ce n'est que lorsque l'Administration aura une attitude pouvant être qualifiée d'accusation que le droit au silence pourra être invoqué. Le droit de se taire est un droit relativement récent puisque dégagé et affiné par la jurisprudence tant internationale qu'interne à partir des années 1990 Pour autant, ce droit connaît de nombreuses limites tant juridiques que sociologiques conduisant à se demander s'il ne tend pas à être aujourd'hui une coquille vide pour grands nombres de contribuables (II). [...]
[...] Le droit de se taire dégagé par la CEDH est aussi à mettre en parallèle avec l'Administration de la charge de la preuve en matière fiscale. En effet, même si le système fiscal français est celui de la déclaration contrôlée, il reste que le juge devra s'assurer que la manière d'obtenir et d'utiliser la preuve est équitable. Ainsi, lorsque l'Administration cherchera à prouver des faits, elle devra sans cesse respecter le principe du droit de se taire érigé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme en norme au cœur de la notion de procès équitable. [...]
[...] Le secret médical par exemple, n'a cessé de se rétrécir sous les coups de la jurisprudence civile et des lois contemporaines. Le secret professionnel dans la procédure fiscale n'est pas à l'abri de cette orientation. En effet, bien que le secret professionnel soit lié au respect de la vie privée et qu'il doit être respecté tout au long de la procédure d'imposition, de nombreuses dérogations sont prévues par le Code Général des Impôts. Le CGI prévoit ainsi des dérogations au secret professionnel en matière d'assistance fiscale internationale mais aussi au profit de certaines Administrations, autorités juridictionnelles collectivités, organismes divers, commissions. [...]
[...] Pour la Cour Européenne des Droits de l'Homme, il n'y a lieu au respect du droit de se taire que si les sanctions susceptibles d'être infligées à la suite de la procédure de taxation sont visées en elles –mêmes par l'article 6 de la CEDH. Dans de nombreux cas, les mêmes éléments de fait concourent tant à la détermination du montant d'impôt dû (ne relevant pas de l'article 6 de la C.E.D.H.) qu'à l'accusation en matière pénale (relevant de l'article 6 de la C.E.D.H). [...]
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