Commentant l'arrêt de principe prononcé par la Cour de cassation en 1993 sur les dates de valeur, le professeur Claude Ferry remarquait : « Force est de constater que le progrès technique, en permettant l'encaissement de tous les chèques le jour même, pourrait creuser la tombe des dates de valeur ». Cette tombe a semblé tenir, pour l'association UFC Que Choisir et pour deux consommateurs, dans le système informatique d'échange images chèques (EIC) qui accélère considérablement le traitement bancaire des chèques émis et encaissés en France (retranscription informatique et données chiffrées des mentions du chèque en vue du traitement par le système interbancaire de télécompensation). Or, dans les quatre jugements qu'il a rendus le 18 mai 2004, le Tribunal de grande instance de Paris n'a pas procédé à l'inhumation souhaitée par les consommateurs. Bien au contraire, il a repris la solution posée en 1993 par la Haute juridiction, y ajoutant de surcroît quelques motifs de son cru. A titre liminaire, cependant, il convient de dire un mot sur la notion de date de valeur. On évoque la date au jour de valeur à propos de « la date à partir de laquelle les sommes résultant des opérations passées en compte commencent ou cessent de porter intérêts », à savoir « un peu avant le débit et un peu après le crédit » du compte. Dans l'activité bancaire, les dates de valeur constituent donc des décalages temporels d'écriture n'affectant pas substantiellement le fonctionnement du compte mais intéressant exclusivement le calcul des intérêts. De ce fait, elles laissent indifférent le client titulaire d'un compte créditeur mais l'irrite parfois en ce qu'elles accroissent le montant des intérêts d'un compte débiteur. Depuis une vingtaine d'années s'est développé un contentieux initié surtout par les associations de consommateurs, visant à faire abolir cette pratique. Dans son arrêt du 6 avril 1993, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a partiellement condamné les banques en opérant une distinction entre les dates de valeur juridiquement causées et celles dénuées de cause. Cette solution n'a guère tari le contentieux, soit que certains établissements bancaires n'aient pas voulu s'y plier, soit que l'évolution technique - le système d'échange images chèques en l'occurrence - ait permis aux associations de consommateurs de consolider la position acquise en 1993 tout en renouvelant l'offensive sur un autre front, celui des clauses abusives.
[...] A y regarder de près, cette approche n'est satisfaisante qu'en surface. En effet, le système des dates de valeur ne vaut que pour le calcul des intérêts d'un compte débiteur, sans affecter substantiellement le fonctionnement du compte. Les intérêts étant périphériques et détachables du contrat de compte bancaire, leur cause s'accommode fort bien d'une certaine indépendance. De plus, en abandonnant les usages bancaires comme fondement des dates de valeur au profit de la cause, la jurisprudence fait oeuvre de justice contractuelle. [...]
[...] A condition que les jours de valeur existent encore à ce moment-là. En effet, il semblerait que les rangs de ses défenseurs inconditionnels s'éclaircissent, non pas que la pratique soit condamnable en elle-même mais plutôt à cause du manque de transparence de ses modalités de calcul qui conduit les auteurs les moins perméables à la polémique à en préconiser la suppression au profit d'un ajustement économiquement plus justifié des tarifs bancaires. Faute d'intervention du législateur national, l'évolution viendra peut-être du droit communautaire. [...]
[...] Outre la mise en oeuvre des procédés bancaires, le temps fonde les dates de valeur à travers le crédit. Le jugement Crédit Agricole l'énonce clairement : compte tenu des délais nécessaires à l'encaissement des chèques, la pratique invoquée pour ce type d'opération ne crée pas de déséquilibre significatif entre les parties au contrat, l'application d'intérêts aux comptes débiteurs pendant le délai d'encaissement du chèque étant justifiée par le crédit ainsi consenti par la banque à son client dès la remise du chèque Ce crédit réalisé par une avance sur remise à l'encaissement est à très court terme, de l'ordre de quelques jours (d'où l'expression jours de valeur Pourtant, la brièveté de ce crédit n'entrave pas manifestement sa rentabilité, comme le témoigne l'âpreté de la controverse que suscitent les dates de valeur. [...]
[...] Germain, Traité de Droit commercial, tome LGDJ, 17e éd V. T. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 5e éd C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire. Institutions, Comptes, Opérations, Services, Litec, 5e éd F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec 2000. [...]
[...] Le fait est d'autant plus remarquable que la cause n'a pas toujours fondé la pratique des dates de valeur. Avant 1993, la jurisprudence - émanant surtout des juges du fond - les motivait par l'usage bancaire auquel le client avait adhéré. Certes, les usages bancaires, applicables de plein droit entre professionnels, ne sont opposables qu'aux clients ayant été dûment informés et les ayant approuvés, même tacitement. Estimant peut-être que l'abus de droit ne pouvait seul efficacement préserver la clientèle bancaire de l'oppressante opacité des dates de valeur, la Cour de cassation s'est tournée vers la théorie de la cause. [...]
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