Par une ordonnance du 24 janvier 1996, le gouvernement avait mis à la charge des entreprises pharmaceutiques une contribution exceptionnelle sur leurs chiffres d'affaires, réalisés entre le 1er janvier 1995 et le 31 décembre 1995. De cette imposition étaient néanmoins déductibles les charges comptabilisées au cours de la même période au titre des dépenses de recherche réalisées en France. La LFSS pour 1999, en son article 10, supprimait cette possibilité de déduction tout en abaissant le taux de la contribution. Les sommes dues par ces entreprises devaient par ailleurs s'imputer sur les sommes reversées en 1996, ce qui avait pour effet, soit de mettre à leur charge le solde résultant de ce nouveau mode de calcul, soit de leur faire bénéficier d'un reversement par les organismes de Sécurité sociale de l'excédent perçu en 1996, au regard de ce nouveau mode de calcul.
Le Conseil constitutionnel fut saisi d'une requête tendant notamment et pour ce qui concerne notre sujet à l'annulation de l'article 10. Les parlementaires à l'origine de la saisine critiquaient le caractère rétroactif de la mesure, et ce, pour plusieurs raisons. Principalement, il était reproché au texte une violation des principes du consentement à l'impôt, d'annualité, d'égalité devant les charges publiques, de sécurité juridique et de confiance légitime. Par ailleurs, les requérants estimaient la mesure disproportionnée par rapport au risque d'annulation contentieuse de l'ordonnance.
La question qui se posait était la suivante : une loi peut-elle, et, cas échéant, dans quelles conditions, prévoir que la suppression d'un avantage fiscal devra s'appliquer non seulement pour les impositions à venir, mais également pour celles déjà acquittées ? De manière générale, la loi fiscale peut-elle, et dans quelles conditions, avoir un effet rétroactif ?
[...] Si un principe de sécurité juridique devait être expressément consacré en droit interne, il ne faudra pas craindre toutefois une restriction totale des pouvoirs du législateur en matière de rétroactivité fiscale. En effet, certains intérêts resteront protégés, tels que ceux liés à la nécessité de lutter contre les effets d'aubaines, ou commandés par la situation économique. En l'attente d'une telle consécration, même si l'appel à une notion floue peut dans un premier temps surprendre, cette solution est un pis aller satisfaisant, dans la mesure où le Conseil ne peut se reconnaître, sauf exception des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, le droit d'ériger en principe constitutionnel un principe qui n'a qu'une valeur législative, en l'espèce la non-rétroactivité de la loi. [...]
[...] Le gouvernement français craignait ainsi que l'ordonnance fût annulée pour violation du droit communautaire, ce qui aurait eu de lourdes conséquences financières pour les organismes de sécurité sociale. Le moyen d'éviter toute annulation était donc de priver d'effet les dispositions litigieuses. Néanmoins, les déductions ayant déjà été accordées, et, la contribution ayant eu un caractère exceptionnel, il fallait conférer à leur suppression un effet rétroactif. La validation avait ici ceci de particulier qu'il ne s'agissait pas de conférer à un acte administratif ou à une décision de l'administration fiscale un caractère législatif, les protégeant de toute annulation contentieuse. [...]
[...] S'agissant du principe de sécurité juridique néanmoins, la nécessité de sa protection étant désormais largement acceptée, et la primauté du droit communautaire impliquant son respect, ne peut conduire à regarder la solution retenue dans cette décision comme étant le fruit d'une construction purement prétorienne et de ce fait contestable. En l'absence de gardes fous posés par le législateur peut-être revient-il en effet au juge, à condition que cela ne soit que provisoire, d'intervenir, pour accorder au contribuable les garanties auxquelles il peut légitimement s'attendre dans un Etat de droit. [...]
[...] La référence à cette notion, plutôt vague, permet de pallier l'absence de principe à valeur constitutionnelle de non-rétroactivité de la loi. En effet, c'est parce qu'une loi ne satisfera pas au contrôle de proportionnalité, qu'elle sera considérée comme violant la Constitution, ceci hormis les cas, où il y aurait atteinte directe à, par exemple, la chose jugée ou à l'article 8 de la DDHC. Si le contrôle de proportionnalité ne permet pas de valider la loi, alors il y aura eu atteinte à une exigence constitutionnelle. [...]
[...] Cette attitude des Sages est relativement pragmatique, permettant d'ajuster l'encadrement des lois rétroactives en fonction des principes existants. En effet, comme nous le verrons ultérieurement, le contrôle de proportionnalité effectué par le juge dans la décision de 1998 visait implicitement un principe jamais expressément consacré en droit interne. Dans cette espèce, le contrôle est effectué de manière négative : l'intérêt général invoqué n'est pas suffisant, donc la loi rétroactive ne satisfait pas à une exigence constitutionnelle. Mais il est possible que l'intérêt général ait lui-même valeur constitutionnelle, auquel cas, le raisonnement serait : l'intérêt général invoqué a valeur constitutionnelle, donc la loi rétroactive est constitutionnelle. [...]
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