Le droit fiscal ne reconnaît pas l'existence de l'entreprise individuelle. Il admet cependant l'existence d'un patrimoine professionnel indépendant du patrimoine privé de l'entrepreneur. En effet, dès lors qu'une personne physique a une activité professionnelle, il convient de séparer les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) des bénéfices provenant de la gestion du patrimoine privé. L'imposition se fait donc en fonction d'une catégorie de revenus.
Ce système de séparation contraste nettement avec le principe de l'unicité et de l'indivisibilité du patrimoine en droit civil. En effet, la théorie civiliste de l'unicité du patrimoine perdure, même dans le cadre de l'activité économique: ainsi, l'entrepreneur individuel n'est, selon le législateur, titulaire que d'un seul patrimoine et, dans l'hypothèse où il souhaiterait n'affecter qu'une partie de ses biens à son activité professionnelle, il lui serait nécessaire d'en faire apport à une personne morale.
Le droit fiscal a pourtant depuis longtemps abandonné cette théorie civiliste de l'unicité du patrimoine, puisqu'il reconnaît que l'entrepreneur individuel dispose nécessairement d'un patrimoine professionnel et d'un patrimoine privé. On peut considérer que la reconnaissance par le droit fiscal d'un patrimoine professionnel est directement liée à la façon dont sera calculé le bénéfice imposable, c'est-à-dire à la théorie du bilan. L'article 38-2 du CGI dispose en effet qu'il est nécessaire de déterminer ce qui relève de l'actif et du passif de l'entreprise individuelle pour la détermination du résultat imposable.
Il convient dès lors de se pencher sur les critères qui permettent de déterminer quels seront les biens qui restent dans le patrimoine privé de l'entrepreneur, et quels seront ceux qui seront affectés au patrimoine professionnel.
En l'espèce, un entrepreneur individuel, M. Le Forestier de Quillien, conteste des redressements opérés par l'administration suite à une vérification de comptabilité.
Les redressements contestés sont relatifs à la remise en cause de l'inscription, à l'actif de l'entreprise du requérant, d'un navire qu'il avait acquis. En effet, le requérant inscrit le 31 décembre 1981 le navire à l'actif du bilan de son entreprise. Cette inscription comptable lui permet de déduire, au titre des BIC, les amortissements qu ‘il pratique, de même que les frais financiers et les charges qu'il supporte. L'administration critique cette décision d'inscription du navire à l'actif du bilan de l'entreprise, invoquant l'acte anormal de gestion. Pour l'administration, cette inscription ne s'explique que par le souci fiscal de déduire les amortissements et autres frais de gestion, et ne présente aucun intérêt pour l'activité du requérant.
Le CE casse la décision de la CAA pour erreur de droit. Considérant qu'il lui appartient de juger l'affaire au fond du fait de l'effet dévolutif de l'appel, le CE rejette la qualification de stock relative au navire du TA de Rouen, qui a considéré de ce fait que le bien n'était pas amortissable.
En ce qui concerne les amortissements pratiqués par le requérant, le CE considère que ces derniers ne peuvent être réalisés qu'au titre des exercices clos en 1982 et 1983. Le navire ayant été inscrit au bilan de son entreprise individuelle qu ‘à compter du 31 décembre 1981, le CE considère que le requérant ne peut invoquer des amortissements ainsi qu'une déduction des charges relatifs aux exercices antérieurs aux années 1982 et 1983.
Dans quelle mesure un entrepreneur est-il libre d'affecter au patrimoine professionnel des biens qui faisaient partie de son patrimoine privé et d'y appliquer la fiscalité des entreprises?
Afin de répondre à cette interrogation, nous verrons dans un premier temps que le CE réaffirme sans réserves le principe de la liberté d'affectation comptable de l'entrepreneur (I). Nous verrons ensuite que le CE pose des critères relatifs à l'entrée des biens privés de l'entrepreneur dans son patrimoine professionnel et à leur imposition en fonction des règles de la fiscalité des entreprises (II)
[...] Le CE, dans un arrêt du 24 mai 1964 a consacré le principe de la liberté d'affectation comptable. En vertu de ce principe, le contribuable est libre d'affecter un bien nécessaire à l'exercice de sa profession soit à son patrimoine privé, soit à son patrimoine professionnel, et d‘amortir tout bien qui a vocation à être productif. Le commerçant est donc libre d'inscrire à l'actif du bilan de son entreprise des éléments qui ne sont pas affectés à l'exploitation (CE novembre 1975), comme il est libre de ne pas y faire figurer les éléments qui y sont affectés. [...]
[...] En l'espèce, le CE casse l'arrêt de la CAA de Nantes pour erreur de droit. L'administration avait en effet redressé le requérant, considérant que l'inscription du navire à l'actif du bilan n'a pas été faite dans l'intérêt de l'exploitation, mais seulement dans le but de déduire les amortissements et les autres frais de gestion du navire. La CAA de Nantes invoque à l'encontre de M. Le Forestier de Quilllien un acte anormal de gestion. Le CE casse de ce fait l'arrêt de la CAA de Nantes, rappelant que la décision prise par l'exploitant constitue une décision de gestion régulière, opposable tant au contribuable qu'à l'administration. [...]
[...] L'inscription par l'entrepreneur du bien à l'actif du bilan de l'entreprise constitue donc le critère de distinction entre les biens figurant dans son patrimoine privé et ceux figurant dans son patrimoine professionnel. Ainsi, ce sera l'écriture comptable qui va conditionner l'application de la fiscalité des entreprises au bien considéré. Dès que le bien sera inscrit à l'actif du bilan, il deviendra une composante de l'actif professionnel. Seront donc seuls pris en compte pour la détermination du résultat imposable les éléments inscrits au bilan, même s'ils ne sont pas effectivement affectés à l'exploitation, comme en l'espèce. [...]
[...] Dans quelle mesure un entrepreneur est-il libre d'affecter au patrimoine professionnel des biens qui faisaient partie de son patrimoine privé et d'y appliquer la fiscalité des entreprises? Afin de répondre à cette interrogation, nous verrons dans un premier temps que le CE réaffirme sans réserves le principe de la liberté d'affectation comptable de l'entrepreneur Nous verrons ensuite que le CE pose des critères relatifs à l'entrée des biens privés de l'entrepreneur dans son patrimoine professionnel et à leur imposition en fonction des règles de la fiscalité des entreprises (II). [...]
[...] Selon le CE, le requérant était seulement en droit [ ] pour le navire entièrement équipé qu'il avait inscrit à l'actif du bilan de son entreprise individuelle le 31 décembre 1981 de pratiquer des amortissements [ ] au titre des exercices clos en 1982 et 1983 [ ] En effet, le requérant revendique à tort la possibilité d'opérer des déductions dès l'exercice clos en 1981. C'est seulement à la clôture de cet exercice qu'a lieu l'inscription au bilan de l'entreprise. [...]
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