Les trusts ne relèvent pas du seul droit de la famille, même s'ils y occupent une place essentielle, dans les pays du moins qui les ont intégrés dans leurs institutions juridiques. Leur vocation est beaucoup plus vaste et ils jouent un rôle important dans la vie des affaires. Voilà qui suffit pour rendre compte d'un jugement et d'un arrêt récents, le premier rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre en matière d'ISF, le second par la Cour d'appel de Rennes en matière de droits de succession.
De même que les trusts étrangers produisent leur effet - parfois contesté on le verra - dans l'ordre du droit civil français, ils sont susceptibles d'être attraits dans le for fiscal français. Les points de rattachement sont en effet multiples, propres à déclencher l'application d'une règle fiscale française, qu'il s'agisse de droits d'enregistrement (mutations à titre gratuit, ISF) ou de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ou des sociétés, voire de la TVA.
Encore faut-il qualifier l'institution selon la loi française applicable pour décider si elle s'y intègre et selon quelle figure. L'erreur est parfois commise par certains fiscalistes qui prétendent tirer, en droit français, les conséquences de la qualification retenue par la loi étrangère sous l'empire de laquelle le trust a été créé et fonctionne. Comme le rappelait récemment Daniel Gutmann (Liber amicorum Cyril David, LGDJ 2005, Le juge fiscal et la loi étrangère, p. 191 s., note 28), « il s'agit de connaître le droit étranger pour procéder à la qualification selon le droit français ». Là réside, il va de soi, la difficulté.
[...] Ensuite, le trust, à la différence de la fiducie, est un acte unilatéral et en aucune manière un contrat. Quoi qu'il en soit, le trust en cause, devenu irrévocable par décision du constituant en 1950, était de nature testamentaire, puisqu'il prévoyait la transmission des actifs et des revenus, en cas de décès, à la descendance légitime du constituant ou, à défaut d'une telle descendance, à des personnes désignées par testament. Au décès du constituant, en 1996, ses filles ont reçu les actifs du trust en pleine propriété. [...]
[...] Or si cet acte est gratuit - ce qu'est le trust testamentaire la nullité serait encourue car le formalisme de l'article 931 redevient, pour cette raison, exigible. De plus, les conditions de fond de la donation doivent être, elles aussi, respectées. S'agissant d'un contrat, le consentement du donateur et du donataire sont requis. Or, en l'espèce, le trust est un acte unilatéral - abusivement qualifié de contrat de fiducie, pour contourner sans doute l'obstacle. Mais surtout, l'acceptation doit intervenir impérativement du vivant du donateur par l'effet d'une jurisprudence et d'une doctrine concordantes. [...]
[...] Les droits sont également dus si les biens donnés étaient situés en France. Les mêmes règles s'appliquent mutatis mutandis à l'exigibilité des droits de succession. En l'espèce, aucune référence n'est faite au domicile du constituant ou de ses filles, pas plus qu'à la situation des actifs du trust. La question devait cependant revêtir une certaine pertinence en l'espèce puisqu'elle est mentionnée par la Cour, la Convention du 24 novembre 1978. Mais, après avoir indiqué qu'il fallait en considérer les termes, sans autre précision, la Cour se contente d'observer que le trust n'était pas taxé aux Etats Unis . [...]
[...] Or le constituant du trust s'était irrévocablement dessaisi de son vivant par l'effet du transfert des actifs en cause à un trust. Seul constituerait un legs un trust testamentaire révocable. Enfin, si la mutation à titre gratuit intervenue, qui n'est pas contestable, ne se coule ni dans le moule de la donation, ni dans celui du legs, il est douteux qu'elle puisse faire l'objet d'un assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit. Les dispositions du code général des impôts visent expressément ces deux cas de figure, et ne visent qu'eux, pour les soumettre à des régimes sensiblement différents. [...]
[...] Nous avons longuement évoqué ce débat dans notre commentaire sous le jugement du Tribunal de Nanterre. Deux positions peuvent en effet être adoptées. L'une, radicale, consiste à déclarer non applicables, par défaut en quelque sorte, les dispositions du code général des impôts, à exonérer donc la mutation. Cette thèse est défendue sans nuances par le Doyen Hatoux. L'autre consiste à extrapoler une solution élaborée, en matière civile, par Y. Lequette à propos de l'arrêt Zieseniss du 20 février 1996, selon laquelle l'existence en substance d'une mutation à titre gratuit, catégorie générique dont relèvent spécifiquement la donation et le legs, suffit à déclencher par extension ou extrapolation l'exigibilité des droits correspondants. [...]
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