Le droit du travail est en quête permanente d'une certaine autonomie. Toutefois, le contrat de travail reste un contrat dont la conclusion suppose une rencontre des volontés. Mais, cette conclusion s'opère dans le cadre d'un marché de l'emploi où candidats et recruteurs défendent âprement leurs intérêts. Ainsi, il est fréquent que le candidat soit tenté de mentir lors de son recrutement. Toutefois, en a-t-il le droit… ?
Le salarié est une personne qui perçoit un salaire. Il est donc partie à un contrat de travail. Ici, il convient de donner une acception plus large à ce terme. Salarié désigne surtout le candidat au salariat. Cette projection terminologique n'est toutefois pas anodine. En effet, le candidat a vocation à devenir salarié, et le salarié est un ancien candidat.
Le recrutement est défini par le Vocabulaire Capitant comme « l'opération destinée à procurer du personnel ». Il s'agit donc d'une phase précontractuelle qui doit être distinguée de l'embauchage (phase de conclusion du contrat) et de la phase d'exécution du contrat. Toutefois, le recrutement débouche sur l'embauchage et sur l'exécution du contrat de travail. Ainsi, la cloison entre phases n'est pas étanche, les événements survenant pendant le recrutement peuvent avoir une incidence sur l'exécution du contrat. Cette dimension ne doit pas être éludée. La présente étude excédera donc nécessairement le seul cadre de la phase de recrutement.
« Lors » incite en revanche à se limiter au mensonge du candidat émis pendant la phase de recrutement. Ainsi sera en principe exclue toute considération pour les mensonges émis pendant la phase d'exécution du contrat de travail. Toutefois, le mensonge présente un caractère continu en ce qu'il trouble la connaissance d'autrui pour un temps indéterminé ou du moins jusqu'à ce qu'il soit dénoncé. Ainsi le mensonge lors du recrutement devient un mensonge dans la relation de travail si le salarié est recruté et qu'il ne se dénonce pas à l'employeur. Le mensonge « lors » du recrutement excède par nature les frontières de la phase de recrutement.
Le mensonge peut être défini comme « l'assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper » (Dictionnaire Robert). À cette forme active du mensonge, il convient de rajouter le silence qui en est l'expression passive. Il conviendrait très certainement d'assimiler ici dol au sens civiliste et mensonge. Toutefois, le dol est une notion précise et juridique alors que le mensonge est un terme d'usage courant. Au dol s'attache un régime, ce qui n'est pas le cas du mensonge. Il conviendra donc d'être vigilant aux spécificités que peut revêtir le mensonge d'un candidat à l'emploi en droit du travail par rapport au dol de droit commun qu'il ne semble pas toujours caractériser.
Enfin, le terme de « droit » peut s'entendre dans un premier temps comme désignant un droit subjectif (le « d » minuscule incite à cette acception), c'est-à-dire un droit appartenant à une personne et reconnu par le Droit. Toutefois, il convient d'avoir une acception plus large de ce terme. Il conviendra de le définir comme le fait d'avoir un droit reconnu de mentir mais aussi comme le fait de pouvoir mentir sans encourir de sanction, c'est-à-dire la liberté de mentir.
Il convient donc de s'interroger sur l'existence pour le salarié d'un droit de mentir lors de son recrutement. Ce questionnement prend certes sa source dans le cadre du recrutement mais trouve très certainement ses réponses au-delà de ce cadre.
Ces interrogations présentent avant tout un intérêt historique. En effet, le Droit du travail ne s'est pendant très longtemps pas intéressé à la formation du contrat de travail et à la question de l'accès à l'emploi. L'article 121-1 du Code du Travail permet ainsi d'appliquer le droit commun à ces questions non réglées directement par le Droit du travail. Cette position s'atténue en 1973 lorsque le Droit du travail s'empare de la question de la rupture du contrat de travail. Concernant précisément le recrutement, le législateur intervient en 1975 afin de protéger l'accès à l'emploi des femmes enceintes. Enfin, la Loi du 31 décembre 1992 adoptée suite au rapport Lyon-Caen, reprend les principes existants en les précisant. Il faut noter en particulier que cette loi introduit l'article 120-2 et l'article 121-6 protégeant le candidat de questions excessives de la part du recruteur ou encore l'article 122-45 protégeant les candidats (et les salariés) de nombreuses discriminations. Ainsi d'un point de vue historique, la question du recrutement et de manière plus générale celle de l'emploi sont devenus de véritables enjeux pour le législateur.
D'un point de vue politique, la protection du candidat à l'emploi est devenu un enjeu majeur tant idéologiquement que d'un point de vue électoral. Ainsi l'actualité foisonne de propositions en matière d'accès à l'emploi, surtout en ce qui concerne, dans ce domaine, la protection des candidats les plus exposés à la discrimination ou au refus d'embauche. La discrimination positive (« positive action ») peut en être un exemple. Le droit du salarié au mensonge intéresse donc les décideurs publics au titre du thème plus général de l'accès à l'emploi.
D'un point de vue idéologique, la question du droit au mensonge du salarié lors de son recrutement pose de manière sous-jacente la question de la rationalisation du marché de l'emploi. En d'autres termes, est-ce que tout est permis (tant du côté du recruteur que de celui du candidat) sur ce marché qui présente la spécificité d'organiser la vente et l'achat d'une valeur humaine: la force de travail, la disponibilité.
Enfin, derrière cette problématique du droit au mensonge, se profile des questionnements fondamentaux en Droit du travail. C'est d'abord celui du difficile équilibre entre liberté d'entreprendre et liberté du salarié. En effet autour du mensonge du salarié se cristallisent des intérêts contradictoires: volonté d'être embauché pour l'un, volonté d'avoir un personnel déterminé correspondant à ses besoins pour l'autre. Trop de mensonges autorisés et c'est la liberté d'entreprendre qui est atteinte; trop de mensonges sanctionnés et c'est le salarié qui se trouve atteint dans sa liberté. D'autre part se pose la question de l'autonomie du Droit du travail. En effet, la notion commune de mensonge entretient des liens étroits avec la notion juridique de dol au sens civiliste. L'intérêt est donc aussi ici d'observer dans quelle mesure le Droit du travail s'affranchit de la notion de dol de Droit commun afin de qualifier juridiquement le mensonge.
Le mensonge n'est pas une notion juridique. Il semble en premier lieu renvoyer au dol de droit civil puisqu'il est ici question du mensonge dans la phase précontractuelle, celle du recrutement. Le mensonge renvoie en tout cas à l'idée de mauvaise foi laquelle est aussi réprimée par le Code civil, du moins pendant l'exécution du contrat (article 1134 c.civ.). Le mensonge semble ainsi renvoyer à des qualifications de comportements illicites selon le Droit commun. L'égalité des individus postulée par le Code civil conduit semble-t-il à prohiber le mensonge. Il n'y aurait donc pas de droit au mensonge. Toutefois, le Droit du travail s'est peu à peu emparé de la question du contrat de travail ainsi que de la phase qui le précède. Si le Code du Travail indique en son article L120-4 que le « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi », il indique aussi de manière bien plus générale à l'article L120-2 que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Le Droit du travail apporte par cette disposition l'idée que l'égalité entre les partenaires de travail n'est pas aussi absolue que ne le laisse penser le Droit civil lorsqu'il encadre la formation des contrats. Ainsi le Droit du travail affaibli fortement l'exigence de bonne foi du candidat lors de son recrutement, faisant du mensonge la seule arme restant à sa disposition lorsque ses libertés individuelles sont atteintes de manière excessive. Il existerait alors un droit de mensonge, un droit de secours, un droit de compensation lorsque le recruteur ne suit plus les règles du jeu.
Ainsi, si le mensonge est en principe prohibé entre des cocontractants égaux au sens du Code civil (I), il semble en revanche admis dans certaines circonstances entre candidat et recruteur au sens du Droit du travail (II).
[...] C'est le cas lorsque le recruteur l'interroge dans un but étranger au recrutement ou sur un élément dont la prise en compte aurait un caractère discriminatoire. Toutefois, ce droit de mentir est strictement circonscrit à ces hypothèses. La mauvaise foi du candidat hors de ce cadre sera sanctionnée La sanction de la réponse mensongère à une question licite Le candidat qui ment en réponse à la question licite au sens de l'article L121-6 Code du Travail s'expose à voir caractérisé le dol et donc à ce que son contrat de travail soit annulé. [...]
[...] Deux séries de questions sont encadrées par le législateur et autorisent ainsi une réponse mensongère: il s'agit en premier lieu de questions relatives à la capacité du candidat à occuper l'emploi et en second lieu de questions d'ordre discriminatoire Le mensonge face à une question relative à la capacité d'occuper l'emploi La loi du 31 décembre 1992 a introduit l'article L121-6 dans le Code du Travail, il s'agit d'une application à la phase précontractuelle de l'article L120-2. Cet article dispose que Les informations demandées [ . ] au candidat à un emploi [ ] ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles L'alinéa 2nd indique que Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles Par cette disposition, le législateur circonscrit le champ des questions qui sont posées par le recruteur. [...]
[...] Il n'y aurait donc pas de droit au mensonge. Toutefois, le Droit du travail s'est peu à peu emparé de la question du contrat de travail ainsi que de la phase qui le précède. Si le Code du Travail indique en son article L120-4 que le Le contrat de travail est exécuté de bonne foi il indique aussi de manière bien plus générale à l'article L120-2 que Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché Le Droit du travail apporte par cette disposition l'idée que l'égalité entre les partenaires de travail n'est pas aussi absolue que ne le laisse penser le Droit civil lorsqu'il encadre la formation des contrats. [...]
[...] La présente étude excédera donc nécessairement le seul cadre de la phase de recrutement. Lors incite en revanche à se limiter au mensonge du candidat émis pendant la phase de recrutement. Ainsi sera en principe exclue toute considération pour les mensonges émis pendant la phase d'exécution du contrat de travail. Toutefois, le mensonge présente un caractère continu en ce qu'il trouble la connaissance d'autrui pour un temps indéterminé ou du moins jusqu'à ce qu'il soit dénoncé. Ainsi, le mensonge lors du recrutement devient un mensonge dans la relation de travail si le salarié est recruté et qu'il ne se dénonce pas à l'employeur. [...]
[...] ] de révéler son état de grossesse Le droit de mentir était explicitement admis par la loi. La loi du 31 décembre 1992 a par la suite introduit l'article 122-45 lequel indique Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement [ . ] en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge,de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou [ ] en raison de son état de santé ou de son handicap Cet article liste de manière exhaustive les éléments qui ne peuvent pas être déterminant du consentement du recruteur. [...]
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