Dans les pays de common law, la jurisprudence (case law) joue un rôle particulièrement important : en effet, en vertu de la règle du précédent, les arrêts des cours d'appel lient les tribunaux inférieurs jugeant d'autres affaires et, souvent, ils lient même les cours qui les ont rendu (rule of stare decisis).
La situation est toute autre dans les pays de tradition romano-germanique qui répugnent à l'existence d'un droit créé par les tribunaux et non par le législateur. C'est le cas en France où l'article 5 du Code civil interdit les arrêts de règlement : la décision d'un juge ne peut régler à l'avenir le sort d'une question de droit, elle ne s'applique qu'à l'affaire jugée.
Et pourtant, la jurisprudence, définie par Jean Pelissier comme un ensemble d'interprétations de textes, de qualifications, de règles décrites et appliquées ou implicitement consacrées par des décisions, dont la régularité ou l'autorité de la juridiction qui en est l'auteur permet de pronostiquer la réitération, fait incontestablement parties des sources du droit, notamment en droit du travail, les présidents de la chambre sociale impulsant une véritable politique d'orientation.
La jurisprudence est donc constituée de l'ensemble des décisions de justice – plusieurs millions par an (à titre d'exemple, 2 665 664 décisions de jurisprudence ont été rendues en matière civile et commerciale en 2006). Les décisions de justice relatives au droit du travail proviennent en grande partie des conseils des prud'hommes qui traitent la majeure partie des litiges. Ils ne connaissent toutefois que les différends se rattachant au contrat de travail et d'autres juridictions peuvent être sollicitées : le tribunal d'instance lorsqu'il y a des contestations en matière d'élections professionnelles dans les entreprises, le TGI en cas de contestations relatives à la validité ou à l'interprétation des conventions collectives, les juridictions pénales pour certaines infractions commises dans un lieu de travail mais aussi, parfois, des juridictions administratives lorsque, par exemple, un règlement ou une décision administrative est à l'origine d'un contentieux. Cependant, c'est la chambre sociale de la Cour de cassation qui constitue le principal foyer de production jurisprudentielle en matière de droit du travail et, lorsque nous parlerons de jurisprudence du droit du travail, c'est bien souvent à celle de la Cour suprême et à celle de sa chambre sociale en particulier que nous nous référerons.
[...] Un droit acquis à une jurisprudence figée ? Y'a-t-il un droit acquis à une jurisprudence figée ? En d'autres termes, un revirement de jurisprudence a-t-il vocation à s'appliquer rétroactivement ? La question divise : certains se font les thuriféraires d'une jurisprudence figée d'autres, avec acharnement, s'en font les contempteurs - Le rapport Molfessis du 30 novembre 2004, au nom de la sécurité juridique et de l'équité, juge insoutenable le principe d'application immédiate ou rétroactive de certaines solutions jurisprudentielles. - La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juillet 2004, avait d'ailleurs anticipé les préconisations du rapport en décidant de moduler les effets dans le temps de ses décisions et en refusant l'application de sa nouvelle solution au cas litigieux. [...]
[...] Dès lors, afin d'examiner les intérêts et les enjeux de la jurisprudence en droit du travail, il convient de se poser deux questions : Dans un contexte d'inflation législative, quelle place accorder à la jurisprudence dans les sources du droit du travail ? En d'autres termes, dans quelle mesure la jurisprudence exerce-t-elle une influence sur le droit du travail français et quels en sont les enjeux ? Nous verrons que la jurisprudence contribue grandement au droit du travail dont elle constitue ainsi une source non négligeable avant d'envisager les enjeux de cette jurisprudence à travers la question de l'application rétroactive du revirement (II). [...]
[...] Sargos, le président de la chambre sociale, avait déjà posé les jalons de la réaffirmation de la rétroactivité de la jurisprudence (voir civ. 1ère octobre 2001 sur l'obligation d'information du médecin). - L'art du Code civil semble aller dans le sens des opposants à la rétroactivité du revirement : en effet, comme le dit Bernard Gauriau, on peut considérer que ce qui vaut pour la norme légale vaut, à plus forte raison, pour la norme jurisprudentielle. Mais d'un autre côté, ne peut-on pas penser qu'il faille adopter une lecture exégétique de l'article 2 et cantonner le principe de non- rétroactivité à la loi ? [...]
[...] - Mis à part cet arrêt Moline, le droit du travail français n'a pas connu d'autres tremblements de terre. C'est ce que souligne par une belle métaphore Frédéric-Jérôme Pansier qui conclut son article sur une note d'optimisme : La Cour de cassation demeure calme et impassible comme le cours de la Seine. C'est parce qu'elle sait, depuis Héraclite, que nul homme ne se baigne deux fois dans la même rivière et que les revirements ne sont pas le gage d'une bonne politique en droit du travail - Ajoutons, pour conclure, que le contrat de travail doit prendre en compte toute évolution législative réglementaire et même jurisprudentielle dans le cadre de son exécution puisqu'il est un contrat à exécution successive. [...]
[...] - Un arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 5 novembre 2002 annule, en raison de l'absence de contrepartie financière, la clause de non- concurrence convenue le 4 mars 1996 entre la société SAMSE et Monsieur Breschi dans le cadre d'une relation de travail. Il y a donc application rétroactive du revirement de jurisprudence. - L'employeur forme donc un pourvoi en cassation en invoquant l'article 6 de la convention EDH ainsi que les articles et 1124 du Code civil que la cour d'appel aurait violés en faisant une application rétroactive de la jurisprudence Moline, ce qui revient à sanctionner les parties pour avoir ignoré une règle dont elles ne pouvaient avoir connaissance au moment de la conclusion du contrat. [...]
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