La période qui dure depuis 1973 n'a longtemps été pensée que comme une crise, successivement comme une crise du pétrole, puis comme une crise économique, comme une crise de l'emploi, enfin comme une crise de l'Etat et comme une crise du social... Cette crise était certes perçue comme grave et longue, mais elle n'était que passagère... Le problème est que plusieurs générations, dont -en partie au moins- la nôtre, ont vécu dans l'idée qu'il y aurait une "sortie de crise", un "bout du tunnel" autrement dit que l'on en viendrait nécessairement à retrouver la croissance exceptionnelle des 30 Glorieuses. Cette illusion n'a par ailleurs pas totalement disparu, si l'on en croit les discours sans doute démesurément enthousiastes qui accompagnent la reprise récente de la croissance.
Ce passéisme a été et est d'autant plus pernicieux qu'il était finalement assez confortable puisqu'il a encouragé une certaine léthargie des mentalités à l'heure même où des adaptations en profondeur auraient dû être envisagées. Tout le monde commence à s'en convaincre : cette "crise" n'en n'est pas une . La nouvelle économie et l'impact de plus en plus visible de la mondialisation sont effectivement en train de lever le voile sur cette mutation de grande ampleur qui avait longtemps été niée.
Or ni le travail, ni les différentes formes de régulation sociale n'ont échappé à cette mutation. C'est là tout l'intérêt du sujet proposé qui incite précisément à faire cette démarche de ne pas envisager les évolutions présentes du marché du travail sous le seul angle de la fracture sociale, de la précarité ou selon le concept durkheimien de l'anomie ou de la "maladie" dont serait victime le corps social depuis plus d'un quart de siècle.
Le sujet est en réalité assez ambitieux puisqu'il implique une réflexion plus globale sur les caractéristiques et sur les manifestations de cette mutation structurelle et qu'il pose donc de manière sous-jacente la question de savoir comment et dans quel état d'esprit il faut aborder cette situation nouvelle.
On abordera dans un premier temps la question des transformations concrètes du contenu du travail sous l'effet de plusieurs facteurs structurels d'évolution. La question -plus abstraite- de l'évolution de la valeur travail, c'est-à-dire de la modification du rapport que l'on a au travail sera envisagée dans un deuxième temps.
Ce plan paraîtra sans doute un petit peu artificiel. Il a en effet été nécessaire, pour la clarté du propos, de classifier ces différents facteurs d'évolution ainsi que les conséquences qu'ils pouvaient avoir sur le contenu du travail comme sur la valeur qui lui est accordée. En réalité, il faut garder à l'esprit l'idée que tous ces aspects sont étroitement imbriqués et qu'il n'y a pas à facteur unique conséquence unique, loin de là.
[...] Quoi qu'il en soit, le travail prend moins de temps dans notre vie ; Pour certains auteurs (Rigaudiat) " nous travaillons à mi-temps par rapport à nos trisaïeuls, la tendance à la diminution n'ayant jamais cessé depuis un siècle et demi En l'espace de cinq générations, le temps de travail à l'année aurait diminué de 45% et cette baisse tendancielle se poursuivra avec les 35 heures. Par ailleurs, comme nous entrons dans une autre logique que la logique tayloriste productiviste, la référence au temps comme critère d'appréciation du travail devient moins fiable. [...]
[...] De fait, les changements génèrent une nouvelle division du travail entre les hauts dirigeants et l'ensemble des autres travailleurs. A une division du travail qui opposait schématiquement salariés et encadrement, se substitue une nouvelle division plus frustrante, entre des dirigeants chargés de stock-options et le reste des salariés qu disposent, au mieux d'un accès symbolique au capital par l'intéressement, la participation, l'actionnariat. Par ailleurs, les mutations même de la nature du travail contribuent certainement à modifier en profondeur la relation au travail. [...]
[...] De manière plus large, le terme de "travailleurs du savoir" qu'emploie Jeremy Rifkin renvoie à tout ce que l'on appelle les manipulateurs d'abstraction ou les métiers de l'intelligence. Il s'agit de tous ces métiers en pleine croissance où les gens travaillent de manière abstraite, simplement avec leur intelligence, sans rien produire de concret mais tout en s'alimentant de la production matérielle. En vrac, il s'agit de tous les métiers de la communication, des consultants (Andersen Consulting France embauche environ 40 personnes toutes les 2 semaines), des chercheurs, des ingénieurs conseil Ces travailleurs du savoir constituent aussi cette nouvelle élite mondiale des travailleurs que Robert Reich avait appelé les "manipulateurs d'idées" (L'économie mondialisée), c'est-à-dire ces spécialistes ultraqualifiés qui travaillent dans toutes les grandes villes du monde, dont les attaches géographiques sont faibles et qui sont plus attachés au réseau planétaires au sein duquel ils évoluent. [...]
[...] Ces changements structurels appèlent à la réinvention de notre modèle social pour qu'il soit encore capable de faire sens et d'assurer un autre lien social. Le récent enthousiasme suscité par le retour tant attendu de la croissance ne doit pas nous faire croire que les nouvelles dynamiques à l'œuvre imposent un relâchement des volontés déjà fragiles d'adaptation. Plus de millions d'actifs sont encore au chômage et des pans entiers de la population n'entrent pas dans ce chiffre. Aussi convient-il de faire preuve de la plus grande circonspection, le retour au plein emploi servi par la thèse du messie-reprise n'est pas une réalité qui advient à force d'incantations. [...]
[...] Ce statut professionnel correspondrait donc à une vision extensive du contrat de travail telle qu'elle avait déjà été mise en avant par la Commission Boissonnat avec l'idée du contrat d'activité. Mais le statut des travailleurs proposé par Alain Supiot va au-delà du contrat d'activité puisqu'il serait suffisamment large pour inclure des types d'activité autres que rigoureusement productives et marchandes comme par exemple la formation ou l'engagement dans la vie associative ou dans des missions d'intérêt général. En ce qui concerne l'adaptation de notre système de protection sociale ce statut professionnel permettrait aussi de garantir un maximum de cohésion sociale puisqu'Alain Supiot propose de lier les droits sociaux au statut de travailleur et non à la prestation réelle de travail. [...]
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