La différence entre travail dépendant et travail indépendant ne représente pas seulement une distinction que reconnaissent tous les Etats européens ; elle tend aussi à s'exprimer dans les termes d'une opposition nette entre deux modèles disciplinaires différents. Distinguer ces deux notions est, en effet, un problème de première importance en raison du fait que le travail salarié (communément appelé « dépendant ») est gouverné par des principes et des règles profondément différents de ceux qui régissent le travail indépendant. Dès lors, définir une relation de travail comme salariée ou indépendante a des conséquences importantes aussi bien du point de vue strictement juridique que du point de vue socio-économique.
Ces deux grandes catégories autour desquelles le monde du travail est traditionnellement organisé en Europe sont régies par le droit privé, lui-même subdivisé : droit du travail d'un côté (pour les dépendants = salariés) et droit civil et commercial (pour les indépendants) de l'autre.
Le droit du travail, qui a pour objet la protection du travail salarié, s'inspire d'instances de protection du travailleur. En effet, ce dernier est considéré juridiquement et socialement comme la partie faible du contrat. C'est pourquoi, pour ce qui est des aspects principaux concernant le rapport disciplinaire entre le travailleur salarié et l'employeur, la plupart des législations européennes sont intervenues de façon à réduire les espaces d'autonomie contractuelle qui sont normalement reconnus aux deux parties. Ces interventions législatives ont eu pour effet de garantir aux travailleurs des droits et des protections liés à la condition de subordination (ou de dépendant) dans laquelle ils se trouvent par rapport à l'employeur et principalement : une protection sociale.
Le travail indépendant, en revanche, est traité comme un contrat régi selon les règles générales élaborées par le droit civil, et, dans de nombreux cas, par le droit commercial. Cela correspond à une différence essentielle d'approche sur le plan de la réglementation : le travailleur indépendant n'est pas considéré comme un contractant faible mais sur un plan d'égalité, substantielle et formelle, avec l'autre partie (le commanditaire). Pour cette forme de travail il n'existe pas par principe de législation spéciale de protection du travailleur, il est en effet considéré exactement comme un sujet quelconque passant un contrat.
Pour résumer, ce qui caractérise selon nous la discipline réglant le travail indépendant est l'absence d'un système de protection analogue à celui du travailleur salarié, puisque l'échange entre travail et rémunération se fait selon les règles du marché.
Ceci dit, la distinction binaire faite entre travail dépendant et indépendant souffre aujourd'hui d'une remise en cause. En effet, le monde du travail, dans toute l'Europe, a été marqué ces dernières années par de rapides et profondes mutations en ce qui concerne tant l'organisation du travail que son contenu. De nouvelles formes d'organisation du travail telles que l'externalisation et la sous-traitance sont de plus en plus répandues. Cette tendance a favorisé l'émergence de formes de travail économiquement dépendant qui relèvent d'une zone grise située entre travail salarié et travail indépendant. Différents termes ont été élaborés dans le but de décrire ce groupe de travailleurs et de le classer par catégories. Les termes les plus fréquemment utilisés sont ceux de “travailleurs économiquement dépendants”, "travailleurs para subordonnés” ou “personnes pouvant s'apparenter à des salariés”.
Le sujet qui nous est proposé nous permet d'envisager l'évolution de la distinction faite en Europe entre le travail dit dépendant et indépendant.
Mais qu'entendent les différents systèmes juridiques lorsqu'ils font référence à ces notions ? Comment font-ils la distinction entre les deux ? L'évolution des rapports de travail est elle prise en considération dans la distinction ?
Nous tenterons de répondre à ces questions en étudiant dans une première partie cette distinction comme traditionnellement commune aux systèmes juridiques européens (I) avant d'envisager dans un second temps cette distinction à l'épreuve des nouvelles formes de travail (II).
[...] La distinction du travail dépendant et indépendant en Europe I UNE DISTINCTION TRADITIONNELLE COMMUNE AUX SYSTEMES JURIDIQUES EUROPEENS LES INDICES DE LA DISTINCTION 1. Les sources de la distinction 2. Les critères communs de la distinction La définition du travail dépendant La déduction du travail indépendant LE ROLE DU JUGE DANS LA DISTINCTION : 1. L'intervention du juge face à la distinction binaire 2. Le juge : maître de l'appréciation des indices II UNE DISTINCTION TRADITIONNELLE A L'EPREUVE DES NOUVELLES FORMES DE TRAVAIL L'EMERGENCE DE SITUATIONS INTERMEDIAIRES : LA ZONE GRISE» 1. [...]
[...] On les retrouve surtout dans les secteurs de la vente, du conseil et de la comptabilité. Il existe peu de dispositions législatives pour la protection de ces travailleurs : la santé et la sécurité sur les lieux de travail, les congés de maternité Les alternatives possibles En réalité, pour Monsieur Supiot, le débat sur la reconnaissance des travailleurs dépendants économiquement porte plus sur le devenir du droit du travail : le droit du travail a t'il vocation à devenir un droit commun de toutes les relations de travail ? [...]
[...] D'autres pays d'Europe, s'ils n'ont pas encore adopté de notion légale du travailleur économiquement dépendant, ont néanmoins envisagé de les faire bénéficier de certains avantages. Il s'agit par exemple de l'Autriche, du Danemark, de la Finlande et des Pays Bas Illustrations en Europe Dans différents pays d'Europe, ainsi que l'explique Gérard Lyon-Caen, le travail économiquement dépendant prend de multiples formes. Cette catégorie est très hétérogène et recoupe des réalités très différentes. Nous pouvons tout d'abord prendre comme exemple le secteur de l'agriculture qui est particulièrement marqué par ce phénomène. [...]
[...] La notion de subordination se présente, avant tout, comme une notion juridique. La subordination se révèle être une dépendance juridique, à ne pas confondre avec la notion dépendance économique que l'employé peut avoir face à l'employeur. En tant que notion juridique, la subordination désigne un élément structurel du rapport liant le salarié à son employeur : le salarié sera alors assujetti aux pouvoirs directifs de l'employeur. Ces pouvoirs directifs se manifestent de diverses manières telle que la possibilité pour ce dernier de donner des instructions à l'employé quant à l'exécution du travail, d'exercer un contrôle sur le travailleur pendant qu'il exécute sa prestation ainsi que de sanctionner d'éventuels manquements. [...]
[...] Les Etats européens envisagent la notion de dépendance économique de manière différente. Certains Etats, tels que l'Italie, la Grèce ou la Grande-Bretagne, ont adopté une définition du travailleur économiquement dépendant. L'exemple de l'Italie[12] est intéressant car elle a récemment tenté de dépasser le clivage entre travail dépendant et travail indépendant. En effet, grâce à la réforme Biaggi, l'Italie, qui connaissait dans les années 60 et 70 un des systèmes de droit du travail les plus rigides d'Europe, a tenté de dépasser la distinction entre travail dépendant et travail indépendant. [...]
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