La polarisation sur les conditions de travail revêt une dimension sociale prééminente puisqu'il semble que le bien-être de la collectivité de travail soit devenu synonyme de préoccupation récurrente dans les relations professionnelles contemporaines. Cette inquiétude donne toute sa dimension à l'activité normative de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) surnommée « conscience sociale de l'humanité » qui évolue de manière pragmatique et réaliste afin de promouvoir l'amélioration des conditions de travail.
L'OIT est une institution spécialisée et satellite des Nations Unies qui a pour vocation d'assurer la promotion de la justice sociale et des droits de la personne humaine et du travail. L'OIT est fondée en 1919 sur la base d'une Constitution qui proclame « qu'une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale » et que, par conséquent, « la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ». A l'époque, la création de l'OIT est notamment envisagée pour corriger les pratiques et les législations nationales mais surtout les "conditions de travail impliquant l'injustice, la misère et les privations » par l'adoption d'une réglementation internationale du travail.
Cette organisation prééminente dans l'ordre international comporte plus de 170 membres et rassemble près de 2500 fonctionnaires de par le monde. En effet, le siège de l'OIT est implanté en Suisse et plus précisément à Genève mais on recense également des bureaux dans les capitales des Etats membres importants comme Paris ou Lisbonne. Cette organisation est composée d'un triptyque institutionnel c'est-à-dire la Conférence Internationale du Travail composée par l'ensemble des délégations des états-membres, le Conseil d'Administration perçu comme l'organe exécutif de l'OIT déterminant les choix et les priorités de l'organisation ainsi que le Directeur général. De plus, l'OIT est pourvue d'un secrétariat général appelé « Bureau International du Travail » notamment en charge d'un travail d'expertise et de préparation de la mission normative de l'OIT.
L'OIT adopte des normes c'est-à-dire des règles qui prescrivent ce qui doit être en se basant sur des jugements de valeur. De 1919 à 1939, l'activité normative de l'OIT est très prolifique mais elle connaît ensuite un certain essoufflement jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui correspond à la prolifération des textes concernant les libertés publiques. Ainsi, la Déclaration de Philadelphie du 10 Mai 1944 relance le mouvement normatif et elle est perçue comme l'expression de l'engagement des instances gouvernementales nationales car, selon la Conférence Internationale du Travail, « en adhérant librement à l'OIT, l'ensemble de ses membres ont accepté des principes et droits énoncés dans sa Constitution et la Déclaration de Philadelphie ». Les normes internationales du travail, adoptées selon des principes démocratiques sont des outils universels qui reflètent des valeurs et des principes communs concernant le travail. Ces normes ont vocation à s'appliquer à toutes les catégories de travailleur y compris aux fonctionnaires donc elles permettent de couvrir les diverses branches professionnelles. Par conséquent, elles permettent, après un dialogue tripartite, d'esquisser un cadre législatif international original sur toutes les questions affectant le travail et l'emploi et la recherche de solutions tendant à améliorer les conditions de travail. Les normes de l'OIT sont communément désignées sous le vocable de « Code International du Travail ». Pour appréhender le rôle de l'OIT, il est nécessaire de distinguer deux types de normes. En effet, cette organisation onusienne peut produire des conventions c'est-à-dire des traités multilatéraux destinés à créer des obligations internationales pour les états qui les ratifient ainsi que les recommandations utiles pour orienter l'action des instances étatiques mais qui ne revêtent aucune force contraignante. Comme l'a affirmé Nicolas Valticos, « l'idée d'une réglementation internationale du travail (…) est née pendant la première moitié du XIXème siècle dans l'esprit d'hommes désireux d'obtenir une amélioration concrète des conditions de travail parfois effroyables dans l'industrie naissante ». Le dessein de cette organisation, à travers l'établissement de certaines normes, n'est autre que l'accès à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d'équité, de sécurité et de dignité. Cette préoccupation constante est notamment traduite par quatre objectifs stratégiques dont on peut parfois relever une certaine interdépendance : la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l'abolition effective du travail des enfants et l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.
Les interrogations sur l'apport c'est-à-dire sur la contribution des normes édictées par l'OIT sur la condition des salariés sont devenues le pain quotidien des juristes mais il ne faut pas oublier que la mesure de l'influence et de l'opérationnalité d'une règle ne peut se faire sans évoquer l'efficacité et l'effectivité de cette dernière sur les pratiques et les législations nationales ce qui revient à envisager la validité et la légitimité du système normatif en relation directe et étroite avec ses résultats sociaux. L'efficacité des normes internationales du travail et leur influence sur le droit interne est une question délicate comme en témoigne le Professeur Jean-Claude Javillier qui considère qu'il serait hasardeux « de séparer l'effectivité du droit de son efficacité (…) considérer la séparation entre l'une et l'autre comme allant de soi peut impliquer une limitation de l'analyse d'un côté ou de l'autre ; car leurs frontières sont incertaines.» L'apport et la perspicacité des normes adoptées sous l'égide de l'OIT relève donc d'une étude d'ensemble comme celle assez ancienne effectuée en 1977 par le BIT et celui qui s'attèle à la difficile tâche de mesurer l'impact de ces normes ne peut prétendre à l'exhaustivité.
En définitive, il est apparaît judicieux de se demander en quoi l'activité normative de l'OIT affecte-t-elle la condition des salariés?
Pour certains, les interrogations sur l'apport des normes de l'OIT sur les conditions des salariés sont du domaine de l'insondable. Pour d'autres, le droit international n'a qu'une influence modérée or, il semble que les normes de l'OIT contrecarrent ce rapide constat.
En effet, de nombreux éléments permettent d'affirmer que les normes internationales du travail interagissent de plus en plus avec les pratiques et les législations nationales pour améliorer la condition des salariés et ainsi leur fournir un travail décent. Ainsi, la philosophie de l'OIT imprègne progressivement et de manière pragmatique la législation voire la mentalité des différents pays par une activité normative prolifique qui insuffle le progrès social par l'édiction de règles convergeant vers l'uniformité, la liberté, la sécurité ainsi que la dignité. Ces instruments universels apparaissent comme l'aiguillon des politiques nationales car, par un enracinement dans le passé et une projection aiguisée dans la réalité mais également dans les évolutions sociétales et conjoncturelles, ils influent sur les états qui sont amenés à sécuriser et améliorer la condition salariale (I). La contribution et l'efficacité de ces normes sur la condition des salariés est donc indéniable notamment si ces dernières font l'objet d'une publicité et d'une appropriation interne par les syndicats, les juridictions et bien évidemment par le législateur. La réception sociale et juridique de la norme est une donc condition essentielle pour que la norme puisse atteindre son objectif. Toutefois, la ratification et l'intégration dans l'ordre juridique interne des conventions ne sont pas des modalités suffisantes car, pour donner l'effet utile requis, il faut veiller à ce qu'elles soient appliquées par ceux à qui elles sont destinées. Ainsi, pour garantir l'effectivité de ces normes, l'OIT peut contrôler les états et non pas les obliger mais les inciter à adhérer à sa philosophie sous peine d'être catalogué comme « mauvais élève » au niveau de la communauté internationale (II).
[...] Ainsi, même si aucune sanction réelle n'est prise, les instances étatiques rappelées à l'ordre prendront les mesures adéquates pour ne pas ternir l'image qu'il véhicule dans la communauté internationale. Ceci contribue à l'incorporation des normes de l'OIT et donc à l'amélioration des conditions de travail. Cette procédure est notamment caractérisée par un dialogue constant entre les gouvernements et la commission d'experts de composition tripartite. De plus, des commissions d'enquêtes parmi lesquelles siègent des personnalités surveillent l'application des normes de l'OIT sur de nombreuses questions liées aux conditions des travailleurs. [...]
[...] Bibliographie Alain Euzéby L'OIT a quatre-vingts ans : quatrième âge ou nouvelle jeunesse ? Social 2000 p61-65 Rapport BIT 1977 et 1998 Déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 Déclaration de Genève de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008 Résumé du colloque de l'AFOIT l'actualité des normes internationales du travail Rapport IV sur l'activité normative de l'OIT dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail (91ème session de la Conférence Internationale du Travail de 2003) Liaisons Sociales Magazine, Nº 38 du 01/01/2003 Article de Jean-Maurice Verdier l'apport des normes de l'OIT au droit français du travail René de Quenaudon L'application par le juge français des droits sociaux fondamentaux affirmés par l'OIT et l'ONU Arrêts de la Cour de Cassation Amiante du 28 Février 2002 et leurs suites Propos de Pascal Loriek sur l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29/03/06 Liaisons Sociales, Nº 2339 du 27/05/1998 Antoine Jeammaud Sur l'applicabilité en France des conventions internationales Dt social 1986 p 399 à 404 Bernard Gernignon L'Organisation internationale du travail et les libertés publiques Dt social 1982 p 425 à 427 Site de l'OIT Alain Euzéby L'OIT a quatre-vingts ans : quatrième âge ou nouvelle jeunesse ? [...]
[...] En effet, un système de contrôle unique au niveau international contribue à garantir l'application des conventions par les états qui l'ont ratifié. L'OIT examine régulièrement la manière dont sont appliquées les conventions dans les ordres internes et, si une difficulté survient concernant l'application des normes, l'OIT cherche à aider les pays concernés par le biais du dialogue social et de l'assistance technique. La procédure de contrôle se caractérise notamment par l'établissement de rapports périodiques qui font l'objet de commentaires de la part des organisations syndicales et patronales des états intéressés. [...]
[...] Toutefois, ce n'est que du degré d'appréciation de ces normes internationales du travail que découlera la réalisation des buts enviés par l'OIT, on parlera ici de réception juridique mais également sociale de la norme. Ainsi, l'intérêt porté à l'appropriation de ces normes par les états n'est pas anodin pour témoigner de leur effectivité et diverses illustrations témoignent de l'incorporation progressive de ces normes dans les pratiques et les législations nationales. De plus, il ne faut pas oublier que l'OIT est composée d'un volet mêlant surveillance, supervision et rappel à l'ordre. [...]
[...] Ainsi, la non-application des normes de l'OIT ne génère pas le prononcé de sanctions contrairement à l'OMC où le non-respect des règles entraîne une réprimande Certains ont souhaité l'intégration d'une clause sociale pour remédier à cette absence de parallélisme entre OIT et OMC mais cette proposition débattue en 1996 à l'occasion de la première conférence ministérielle de l'OMC à Singapour se heurta à une vive opposition qui conduit à l'abandon de ce projet. Malgré le rejet de cette proposition, Michel Hansenne[15] a souhaité mettre en marche une normalisation entre l'OMC et l'OIT afin d'assister les pays les plus pauvres à développer leur commerce dans le respect des normes internationales du travail[16]. Pour d'autres, une sanction est perçue comme contreproductive. [...]
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