Quoique classique, la question de la réticence n'en continue pas moins d'alimenter un contentieux nourri dans notre droit des contrats, sans tracer pour autant une ligne jurisprudentielle bien claire. D'un côté, la Cour de cassation affirme, par exemple, que la réticence dolosive rend toujours excusable l'erreur commise par l'autre partie, mais, en même temps, elle absout celui qui, même lorsqu'il est un professionnel, s'abstient de détromper l'autre à propos de la valeur de l'objet du contrat. Le droit du travail n'échappe pas à cette tendance, sauf à remarquer que, ici, la ligne jurisprudentielle est plus nette et que les juges s'efforcent par tous les moyens d'excuser le comportement, même déloyal, du salarié. Ce parti pris s'explique à la fois par l'état d'infériorité du salarié au regard de l'employeur, y compris lors de l'embauche, mais aussi par la déloyauté fréquente de ce dernier, qui cherche souvent à obtenir la nullité du contrat afin d'éluder les règles, plus contraignantes, du licenciement. L'arrêt rapporté semble rompre avec cette jurisprudence puisque, pour une fois, il admet clairement le caractère dolosif de la réticence du travailleur.
L'espèce était relative à un sportif professionnel, plus spécialement un joueur de hockey sur glace qui, à la suite de violences survenues lors d'un match, faisait l'objet, devant les instances fédérales, de poursuites disciplinaires pouvant aller jusqu'à une « suspension » à vie et qui, lors de son recrutement ultérieur par un autre club, n'avait pas révélé à celui-ci cette situation « à risques ». Le nouvel employeur, ayant découvert la réalité, décida de résilier le contrat de travail du joueur (un contrat à durée déterminée) en invoquant sa faute grave. Le salarié saisit alors le juge, mais, dans l'arrêt rapporté, la cour d'appel le déboute de ses demandes en décidant qu'« en ne portant pas l'existence de cette procédure disciplinaire à la connaissance de la société Les Diables rouges lors de son embauche, il avait commis une faute justifiant la rupture anticipée du contrat de travail », cette faute étant « caractérisée quelle que soit l'issue de la procédure ». Cette solution, au moins en apparence, tranche avec l'indulgence habituelle de la jurisprudence à l'égard de la réticence du travailleur (I). En réalité, elle pourrait bien s'inscrire dans un courant plus général qui condamne la dissimulation du salarié lorsqu'elle porte sur une circonstance de nature à faire obstacle à l'exécution du contrat conclu (II).
[...] la Découverte. Necas, Tatiana ; La procédure disciplinaire dans l'entreprise privée et la fonction publique Thèse Mémoire. [...]
[...] La compétence du salarié est ainsi devenue un fait justificatif du dol. En quelque sorte, en travail, trompe qui peut pourvu que le candidat ait les compétences requises. Dans la concurrence entre salariés, ce n'est pas, dès lors, forcément le meilleur qui l'emporte, mais le plus malin. Il est vrai que lorsque le salarié fait preuve de la compétence exigée, il y a tout lieu de penser que le dol n'a pu être déterminant pour l'employeur et que celui-ci cherche en réalité à faire annuler le contrat pour éviter un licenciement fondé sur un autre motif. [...]
[...] Or, là encore, cette réticence porte bien sûr une circonstance faisant obstacle à l'exécution du contrat. L'élément celé par le travailleur ne concerne pas seulement un élément relatif à sa compétence professionnelle, mais son aptitude effective à exécuter et même à conclure le contrat souscrit. On pourrait, certes, objecter que la Cour de cassation par le passé, absous une salariée qui avait dissimulé, lors de l'embauche, son état de grossesse l'empêchant d'exécuter le contrat à durée déterminée de remplacement qu'elle avait conclu ; mais l'arrêt n'est pas probant, car il concerne un élément sur lequel l'employeur n'était de toute façon pas en droit de se renseigner et que la salariée avait donc la faculté de taire. [...]
[...] Dans le même ordre d'idée, il a été jugé qu'est inexcusable l'employeur qui ne s'est pas renseigné sur le passé professionnel de son salarié et a recruté, pour aider au redressement de son entreprise, un gérant dont la société avait été mise en liquidation judiciaire. Parce que l'employeur a le devoir de se renseigner, il est inexcusable de ne pas savoir. Et parce que, corrélativement, le salarié n'a pas à informer l'employeur, sa réticence ne saurait être dolosive. Même en gardant sciemment le silence, il ne commet aucun dol puisqu'il ne viole aucune obligation précontractuelle de renseignement. Contrairement à l'enseignement d'une doctrine récente de la Cour de cassation, la réticence dolosive ne rend donc pas toujours excusable l'erreur de l'autre cocontractant. [...]
[...] En effet, il est naturel qu'un employeur considère que le candidat qui se présente à l'emploi proposé soit, par définition, en mesure d'exécuter le contrat, s'il est effectivement recruté. Ce n'est donc pas à lui à se renseigner sur ce point, mais au contraire, au salarié à indiquer, lorsqu'elle existe, qu'une circonstance particulière pourrait faire obstacle à l'exécution du contrat envisagé. En quelque sorte, dans une telle hypothèse, les obligations des parties s'inversent. Ce n'est plus à l'employeur de s'informer auprès du salarié, c'est au contraire à ce dernier à prendre l'initiative en le renseignant. [...]
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