Le droit de grève est une liberté à valeur constitutionnelle qui est devenu un droit du fait qu'elle est protégée. Cependant, ce n'est pas la seule, elle entre donc en conflit avec d'autres libertés constitutionnelles telle que la continuité des services publics.
Il n'existe pas de définition légale de la grève, mais une définition jurisprudentielle : c'est la cessation, l'interruption concertée du travail, en vue d'appuyer des revendications professionnelles, préalablement présentées à l'employeur, par un salarié ou un syndicat. Cette présentation n'est pas soumise à une condition de rejet par l'employeur.
Dans cette affaire, le syndicat des pilotes d'Air France, dont le président est Mr X, a déposé un préavis de grève pour la période allant du 2 février 2003, 0h01, au 5 février 2003, 23h59. Le 31 janvier 2003, Mr X a effectué, en tant que commandant de bord, le premier vol d'une rotation, Paris – Pointe-À-Pitre. Il devait effectuer le second vol de cette rotation le 2 février. Cependant, le 1er février, à 23h, il quitte Pointe-À-Pitre en tant que passager d'un vol et arrive à Paris, le 2 février à 10h25. Il se joint au mouvement de grève et n'assure donc pas le second vol de sa rotation. Il n'a avertit son employeur que 4h avant l'heure de départ prévu. En conséquence, Mr X fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Il a eu connaissance de cette sanction par une lettre du 11 avril 2003. Ainsi, Mr X saisit la formation de référé, sur le fondement de l'article R.516-31 du code du travail, pour que la sanction dont il est victime soit considérée comme constitutive d'un trouble manifestement illicite.
Ainsi, la Cour d'Appel de Paris, dans son arrêt du 20 novembre 2003, a constaté d'une part, alors qu'il était reproché à Mr X, d'être retourné à sa base une heure avant le déclenchement de la grève, et donc ne pas avoir assuré le second vol de sa rotation, que la lettre du 11 avril 2003, qui sanctionne Mr X, ne pouvait être dissociée de sa participation, au mouvement de grève. Or ce mouvement a été licite. Par conséquent, la Cour d'Appel a estimé, que la licéité du mouvement de grève, enlevait tout caractère fautif à l'abandon de poste de Mr X. D'autre part, la Cour d'Appel a considéré que les contraintes, générées par la règlementation de l'aviation civile, étaient des obligations pour le commandant de bord, seulement, au cours du vol. Ainsi, la mission, dont est investi le commandant de bord, c'est le vol. Or, la Cour d'Appel, note que ni la définition de la rotation, ni celle du courrier ne font référence à la notion de mission. En conséquence, elle a retenu que le commandant de bord en escale n'est pas tenu, après le déclenchement du mouvement de grève, auquel il participe, d'assurer le second vol de sa rotation. Enfin, la Cour d'Appel considère que l'abus du droit de grève, en l'espèce, n'est pas caractérisé. En effet, Mr X avait prévenu suffisamment tôt, qu'il serait absent, puisqu'il a pu être remplacé. En outre ce vol a été assuré à l'heure prévue. En conséquence, la Cour d'Appel a retenu que cette sanction était un trouble manifestement illicite. La société Air France a, donc, formé un pourvoi devant la Cour de Cassation.
Dans son pourvoi, la société Air France énonce trois moyens. Selon le premier moyen, Air France estime que la Cour d'Appel a dénaturé la portée de la lettre du 11 avril. Ainsi, elle a violé l'article 1134 du code civil ainsi que l'article L.122-4 du code du travail. Par ailleurs, Air France considère que la Cour d'Appel a limité son appréciation à une seule question : Mr X a-t-il commis une faute en n'assurant pas le second vol de sa rotation alors que la grève était déclenchée? Alors que, selon Air France, la Cour d'Appel aurait du se demander si Mr X avait commis une faute en abandonnant son poste une heure avant le déclenchement de la grève. Comme la Cour d'Appel ne s'est pas posée cette question, Air France estime qu'elle a méconnu les termes du litige et ainsi violée l'article 4 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le pourvoi estime également que la décision de la Cour d'Appel manque de base légale au regard des articles L.122-40 et L.122-43 du code du travail Par ailleurs, dans son premier moyen, Air France indique qu'un acte illicite ne perd pas son caractère d'illicéité car il a été commis en vu de l'accomplissement d'un acte licite. Ainsi, pour Air France, la Cour d'Appel, en ayant jugé cela implicitement, a violé les articles L.122-40, L.122-43 et L.122-45 du code du travail. Selon le second moyen du pourvoi, Air France considère que la Cour d'appel, en jugeant que le commandant de bord en escale n'est pas tenu, après le déclenchement du mouvement de grève, auquel il participe, d'assurer un vol prévu par sa rotation, a violé les articles L.122-45, L.134-1, L.412-1, L.521-1 et R.516-31 du code du travail. En effet, la Cour d'Appel a eu une lecture restrictive des dispositions du code de l'aviation civile relatives à la mission du commandant de bord. Ainsi, la Cour d'Appel ne s'est pas interrogé sur ce que recouvre la notion « d'assurer la continuité des vols » au-delà du seul constat qu'il fallait achever les vols commencés. En outre, elle ne s'est pas demandée si l'achèvement de la rotation ne participait pas, elle aussi, à la nécessité d'assurer la continuité des vols. Par conséquent, la Cour d'Appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Enfin, selon le troisième moyen du pourvoi, la société Air France estime que le commandant de bord, car il a informé tardivement son employeur de sa participation au mouvement de grève, alors qu'il avait fait croire qu'il assurerait normalement son service, a abusé de son droit de grève. Ainsi, selon Air France, le risque de désorganisation de l'entreprise suffit pour caractériser l'abus du droit de grève, peu importe que ce risque se réalise ou pas. Or, la Cour d'Appel n'a pas contesté ces faits, mais elle n'a pas non plus cherché les circonstances qui ont permis le remplacement de Mr X. Elle a, donc, violé l'article L.122-40, L.122-45 et L.521-1 du code du travail et privé sa décision de base légale.
En conséquence, on peut se poser trois questions : d'une part, on peut se demander si les juges du fond ont le droit de substituer les motifs de l'employeur à des motifs qu'ils trouveraient plus véritables ? D'autre part, on peut se demander si un commandant de bord, qui a accepté une rotation, peut au terme de son premier vol, l'interrompre pour participer à un mouvement de grève et ainsi refuser d'effectuer le second vol de sa rotation, sans avertir au préalable son employeur ? Enfin, on peut s'interroger sur le fait de savoir, si le risque de désorganisation de l'entreprise suffit à caractériser l'abus de droit ?
A cette question, l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 23 juin 2006, a répondu par la positive. Ainsi, elle constate, d'une part, que la Cour d'Appel, qui n'a ni dénaturé, ni modifié le sens de la lettre du 11 avril, objet du litige, a souverainement retenu que le véritable motif de la sanction était la participation de Mr X au mouvement de grève. D'autre part, elle rappelle que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent. Par conséquent, l'exercice normal de ce droit ne peut être sanctionné. Ainsi, d'après les constations de la Cour d'Appel, la Cour de Cassation remarque que Mr X était chargé d'assurer une rotation d'équipage comprenant deux vols distincts, entrecoupés par une période de repos. En conséquence, Mr X, après le premier vol avait cessé son service. Ainsi, la Cour d'Appel, sans méconnaître la nécessité de la mission du commandant de bord, ni la nécessité d'assurer la continuité des vols, ni les dispositions du contrat, a pu déduire que la sanction prise contre Mr X était constitutive d'un trouble manifestement illicite. Enfin, l'assemblée plénière affirme que la Cour d'Appel a « exactement » retenu qu'un salarié ne peut se voir imposé d'indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de cette dernière. Par conséquent, la signature du planning de rotation n'est pas un engagement permettant au salarié de renoncer à son droit de grève. En outre, la cour de cassation confirme que Mr X a avertit suffisamment tôt la société Air France, pour que celui soit remplacé. Le risque de désorganisation n'est donc pas avéré. C'est ainsi, que la Cour d'Appel a pu, selon la Cour de Cassation, déduire que l'abus du droit de grève n'était pas caractérisé.
Par conséquent, dans cet arrêt la Cour de Cassation reste dans une lignée traditionnelle. Ainsi, elle continue de protéger, très fortement le salarié gréviste contre toutes les sanctions que pourraient lui infliger son employeur pour le sanctionner, en quelque sorte d'avoir faire grève, si ce salarié gréviste a exercé son droit de grève normalement. La Cour de Cassation ne permet à l'employeur de sanctionner un salarié gréviste que par une faute lourde. Ceci laisse, donc une grande liberté aux salariés grévistes et syndicats. En outre, la Cour de Cassation ne pose qu'une obligation, celle de déposer un préavis de grève dans les entreprises gérants un service public. Ceci, afin d'adresser implicitement un message au législateur. Ainsi, après avoir vu la jurisprudence traditionnelle de la Cour de Cassation protégeant le gréviste contre toute sanction, sauf la sanction pour faute lourde, en cas d'exercice normal du droit de grève (I), nous verrons la liberté des salariés grévistes, mise à part l'obligation de déposer un préavis de grève collectif, dans les entreprises gérant un service public (II).
[...] Ainsi, dans cet arrêt, l'assemblée plénière ordonne aux juges du fond, détenteur du pouvoir de souverain, de dépasser la motivation explicite d'une sanction disciplinaire pour en rechercher le véritable motif. En effet, lorsque la faute qui motive la sanction est un prétexte, il faut l'écarter. En conséquence, les juges du fond doivent dépasser la motivation formelle de l'employeur pour en redonner la motivation exacte, à chaque fois que celle-ci est déduite des faits de l'espèce et dès lors que cette motivation fait l'objet d'une réglementation d'ordre public. Cependant, l'assemblée plénière indique également qu'il ne faut pas dénaturer ou modifier l'objet du litige. [...]
[...] Dockès RTD 2006, p obs. N. Olszak RTD 2006, p obs. O. Leclerc J.E. Ray, Droit du travail, droit vivant, Ed. Liaisons, 16ème édition, 2007/2008 F. [...]
[...] En effet, Mr X avait prévenu suffisamment tôt, qu'il serait absent, puisqu'il a pu être remplacé. En outre ce vol a été assuré à l'heure prévue. En conséquence, la Cour d'Appel a retenu que cette sanction était un trouble manifestement illicite. La société Air France donc, formé un pourvoi devant la Cour de Cassation. Dans son pourvoi, la société Air France énonce trois moyens. Selon le premier moyen, Air France estime que la Cour d'Appel a dénaturé la portée de la lettre du 11 avril. [...]
[...] En conséquence, le préavis est tout autant une manière de montrer sa détermination que de vouloir faire réellement grève. Cependant, dans les entreprises de service public, le préavis est une formalité importante. En effet, dans ces entreprises, la grève doit être précédée de la menace. Cela permet à l'employeur, qui veut éviter un conflit, d'organiser rapidement des négociations, de trouver des mesures de conciliation. Mais, à aucun moment, l'employeur, grâce au préavis déposé, ne peut connaître l'ampleur du mouvement. L'employeur peut donc, seulement s'organiser pour limiter l'impact du mouvement de la grève à venir. [...]
[...] L'assemblée plénière confirme, donc, avec cet arrêt, une jurisprudence traditionnelle sur la recherche de véritable motif de sanction. Cette recherche des véritables motifs est importante en matière de grève puisqu'en cas d'exercice normal du droit de grève, seule la faute lourde peut être sanctionnée (L.122-45 du code du travail). Ainsi, le législateur protège le gréviste, en suspendant le pouvoir disciplinaire de l'employeur, à l'égard de ceux qui n'ont pas commis de faute lourde. La faute lourde en période de grève, qui doit être prouvé par l'employeur, est une faute intentionnelle d'une extrême gravité, non rattachable à l'exercice normal du droit de grève, et qui ne peut être excusée par les circonstances. [...]
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