cour de Cassation, chambre sociale, 10 mai 2006, Moukarim, Isopehi, compétence, litige international, compétence territoriale interne, déni de justice, ordre public international, droits fondamentaux, esclavage domestique
En l'espèce, une femme de nationalité nigérienne est engagée en qualité d'employée de maison par un employeur britannique résidant au Nigéria par un contrat rédigé en langue anglaise à Lagos. La convention prévoyait que la famille de la jeune fille ne pouvait pas mettre fin au contrat sauf remboursement à l'employeur des frais exposés et qu'elle était tenue de suivre l'employeur à l'étranger sans pouvoir revenir dans son pays sans autorisation ni percevoir son salaire mensuel, tant qu'elle se trouvait hors du Nigéria. Avec cette fin, l'épouse de l'employeur avait retenu son passeport. Pendant un séjour à Nice, la jeune femme abandonne son emploi et fait convoquer l'employeur devant le conseil des Prud'hommes pour le paiement d'un rappel de salaire et d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé.
[...] Avec ce principe, à chaque règle de compétence territoriale interne lui correspond une règle de compétence internationale, par exemple, à la règle qui en matière réelle immobilière, donne compétence à la juridiction du lieu où est situé l'immeuble, répond la règle de l'ordre juridictionnel français est compétente lorsque l'immeuble est situé en France. Le point en commun est l'utilisation des mêmes critères. Ces règles s'appliquent aux Français et aux étrangers, il n'y a aucune raison d'estimer que le domicile en France du défendeur est moins susceptible de donner compétence aux tribunaux français si l'une des parties est française que si elles sont toutes deux étrangères. En l'espèce, s'agissant d'un contrat, la règle qui donnerait compétence au tribunal, ça serait le lieu de la prestation du service, au Nigéria. [...]
[...] Il est craint que la salariée ne puisse pas remédier dans son pays d'origine à sa situation d'esclavage. L'arrêt donne une définition plus large au dénie de justice, de faire prévaloir au fond une solution considérée comme la seule acceptable. C'est ainsi que la réalité du déni de justice mérite d'être appréciée avec souplesse : il ne s'agit pas d'exiger que le demandeur se heurte à une impossibilité absolue d'agir à l'étrangère, il suffit que les difficultés pratiques d'une action devant le juge potentiellement compétent apparaissent pour lui insurmontables ou qu'en dépit de l'évidence de son bien-fondé, une telle action n'aurait aucune chance d'aboutir. [...]
[...] L'interdiction de l'esclavage et du travail forcé et obligatoire est consacrée par toutes les conventions générales relatives aux droits fondamentaux, dans l'article 4 de la convention européenne de droits de l'homme qui prévoit nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude et nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ou aussi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aussi dans des textes spécifiques, tels comme la Convention de Genève du 25 septembre 1926 relative à l'esclavage, ou la Convention de l'OIT nº 29 sur le travail forcé. À ses conventions s'ajoutent diverses résolutions ou recommandations prises notamment dans le cadre du Conseil d'Europe pour la lutte de cette nouvelle forme d'esclavage que constitue l'esclavage domestique. [...]
[...] Il semblerait donc que les juridictions françaises ne soient pas compétentes, mais que la compétence pour ce litige revienne aux juridictions nigérianes. Il rapproche aussi à la cour d'appel d'avoir retenu la qualification de travail dissimulé dès lors qu'il avait respecté toutes les formalités requises au Nigéria. À ce point, il faut se demander si l'employeur peut se prévaloir de l'exception d'incompétence des juridictions françaises et faire échapper l'application de la loi française, en appliquant la loi nigérienne, celle qui régisse le contrat. [...]
[...] On verra que les critères de compétence internationale sont en principe identiques aux critères de compétence territoriale. Les uniques sources de compétence internationale des tribunaux français, jusqu'au XIXe siècle, étaient l'article 14 Code civil, qu'il s'agisse de la nationalité du demandeur ou dans l'article 15 du Code civil, qu'il s'agisse de celle du défendeur. C'est en 1948 que la Cour de cassation dans l'affaire Patiño (Civ juin 1948) admet la recevabilité générale des demandes formées par des étrangers contre des étrangers. [...]
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