En échange d'une prestation du salarié, l'employeur doit fournir une rémunération. Ces deux obligations nées du contrat de travail sont fondamentales et en sont les principales. Cependant, il en existe d'autres qui ne sauraient être, bien qu'accessoires, éludées et atténuées. Parmi celles-ci il est possible de citer l'obligation de sécurité, l'obligation d'assistance juridique et l'obligation de loyauté. Cette dernière est primordiale car elle découle de l'obligation de bonne foi dans les relations contractuelles. La Cour de cassation, sans forcément rappeler son existence explicitement, s'en préoccupe constamment.
Un salarié a été embauché par une société en 1972. Il a conclu avec son employeur une convention prévoyant qu'il changerait de fonctions à une certaine date selon des conditions à déterminer par avenant et ce jusqu'à la date, précisée, à laquelle il pourrait faire valoir ses droits à la retraite. Le salarié et l'employeur ont donc signé, à la date prévue, un avenant au premier contrat de travail prévoyant que le salarié serait désormais à temps partiel et fixant les nouvelles modalités de sa rémunération. La nouvelle rémunération du salarié était subordonnée à la réalisation d'un certain chiffre d'affaire et pouvait donc être réduite ou augmentée selon sa réussite. Or, lorsque la société a prononcé la mise à la retraite du salarié, celui-ci s'est aperçu qu'il ne pouvait bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein. Il a donc saisi le tribunal des prud'hommes, estimant que son employeur l'avait empêché de réaliser les objectifs qui lui étaient fixés. La Cour d'appel d'Aix en Provence déboute le salarié de sa demande dans un arrêt du 19 juin 2001. En effet, elle retient que bien que le salarié invoque un manquement de l'employeur, il n'apporte pas la preuve de ses allégations.
Appartient-il uniquement au salarié de prouver qu'il a été mis, par son employeur, dans l'impossibilité d'exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été engagé ?
La Cour de cassation casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence. Elle répond non à la question posée et affirme qu'il appartenait à l'employeur de justifier de ce qu'il avait fourni au salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il était engagé.
À travers cet arrêt, la Cour de cassation répond non seulement à la question de droit préalablement posée, mais aussi à une autre qui est sous-entendue. Le contrat de travail qui unit un salarié avec son employeur met à la charge de ces deux parties des obligations différentes (obligation de réaliser la prestation, obligation de rémunération) et il est nécessaire de réprimer tous les abus qui sont constatés. Cet arrêt du 10 février 2004 présente de façon implicite cette répression. En effet, il montre une protection du salarié contre le pouvoir souverain de l'employeur (I) ainsi que l'obligation de loyauté qui pèse sur l'employeur dans l'exécution du contrat (II). Dans une situation où, a priori, le salarié n'avait pas correctement effectué ce qui lui était demandé, la Cour de cassation montre qu'il est nécessaire de contrôler aussi les agissements de l'employeur.
[...] Cette valeur particulière et son application fréquente peuvent aussi constituer une justification à la décision de la Cour de cassation dans l'arrêt du 10 février 2004 d'aménager la charge de la preuve. Le soupçon de la carence de l'employeur, de son manquement à une obligation d'exécuter le contrat de bonne foi peut justifier qu'il doive lui aussi prouver son innocence Cependant, il est alors possible de se demander pourquoi la Cour de cassation n'a pas fondé sa décision sur l'obligation de loyauté de l'employeur. [...]
[...] De plus, étant donné que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à fournir une prestation moyennant rémunération pour le compte d'une autre sous la subordination de laquelle elle se trouve placée il est presque inimaginable que le salarié n'ait pas de prestation à fournir. En l'absence d'une telle prestation, il n'y aura pas de rémunération, ce qui est logique, mais alors le contrat de travail disparaîtra. L'employeur n'a théoriquement aucun intérêt à ne pas donner de travail à ses salariés, puisqu'il les a engagés. C'est pour cela qu'il serait normal de demander au salarié qui affirme un tel manquement de le prouver. Pourtant, comme il sera vu par la suite, la Cour de cassation n'impose pas une telle charge au salarié. [...]
[...] Un tel pouvoir de l'employeur à cet égard a donc contraint la Cour de cassation à prendre une décision inhabituelle en droit général des contrats, mais justifiée par la particularité des relations de travail. La charge de la preuve de la possibilité d'exécuter la prestation de travail Selon l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Selon son second alinéa, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. [...]
[...] C'est pourquoi il est possible de se demander pourquoi la Cour de cassation a pris une telle décision qui n'est favorable ni au salarié, ni à l'employeur. Justement, pour cette raison, il est compréhensible que le juge ait entendu rééquilibrer les relations de travail et ainsi faire supporter la charger de la preuve par les deux parties. Cette solution témoigne du caractère particulier et complexe du contentieux prud'homal. Le juge a en effet la lourde tâche de concilier à la fois le droit des contrats, donc la liberté contractuelle, avec le pouvoir souverain de l'employeur dans son entreprise (cass, soc., arrêt SAT du 8 décembre 2000 notamment) et avec la protection d'un salarié soumis contractuellement à des directives et subordonné à son employeur. [...]
[...] L'employeur doit prouver qu'il n'a pas manqué à ses obligations contractuelles. Une telle conclusion rappelle nécessairement une obligation rappelée constamment par la Cour de cassation, l'obligation de loyauté. Ne peut-elle pas être décelée dans cet arrêt ? II L'obligation de loyauté inhérente à toute relation de travail Après l'administration de la preuve, vient le moment de déterminer la part de responsabilité de chacun des cocontractants dans l'inexécution des obligations contractuelles invoquées par les deux parties. Derrière cet arrêt se dessine l'ombre de l'obligation de loyauté de l'employeur mais la jurisprudence a aussi mis place d'autres moyens de protection des salariés L'obligation de loyauté sous-entendue Dans la revue de droit social d'avril 2004, un auteur commente car c'était bien cette exigence [de loyauté] qui était en cause dans cette affaire Si l'arrêt du 10 février 2004 ne fait pas de référence explicite à l'obligation de loyauté pesant sur l'employeur dans ses relations avec son salarié, implicitement, celle-ci est réaffirmée. [...]
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