L'existence d'une frontière malaisée entre sphères personnelle et professionnelle complexifie l'approche des contentieux prud'homaux quant à la possibilité de licencier un salarié sur la base de faits commis en dehors de son temps de travail voire hors de l'enceinte de l'entreprise.
L'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 2 décembre 2003 illustre judicieusement cette difficulté de l'interpénétration plausible des deux sphères. En l'espèce, un chauffeur poids lourd a vu son permis annulé par la juridiction pénale à la suite d'un contrôle d'alcoolémie, en dehors de l'exercice de ses fonctions, qui se révéla positif à l'alcool et qui a engendré le retrait immédiat de son titre de circulation. Par la suite, son employeur décide de le licencier pour faute grave consécutivement à cet alcootest positif en alléguant du fait que le salarié, notamment de par son comportement récidiviste, représente un danger pour lui-même et pour les autres usagers de la route. Il saisit alors la juridiction prud'homale qui a conclu à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé par l'employeur. Par ce biais, la juridiction de première instance semble avoir procédé à la disqualification de la faute grave. Le chef d'entreprise interjette donc appel auprès de la Cour d'appel de Colmar qui, dans un jugement en date du 12 avril 2001, estime que le licenciement disciplinaire n'était pas fondé au motif que la conduite en état d'ivresse, commise en dehors du temps de travail et donc à titre privé, ne saurait constitué une faute dont peut se prévaloir son employeur. Elle infirme donc le jugement de la juridiction prud'homale en considérant que la conduite en état alcoolique n'est pas constitutive d'une faute disciplinaire pouvant conduire à un licenciement de même nature. L'employeur forme donc un pourvoi en cassation.
[...] La notion de rattachement d'un fait de la vie personnelle à la vie professionnelle comme indice de l'interpénétration potentielle des deux sphères Comme en témoigne l'approche pragmatique de la Cour de Cassation, il n'existerait pas de cloison étanche entre vie privée et vie professionnelle. Ceci est notamment démontré par le possible rattachement de faits issus de la vie personnelle à la relation de travail ce qui tempère l'absolutisme de l'interdiction d'un licenciement disciplinaire pour un fait tiré de la vie personnelle Il en ressort qu'un fait tiré de la vie personnelle d'un salarié peut être constitutif d'une faute, lorsqu'il se rattache, par certains aspects, à la vie de l'entreprise. [...]
[...] En effet, un comportement répréhensible revêtu durant l'exercice des fonctions est constitutif d'une faute disciplinaire tandis qu'un tel comportement adopté en dehors du travail ne caractérise aucunement une faute disciplinaire. L'enjeu de cette distinction entre vie personnelle et vie professionnelle est donc de déterminer l'application du régime disciplinaire, car, en effet, ce dernier n'entre pas en jeu lorsque les faits incriminés se déroulent dans le cadre de la vie personnelle. Tout ceci laisse transparaître l'existence d'interactions entre les sphères privée et professionnelle malgré une étanchéité originellement retenue notamment par la chambre sociale. [...]
[...] Ainsi, il semble que la Haute Juridiction s'oriente de plus en plus vers la recherche d'un équilibre entre libertés du salarié et intérêts légitimes de l'entreprise sans pour autant ôter la toile protectrice qu'elle a tissée pour sauvegarder la vie personnelle de la collectivité de travail. II/ La perméabilité circonstanciée des sphères privée et professionnelle levant l'immunité disciplinaire de la vie personnelle du salarié : l'importance particulière de la motivation de la chambre sociale La chambre sociale de la Cour de Cassation se positionne sur le terrain de la sanction pour conduite en état d'ébriété qui plus est dans le cadre d'une récidive. [...]
[...] Cette cloison semble être édifiée dans l'optique d'éviter l'empiètement de l'activité professionnelle sur la vie privée du salarié. Ainsi, on confère une immunité disciplinaire au travailleur pour des faits tirés de sa vie personnelle Ce principe connaît toutefois des atténuations, car il existe, dans certaines hypothèses, une interpénétration potentielle des deux sphères comme le souligne la déstructuration du carcan géographique voire la recherche d'un juste équilibre entre libertés du salarié et intérêts légitimes de l'entreprise. En effet, la chambre sociale, par une approche pragmatique, admet en l'espèce qu'un fait de la vie personnelle est susceptible d'être rattaché à la vie professionnelle et cette notion de rattachement semble revêtir une importance certaine Le principe de l'étanchéité des sphères privée et professionnelle induisant l'immunité disciplinaire de la vie personnelle du salarié De nombreux éléments permettent de témoigner de l'existence d'une politique de protection de la vie personnelle du salarié : Le respect de la vie privée du salarié est une notion fondamentale comme en témoigne l'article 9 du Code civil qui prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée ce qui sous-entend l'interdiction de licencier un travailleur pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière. [...]
[...] En l'espèce, l'intéressé a été recruté en qualité de chauffeur et l'annulation de son permis de conduire n'est pas sans effet sur son avenir professionnel, car il est désormais dans l'incapacité de satisfaire à ses obligations contractuelles ce qui justifierait le prononcé de son licenciement Le fait que le chauffeur ne soit plus en possession du permis de conduire, titre qui est une condition substantielle à l'exercice de sa profession, peut justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse. La Cour de Cassation n'a pas choisi cette option qui apparaît comme la plus évidente c'est-à-dire celle qui interpelle directement. En effet, pour justifier le licenciement du salarié, il aurait été plus direct de constater que le salarié n'est plus apte à exercer sa profession de chauffeur et donc de remplir ses obligations contractuelles en raison de l'annulation de son permis de conduire. [...]
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