Les conventions et accords collectifs prévoient très souvent un régime juridique beaucoup plus favorable aux salariés que le régime légal. Mais les droits des salariés ne sont jamais définitivement acquis. C'est pourquoi la disparition du statut collectif négocié, lorsqu'il n'est pas remplacé par une autre convention ou un autre accord collectif, est très fâcheuse, dans la mesure où les salariés sont alors régis par le seul code du travail, qui leur est généralement moins favorable que la convention ou l'accord dont ils bénéficiaient antérieurement. C'est pour éviter une rupture conventionnelle trop choquante et protéger la stabilité du statut conventionnel des salariés que le législateur, par la loi Auroux du 13 novembre 1982, a introduit dans le code du travail, à l'article L 132-8, alinéa 6, la possibilité de maintenir les avantages individuels acquis en cas de dénonciation d'une convention collective, ou, en vertu de l'alinéa 7, de sa mise en cause. Mais il n'a pas posé là un principe général de maintien des avantages antérieurs. Au contraire, ce droit au maintien de certaines dispositions d'une convention collective disparue est soumis à un certain nombre de conditions, posées par le législateur, interprétées par la doctrine et appliquées par la jurisprudence.
C'est ainsi que la chambre sociale de la Cour de cassation a tranché, le 2 juillet 2003, un litige relatif aux conditions de détermination d'un avantage individuel acquis.
La convention collective nationale des employés des grands magasins, à laquelle était soumis l'ensemble des salariés de la société SMGL Nouvelles Galeries, a été dénoncée. Or cette convention contenait une disposition selon laquelle « les employés dont le jour de repos habituel coïncide avec un jour férié bénéficieront d'un jour supplémentaire de congé ».
Quatre employées de cette société revendiquant la conservation à leur profit de cet avantage, considérant qu'il s'agit là d'un avantage individuel acquis, au sens de l'article L 132-8, alinéa 6, du code du travail, ont alors saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en ce sens. La juridiction prud'homale, estimant que l'octroi d'un jour supplémentaire de congé lorsque le jour de repos habituel coïncide avec un jour férié constitue bien un avantage individuel acquis, a accueilli la demande des salariées, en vertu de l'article L 132-8, alinéa 6, du code du travail, et a ainsi condamné leur employeur à leur verser diverses sommes à titre de rémunération correspondant à des journées de récupération pour jours fériés des 25 décembre 1999 et 1er janvier 2000. L'employeur a alors formé un pourvoi en cassation contre le jugement rendu en premier et dernier ressort par le conseil de prud'hommes, dans lequel il soutient que l'avantage contenu dans la convention collective dénoncée, c'est-à-dire le jour supplémentaire de congé accordé aux employés « dans l'hypothèse où un jour férié tombe un jour habituellement non travaillé», «constitue un avantage collectif et non un avantage individuel dès lors qu'il concerne un système d'organisation du temps de travail ». Cette disposition de la convention collective dénoncée n'ayant par conséquent, selon l'employeur, pas le caractère d'un avantage individuel acquis, les salariées n'étaient pas fondées à revendiquer son maintien.
A quelles conditions une disposition d'une convention ou d'un accord collectif dénoncé peut-elle donc être maintenue en tant qu'avantage individuel acquis ?
La Cour de cassation rappelle le principe selon lequel « un avantage individuel acquis au sens de l'article L 132-8 du Code du travail est celui qui, au jour de la dénonciation de la convention ou de l'accord collectif, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel ». Estimant que le conseil de prud'hommes a décidé à bon droit que le jour supplémentaire de congé accordé aux employés dont le jour de repos habituel coïncide avec un jour férié « profitait individuellement à chacune des salariées demanderesses à l'action », il « avait la nature d'un avantage individuel acquis au sens de l'article L 132-8 du Code du travail». Elle rejette donc le pourvoi formé par l'employeur.
En instaurant à l'article L 132-8, alinéa 6, du code du travail, la possibilité du maintien légal de certaines dispositions d'une convention collective dénoncée (I), le législateur a entendu protéger les salariés contre la rupture du statut conventionnel. Mais ce maintien est strictement encadré par la loi et par la jurisprudence, qui posent les conditions de détermination des avantages individuels acquis maintenus (II).
[...] Mais avant de s'interroger sur les caractères «individuel» et «acquis» que doit présenter cet avantage pour pouvoir être maintenu, il faut d'abord constater l'existence d'un avantage. Or la notion d'avantage a fait l'objet de diverses définitions doctrinales. Ainsi MM. Durand et Vitu considèrent-ils que l'avantage désigne le traitement le plus favorable dont les salariés peuvent déjà bénéficier M. Aliprantis définit l'avantage, de façon plus générale, comme la situation juridique, créée par une norme, plus agréable ou moins onéreuse pour les salariés que celle créée par une autre norme». [...]
[...] Dockès distingue les avantages collectifs par nature, qui ne peuvent pas bénéficier à certains salariés sans bénéficier à d'autres salariés, par nécessité matérielle (tels que par exemple la répartition des pourboires entre les membres du personnel, les horaires collectifs de travail ou certaines règles concernant les conditions de travail), des avantages collectifs par finalité (que sont l'ensemble des dispositions ayant pour objet la représentation du personnel, le droit syndical ou la négociation collective). Un avantage collectif est dont celui qui bénéficie à la collectivité de travail en tant que telle et n'a de sens que par et pour cette collectivité, comme par exemple des heures de délégation supplémentaires. Il en déduit que tout avantage qui n'est pas collectif, ni par nature ni par finalité, est un avantage individuel. [...]
[...] Mais ce maintien est strictement encadré par la loi et par la jurisprudence, qui posent les conditions de détermination des avantages individuels acquis maintenus (II). I. La possibilité du maintien légal de certaines dispositions d'une convention collective dénoncée II arrive qu'une convention collective nouvelle contienne une clause de maintien des avantages acquis, ayant pour but d'assurer le maintien, au profit des salariés, d'avantages, collectifs ou individuels, qu'ils avaient acquis en vertu d'une convention précédente désormais éteinte (c'était notamment le cas dans l'arrêt soc octobre 1993). [...]
[...] Borenfreund) a immédiatement rejeté ce critère de qualification de l'avantage acquis, dans la mesure où il fait naître une discrimination injustifiée entre les salariés, puisqu'il fait dépendre le maintien d'un avantage de la survenance d'un événement aléatoire qu'est la liquidation d'un droit. Ainsi des salariés ayant déjà été malades sous l'empire de la convention collective, avant sa dénonciation, et ayant à ce titre bénéficié d'une indemnisation pour maladie pourraient revendiquer le maintien de cette indemnisation, alors que des salariés qui n'ont jamais été malades et donc jamais perçu cette indemnisation ne pourraient pas en revendiquer le maintien. Cette différence est parfaitement illégitime. [...]
[...] Le caractère individuel ou collectif de l'avantage est donc parfaitement indifférent dans le cadre du maintien conventionnel d'un avantage. Certains auteurs, tels que M. Dockès, considèrent que l'arrêt Aal Farid, rendu par la chambre sociale le 12 février 1991, est ambigu et assimile les notions d'avantage de source collective et d'avantage collectif pour exclure de la catégorie des avantages individuels acquis un système de répartition des pourboires. Pour d'autres auteurs, en revanche, cette assimilation ne ressort nullement de cet arrêt. [...]
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