« Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix». L'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 reconnaît ainsi la liberté syndicale comme un principe à valeur constitutionnelle. Le droit de fonder un syndicat est donc un droit fondamental, mais qui se heurte toutefois à certains obstacles.
C'est ainsi que la Cour de cassation, réunie en chambre mixte le 10 avril 1998, a eu à connaître, dans trois affaires, d'une action en nullité d'un syndicat, pour la première espèce, et de deux actions en contestation de la qualité de syndicat professionnel pour les deux autres espèces.
Dans l'arrêt Syndicat Le Front National de la Police (FNP) c/ Syndicat national des policiers en tenue (SNTP) et autres, le litige oppose un groupement se prévalant de la qualité de syndicat professionnel à plusieurs autres syndicats lui contestant cette qualité. En l'espèce, un groupement s'est constitué et a pris la dénomination de Front national de la Police (FNP ci-après) et se prévaut de la qualité de syndicat professionnel.
Plusieurs syndicats ont assigné le FNP en contestation de sa qualité de syndicat professionnel, soutenant qu'il n'est que l'émanation d'un parti politique du même nom. Le tribunal de première instance ayant accueilli leur demande, le FNP a interjeté appel du jugement. Mais la Cour d'appel a confirmé ce jugement, au motif que l'objet du FNP ne répond pas aux exigences posées par l'article L 411-1 du code du travail, dans la mesure où ce syndicat tend à « promouvoir la doctrine du Front national sous la dépendance duquel il se trouve» et qu'il a été «conçu et créé comme vecteur » de ce parti dans le milieu professionnel de la Police. De ce fait, elle lui a refusé la qualité de syndicat professionnel et l'a privé des droits réservés aux syndicats professionnels.
Le FNP a alors formé un pourvoi en cassation, dans lequel il prétend d'une part que l'action en contestation de sa qualité de syndicat professionnel équivaut à une action en dissolution, qui n'est ouverte qu'au procureur de la République et non à un syndicat, et qui, de plus, porte atteinte au principe de la liberté syndicale. Il affirme d'autre part que les juges du fond n'apportent pas la preuve que son objet n'est pas conforme aux conditions de l'article L 411-1 du code du travail, étant donné, selon le FNP, qu'un syndicat peut se référer « aux tendances et options d'un parti politique » dans le cadre de la poursuite de ses objectifs professionnels.
La question se pose alors de savoir à quelles conditions une action en justice tendant à la disqualification d'un syndicat professionnel peut aboutir.
La chambre mixte de la Cour de cassation y apporte une réponse de principe en rejetant le pourvoi formé par le FNP. Elle affirme dans un premier temps que la liberté syndicale ne constitue pas un obstacle à l'action en contestation de la qualité de syndicat professionnel à un « groupement dont l'objet ne satisfait pas aux exigences des articles L 411-1 et L 411-2 du code du travail », cette action étant dorénavant ouverte à « toute personne justifiant d'un intérêt à agir ». La Cour explicite dans un second temps la nature de la violation des articles L 411-1 et L 411-2 du code du travail justifiant la disqualification du syndicat. Un groupement risque en effet de perdre la qualité de syndicat s'il est « fondé sur une cause ou en vue d'un objet illicite », ce qui est le cas s'il poursuit des «objectifs essentiellement politiques» ou s'il mène une action contraire au principe de non-discrimination. Or, en l'espèce, l'appréciation souveraine des juges du fond amène à la conclusion que le FNP est précisément dans cette situation, ce qui explique le rejet de son pourvoi et sa disqualification.
Par le présent arrêt de principe, corroboré par les deux autres affaires tranchées le même jour, la Cour de cassation procède à l'extension de l'action en disqualification d'un syndicat à « toute personne justifiant d'un intérêt à agir » (I), la disqualification d'un syndicat professionnel étant subordonnée à la violation des conditions de fond relatives à l'activité du syndicat (II).
[...] L'article L 481-1 du code du travail sanctionne les infractions commises par les dirigeants ou administrateurs de syndicats aux règles de constitution des syndicats, ce qui semble supposer que la qualité de syndicat professionnel ne soit pas contestée au groupement. Or, en l'espèce, les syndicats contestent précisément la qualité de syndicat professionnel du FNP. L'action en contestation de la qualification de syndicat professionnel d'un groupement est donc distincte de l'action en dissolution d'un syndicat pour violation des règles de constitution. Ces deux actions peuvent dès lors être exercées indépendamment, à des conditions différentes, comme l'affirme clairement la Cour de cassation en réponse au premier moyen du pourvoi. [...]
[...] Teyssié prône l'ouverture de l'action en dissolution à toute personne intéressée ou au procureur de la République La jurisprudence elle-même est incertaine. En effet, dans un arrêt du 29 juin 1994, la première chambre civile de la Cour de cassation a accueilli l'action d'un syndicat en dissolution judiciaire d'un autre syndicat, fondé sur une cause ou en vue d'un objet illicite, en s'abstenant de considérer, par application de l'article L 481-1 du code du travail, qu'une telle action était réservée au seul ministère public. [...]
[...] La chambre mixte de la Cour de cassation y apporte une réponse de principe en rejetant le pourvoi formé par le FNP. Elle affirme dans un premier temps que la liberté syndicale ne constitue pas un obstacle à l'action en contestation de la qualité de syndicat professionnel à un groupement dont l'objet ne satisfait pas aux exigences des articles L 411-1 et L 411-2 du code du travail cette action étant dorénavant ouverte à toute personne justifiant d'un intérêt à agir La Cour explicite dans un second temps la nature de la violation des articles L 411-1 et L 411-2 du code du travail justifiant la disqualification du syndicat. [...]
[...] Mais si le principe de spécialité n'exclut certes pas la poursuite d'objectifs politiques, il consiste en l'obligation pour un syndicat de poursuivre à titre principal des objectifs professionnels. Ceci pose un problème de distinction entre la licéité de l'utilisation de moyens politiques à des fins d'intérêt professionnel, et l'illicéité d'objectifs politiques utilisant les prérogatives syndicales. La réponse réside en réalité dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens politiques employés, les objectifs politiques poursuivis et le but professionnel recherché. [...]
[...] L'action en dissolution d'un syndicat prévu à l'article L 481-1 du code du travail est donc réservée au procureur de la République, dans un cas particulier et bien déterminé par cet article. En revanche, l'action en contestation de la qualité de syndicat professionnel bénéficie d'un fondement beaucoup plus général, dans la mesure où la Cour de cassation considère désormais, depuis cet arrêt FNP c/SNTP, que toute personne justifiant d'un intérêt à agir est recevable à contester la qualité de syndicat professionnel d'un groupement dont l'objet ne satisfait pas aux exigences des articles L 411-1 et L 411-2 du code du travail La Cour procède ainsi à une extension des titulaires de l'action en disqualification d'un syndicat, la seule condition de recevabilité de leur action étant qu'ils aient un intérêt à agir. [...]
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