Le droit du travail français est marqué par la multiplicité de ses sources, ce qui a accoutumé les juristes français à l'existence de conflit de normes. Dès lors que le travail n'est pas exécuté de manière sédentaire, la désignation des règles applicables se complexifie encore.
En effet, lorsque la prestation de travail s'effectue sur le territoire de plusieurs États, il convient, au préalable, de déterminer la législation applicable à la situation internationale litigieuse.
Une fois un ordre juridique désigné comme étant applicable, il reste encore à déterminer l'applicabilité de l'ensemble des normes qui le compose. En effet, le champ d'application spatial de l'ensemble des normes à une situation internationale est encore sujette à discussion. L'arrêt rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, le 5 novembre 1991, offre une belle illustration des difficultés que peut représenter l'opération de détermination de la norme applicable.
En l'espèce, un salarié est embauché, en 1981, par une société française pour exercer des fonctions au sein de sa filiale américaine. Suite à son licenciement, le salarié prétendait avoir été lié à la société française Masson éditeur ainsi qu'à une autre filiale française du groupe Masson et invoquait ainsi l'application à son égard de la convention collective française de l'édition. Il a ainsi assigné lesdites sociétés en paiement d'indemnités pour licenciement abusif.
Dans un arrêt rendu le 17 mars 1988, la Cour d'appel de Paris a fait droit à la demande du salarié. Elle a déclaré que la loi française et la convention collective de l'édition étaient applicables au litige.
La société d'édition a alors formé un pourvoi en cassation. Nous trouvant face à une relation internationale de travail, la Cour de cassation a dû résoudre le problème préalable du conflit de lois. C'est ainsi d'abord concernant l'applicabilité de la loi française que se développe l'argumentation du pourvoi. La charge de la preuve de la loi étrangère devrait peser sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi et non sur celle qui l'invoque. En l'absence de défaillance de la loi étrangère et d'atteinte à l'ordre public français, la Cour d'appel aurait dû débouter le salarié de sa demande. Ce faisant, le pourvoi réclamait, en réalité, l'application d'une solution classique en jurisprudence. Toutefois, en se référant à la loi du lieu d'exécution habituelle du travail, la Cour de cassation a approuvé la reconnaissance par la Cour d'appel de l'applicabilité de la loi et des conventions collectives de l'État de New York. Toutefois la société d'édition n'ayant pas fait preuve de leur contenu, la Cour de cassation a approuvé l'application subsidiaire de la loi française par la Cour d'appel.
Nous ne nous attacherons pas à commenter cet élément de la solution de la Cour et nous concentrerons sur la seconde question que la Cour a résolu, à savoir l'application internationale des conventions collectives. En effet, une fois résolu le problème de l'application du droit français, il restait encore à trancher de l'applicabilité internationale de la convention collective. En effet, la Cour a dû répondre à la question suivante :
À quelles conditions une convention collective française s'applique t-elle à une relation de travail présentant un élément d'extranéité, à savoir la localisation de la prestation de travail à l'étranger ?
La Cour de cassation a jugé, sur ce point, que « l'application du droit français emporte celle des conventions collectives qui en font partie ; (et) qu'en l'espèce la convention collective ne contenait aucune disposition excluant les activités salariées à l'étranger ». Sur ce point, le pourvoi soutenait que la convention collective n'entendait « régler (que) les rapports entre maisons d'édition qui ont leur siège en France métropolitaine et les salariés titulaires de contrats à durée indéterminée ou déterminée et qu'il résulte qu'elle ne s'applique donc pas aux salariés dont le contrat s'exécute entièrement à l'étranger ».
Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte une solution claire en intégrant à l'ordre juridique français les conventions collectives françaises (§1). Cet arrêt est, par ailleurs, l'occasion de définir plus précisément le champ d'application de la convention collective française (§2).
[...] L'application de la jurisprudence traditionnelle aurait conduit à ne pas appliquer la convention collective à la relation de travail de notre espèce. Ce contentieux aura permis à la Cour de cassation de poser un principe clair, celui selon lequel l'application du droit français emporte celle des conventions collectives qui en font parties La Cour admet explicitement que les conventions collectives font partie de l'ordre juridique français. Il n'y a plus lieu de distinguer entre convention collective et loi, les deux font désormais partie intégrante du droit français. [...]
[...] Il s'agit là d'une véritable consécration. L'application du droit français à une situation internationale s'harmonise ainsi avec l'application du droit français à une situation interne. Il faut signaler que les partenaires sociaux peuvent exclure expressément l'application de la convention collective à une relation de travail s'exécutant à l'étranger. Des auteurs se sont interrogés sur le fait de savoir si le juge français doit appliquer la convention collective étrangère dès lors qu'il applique le droit étranger ? L'analyse d'Antoine Lyon-Caen laisse présager que la réponse est positive, mais à la condition de respecter la diversité des règles nationales quant à l'applicabilité des conventions collectives aux contrats de travail. [...]
[...] En application de ces critères, c'est la loi de l'État de NY qui devait s'appliquer. Néanmoins, les employeurs n'avaient pas montré la moindre diligence pour fournir les données de droit conventionnel américain nécessaires à la solution du litige. La Cour d'appel, validée par la Cour de cassation, a alors décidé d'appliquer la loi française du for en raison de la vocation subsidiaire de celle-ci. Une espèce similaire a été soumise à la Cour de cassation le 31 janvier 2007. Il s'agissait en l'espèce d'un correspondant de presse ayant exercé ses fonctions à NY pour un journal français. [...]
[...] Son application à des relations de travail internationales supposait une mention expresse dans la convention de son application à de tels rapports de travail. L'arrêt Masson a permis à la Cour de cassation d'opérer un revirement de jurisprudence : le principe est alors devenu celui de l'application internationale de la convention collective, sous réserve de ne pas exclure expressément dans la convention son applicabilité internationale. La convention collective française a donc désormais une vocation naturelle à s'appliquer chaque fois que le droit français est applicable. [...]
[...] Quand c'est une convention étrangère qui est applicable (car la loi étrangère a été désignée applicable) : l'arrêt Masson pose que la charge de la preuve pèse sur la partie qui l'invoque, le juge n'a pas à en rechercher lui-même le contenu. La convention collective française faisant partie de l'ordre juridique interne, le juge doit donc appliquer la convention collective française lorsque la loi française a été désignée par les règles de conflit de lois, ou lorsque les parties l'ont décidé. [...]
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