Commentaire d'arrêt, Chambre sociale, Cour de cassation, 11 avril 2012, affaire « Avient », Convention Rome I
« On va toujours, en fin de compte, là où l'on pèse », écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans son roman Pilote de guerre. La Cour de cassation semble faire une application particulièrement intéressante de ce passage lorsqu'elle accepte de considérer le lieu d'exécution habituelle du travail des pilotes comme seul pertinent pour la détermination de la loi applicable dans l'affaire « Avient » du 11 avril 2012.
En l'espèce, deux salariés ont été engagés par une société britannique en tant que commandants de bord instructeurs puis licenciés. Le siège social de l'employeur est en Grande-Bretagne, près de Gatwick, les avions immatriculés au Zimbabwe, en vue d'une activité de transport aérien de denrées périssables. Le transport aérien est organisé à partir de l'aéroport international de Vatry (Marne), où les navigants commencent et achèvent leurs prestations et assurent leurs tâches administratives. Outre ces éléments d'extranéité plus qu'évidente, les contrats de travail prévoyaient une clause electio fori au profit du juge anglais, ils ont été rédigés et signés en langue anglaise et de plus est la signature a eu lieu en Grande-Bretagne.
[...] Commentaire de l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 avril 2012, affaire Avient On va toujours, en fin de compte, là où l'on pèse écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans son roman Pilote de guerre. La Cour de cassation semble faire une application particulièrement intéressante de ce passage lorsqu'elle accepte de considérer le lieu d'exécution habituelle du travail des pilotes comme seul pertinent pour la détermination de la loi applicable dans l'affaire Avient du 11 avril 2012. [...]
[...] En d'autres termes elle reprend le raisonnement téléologique du juge de Luxembourg afin d'entériner l'exigence d'une interprétation large du lieu d'accomplissement habituel du travail au détriment du critère subsidiaire de lieu d'établissement d'embauche. La haute juridiction civile française procède de la sorte non seulement par souci de lutter contre les phénomènes de délocalisation fictive des lieux d'embauche, mais encore par souci de décourage le phénomène plus vaste de dumping social. Dans cette affaire, la Cour base son raisonnement sur une interprétation extensive du critère d'accomplissement habituel de travail. [...]
[...] Une solution confortée par le texte de la Convention de Rome et la lumière du règlement Rome I La volonté de la Cour de cassation de procéder à ce qui est coutume d'appeler en droit de l'Union interprétation conforme, est parfaitement illustrée par l'esprit du passage indiquant que le lieu d'accomplissement habituel du travail a vocation à s'appliquer également dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d'un État contractant, lorsqu'il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l'État avec lequel le travail présente un rattachement significatif À cet égard, il convient de rappeler que l'article paragraphe sous de la Convention de Rome ne vise que l'hypothèse d'un détachement du travailleur protégé. Évidemment la lecture dynamique et globalisante qui a été faite concernant cet article par la Cour de justice a permis l'élargissement de cette notion. Mais au niveau interne français, il s'agit de la première expression de cette approche extensive. [...]
[...] Elle semble ainsi assurer le coup de grâce à la tentation des sociétés de transport aérien à procéder à des embauches délocalisées afin de pratiquer ce qui est coutume d'appeler dans le jargon des affaires dumping social De quelle façon la Cour de cassation ménage un équilibre entre l'impératif de protection du personnel navigant dans ses relations de contrat individuel de travail et les critères de compétence législative prévus par la Convention Rome I ? Afin de répondre de manière utile, il convient d'examiner successivement l'abandon de la qualification casuistique de critères de compétence au juge du fond au profit des dispositions impératives françaises, abandon volontaire qui est dû à la clarté des dispositions européennes applicables en la matière et puis la consécration du lieu d'exécution habituelle à un critère de facto de compétence à la fois législative et juridictionnelle (II). [...]
[...] Dans les faits, cela ne change absolument rien, car la solution est là et consolide effectivement cette approche. Néanmoins, comme il a été redouté concernant la reconnaissance relative d'une appréciation souveraine au profit du juge du fond, la Cour de cassation paraît ici aussi se réserver le droit de ne pas forcement procéder à une interprétation unique lorsqu'il s'agira d'interpréter la notion de lieu d'accomplissement habituel de travail à des fins de compétences législatives ou juridictionnelles. Bien que de telles spéculations ne puissent se former, à l'état actuel, que sur un plan théorique, la tentation du juge français sera d'autant plus forte d'interpréter différemment cette notion, à l'encontre des préconisations du juge de Luxembourg, que sa compétence notamment juridictionnelle risquerait d'être mise à mal dans le cas d'une interprétation unique. [...]
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