Tout dans le mot « travail » semble renvoyer à une idée de douleur, de sacrifice, de concentration : son étymologie (le mot latin « tripalium» renverrait à un instrument de torture), la malédiction divine « tu travailleras à la sueur de ton front », ou ses homonymes (le travail de la parturiente). Rien ne semble donc plus éloigné du travail que les activités auxquelles se sont livrés les participants à l'émission de téléréalité « L'île de la Tentation », dans son édition 2003.
En effet, le but de cette émission produite par la société Glem est d'amener quatre couples à « test(er) leurs sentiments réciproques lors d'un séjour d'une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique, voile, etc.) qu'ils partagent avec des célibataires du sexe opposé. A l'issue de ce séjour, les participants font le point de leurs sentiments avec leur partenaire. Il n'y a ni gagnant, ni prix ». Pour ce faire, les participants en signant un « contrat de participation » auquel est annexé un « règlement de participation » acceptent d'être filmés jour et nuit, de respecter les consignes de tournage et donnent une autorisation d'exploitation de leurs images et identités durant cinq ans. De son côté, la société prend quant à elle en charge l'intendance et verse la somme de 1525 euros en guise de montant minimum de royalties valant pour l'exploitation ultérieure des images et des noms des participants. Pour la société Glem, devenue TF1 production, il n'y a nul contrat de travail dans cette convention. Ce ne fut pourtant pas là l'avis de trois des évincés de l'émission qui, bien conseillés, ont demandé la requalification de leur contrat de participation en contrat de travail.
Ainsi, trois questions étaient posées par les pourvois à la Cour de cassation.
La première et principale question posée était donc de savoir si et à partir de quand la participation à une émission de télé-réalité peut-être qualifiée de contrat de travail. D'une manière plus vaste, la question posée était celle des frontières qu'il convenait et qu'il convient de poser au salariat et à l'application du l'ordre public de protection. Doit-on s'en tenir à la technique juridique ou faut-il s'interroger éthiquement sur ce qu'est la vocation de protection du droit de travail ?
Les autres questions posées par les pourvois font en comparaison pâle figure. Il s'agissait d'abord de savoir à si et comment doit être caractérisé l'élément moral de l'infraction de travail dissimulé, et ensuite si le droit au préavis existe lorsque la prestation de travail n'a duré que douze jours.
[...] Cette profession se distingue d'un simple fait de la vie personnelle comme un hobby. Lorsque l'on mange, dort, lit, fait des travaux pour soi, l'activité est personnelle. La différence réside dans le fait de le faire pour soi même ou pour autrui dans le but de percevoir une rémunération. Sur le caractère professionnel de la prestation, un certain nombre de décisions permettent de dire que la nature de la prestation peut être indifférente, mais que le cadre dans lequel elle s'inscrit peut faire la différence. [...]
[...] On peut d'ailleurs voir dans cette activité l'attente de la production d'un certain professionnalisme de la part des participants puisque ces derniers devaient faire œuvre de créativité et devaient produire des efforts soutenus dans leur façon de se comporter pour rendre les scènes attrayantes. Le spectacle avait tellement été minutieusement organisé par la production qu'on peut se demander si les participants sont restés eux- mêmes comme le prétend la production. Reste qu'il est choquant de considérer cette activité de loisir comme du travail. [...]
[...] Pour cela, la cour avait relevé que l'intéressé exerçait son activité sur un terrain, dans les locaux et à l'aide de matériels appartenant à son cocontractant, qu'elle travaillait sous la direction technique de celui- ci Or les indices retenus sont transposables à l'affaire de l'île de la tentation : Le lieu d'exécution du travail avait été choisi par l'employeur (l'île) Tout comme les locaux (lieu d'hébergement, lieu de divertissement) 3/Le matériel nécessaire aux activités avait été également fourni (jusqu'aux vêtements portés par les candidats y compris les maillots de bain) 4/L'activité des participants s'exerçait sous la surveillance technique de la production (captation des images des paroles, scénarisation des activités) Le fait que la société de production fournissait plusieurs exemples de situations dans lesquelles les participants avaient choisi de ne pas participer aux activités proposées, voire de quitter le jeu sans qu'aucune sanction ne leur soit infligée ne pouvait exclure la subordination. Ces exemples ne prouvent que deux choses : que la production a fait preuve d'une certaine tolérance, or le pouvoir disciplinaire est bien facultatif et non obligatoire. 2/que les participants avaient la possibilité d'exercer d'un droit prévu par le contrat, le droit de résilier le contrat unilatéralement (indépendant de la subordination). [...]
[...] En l'espèce, au lieu que l'erreur de droit, née de l'absence objective de certitude sur la nature des relations nouées, joue au stade l'exonération de la responsabilité, celle-ci a été prise en compte en amont au moment de la qualification de la faute. L'erreur de droit a ainsi permis d'exclure l'élément moral de l'infraction qu'est l'intention frauduleuse. Désormais, les sociétés de production savent que plane sur elles, un risque de requalification si les éléments établis par l'arrêt du 3 juin 2009 sont réunis. B/Des questions innombrables L'ensemble des conséquences d'une telle requalification apparaît particulièrement délicat à mesurer. Deux points peuvent à cet égard être approfondis. [...]
[...] 2/Le contenu contractuel D'autre part, les principales difficultés nées de la requalification reposent principalement sur la conciliation vie personnelle et vie professionnelle, le salarié disposant même au temps et au lieu de travail du droit au respect de l'intimité de sa vie privée depuis l'arrêt Nikon (Soc oct. 2001). L'essence même de la télé-réalité est de suivre 24h sur 24 la vie plus ou moins réelle des participants. Ainsi, les personnes renoncent totalement à leur vie privée sur une courte durée. [...]
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