« Il ne faut jamais oublier que dans tout salarié, il y a un homme auquel des droits fondamentaux sont reconnus ». Comme le souligne M. Bernard Bossu, les salariés sont à appréhender non seulement en tant que tels mais avant tout en tant qu'individus dont les droits fondamentaux doivent être épargnés du pouvoir patronal. C'est au sujet de la protection de la liberté d'expression d'un salarié que la Cour de cassation rend son arrêt le 28 avril 1988.
En l'espèce, un salarié d'une entreprise a été licencié après dix années d'exercice de la profession d'ouvrier caoutchoutier à la suite de la publication dans un quotidien d'un article rapportant des déclarations qu'il avait faites sur ses conditions de travail.
Le salarié, contestant son licenciement, a saisi le conseil des prud'hommes en vue de l'annuler. Les juges ont constaté que le licenciement portant atteinte à la liberté d'expression n'était annulé en application d'aucun texte du Code du travail. Ils ont tout de même déclaré nul le licenciement en estimant que « s'agissant d'une liberté fondamentale solennellement proclamée, il y a tout lieu de penser que le législateur a entendu protéger son exercice de la même façon que les autres libertés ». La Cour d'appel a quant à elle considéré que la nullité du licenciement attentatoire à la liberté d'expression pouvait se déduire de l'article 461-1 du Code du travail relatif à l'exercice du droit d'expression par les salariés dans l'entreprise.
[...] Or, lorsqu'il existe une violation manifeste d'une liberté fondamentale telle que la liberté d'expression des salariés, la réintégration doit s'imposer. En effet, qu'est-ce qu'un droit reconnu constitutionnellement dont l'exercice peut comporter les conséquences les plus catastrophiques pour l'intéressé et pour les siens ? Pour protéger la liberté fondamentale d'expression des salariés qui a été violée par un licenciement abusif, la réintégration s'impose inévitablement. En l'espèce, en rejetant le pourvoi formé, la Cour de cassation accepte les conséquences de la nullité du licenciement retenues par la Cour d'appel à savoir la poursuite de l'exécution du contrat de travail. [...]
[...] L'originalité de la nullité repose sur la remise en l'état de la chose. En matière sociale, la réparation en nature du préjudice subi permet de distinguer le régime applicable du licenciement sans cause réelle et sérieuse et du licenciement nul : le premier ne suppose que le paiement d'indemnités, la réintégration n'étant que facultative, tandis que le second requiert davantage, la réintégration obligatoire dans l'entreprise du salarié licencié illicitement. Cette différence s'explique évidemment par le degré de gravité élevée du motif ayant abouti à déclarer nul le licenciement illicite par rapport à celui ayant conclu à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. [...]
[...] Chacun est libre de s'exprimer tant que l'exercice de son droit ne nuit pas à autrui. La liberté d'expression n'est pas un concept à géométrie variable impliquant une protection différenciée suivant le temps, le lieu et les circonstances comme l'affirme justement M. Ecoutin. Au sein du droit du travail, cette liberté acquiert une dimension essentielle. Il est indéniable que les avantages sociaux obtenus par les salariés résultent en partie de l'exercice de la négociation collective dans le cadre de laquelle les travailleurs sont représentés par des délégués exprimant leurs opinions. [...]
[...] La Cour de cassation considère que l'exercice du droit d'expression d'un salarié au sein de son entreprise étant dépourvu de sanction, il ne peut en être autrement en dehors. La liberté d'expression du salarié étant l'adaptation légale d'une liberté fondamentale il en ressort que le licenciement portant atteinte à cette liberté doit être sanctionné par la nullité (II). I.la liberté d'expression du salarié : l'adaptation légale d'une liberté fondamentale universelle Reconnue par le Code du travail, la liberté d'expression du salarié au sein de l'entreprise trouve son fondement dans une liberté fondamentale Il s'en suit que le salarié conserve ce droit même en dehors de cette sphère A. [...]
[...] En annulant un licenciement attentatoire à la liberté d'expression du salarié et alors même qu'aucun texte ne le prévoit, la Cour de cassation fait primer les libertés fondamentales reconnues aux travailleurs sur le pouvoir patronal. Cette solution peut aussi se comprendre par l'esprit de la loi du 4 août 1982 qui est à l'origine des articles L 1132-1 (anciennement L 122-45) et L 2281-1 et suivants (anciennement L 461-1) du Code du travail. Il résulte de ces articles que le licenciement d'un salarié en fonction de certains critères discriminatoires (origine, sexe, mœurs, opinion etc.) est sanctionné par la nullité. [...]
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