Par trois arrêts rendus le 10 juillet 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation, présidée par Pierre Sargos, a profondément transformé le droit relatif aux clauses de non-concurrence, singulièrement quant aux conditions de validité de ces clauses du contrat de travail. Dans la veine de ce renouveau des clauses de non-concurrence, l'arrêt Société GAN-vie c/ M. François Suire rendu par la chambre sociale le 18 septembre 2002 a permis de franchir encore un pas.
La société GAN-vie, société d'assurance, embauche en 1989 M. Suire en tant que chargé de mission. Son contrat de travail comporte une clause de non-concurrence lui interdisant « pendant deux années à compter de la cessation de ses fonctions, dans le département de la Vendée et les départements limitrophes » d'exercer des activités professionnelles strictement définies et en lien direct avec son activité de chargé de mission dans une société d'assurance. En 1997, soit douze ans plus tard, M. Suire, après un désaccord avec la société sur l'évolution de sa carrière, démissionne. La société rappelle alors à l'intéressé son obligation de non-concurrence, qui saisit finalement la juridiction prud'homale en vue de voir prononcer « l'annulation de la clause contractuelle et d'obtenir le paiement de dommages-intérêts ».
[...] Ainsi, l'existence d'un pouvoir de réfaction du juge en matière de clause de non-concurrence n'est pas inédite, et sa consécration pouvait donc être considérée comme prévisible. L'arrêt rendu par la chambre sociale le 18 septembre 2002 ne fait pas que consacrer un pouvoir de réfaction du juge en matière de clause de non- concurrence, dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure, elle innove en ce qu'elle consacre un large pouvoir de réfaction au juge, et l'effectue à un moment opportun, celui du renouveau des clauses de non- concurrence. [...]
[...] (Les principes mis en oeuvre par la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence, Dr. Soc 534). Tel un pendant à la conciliation opérée par la clause de non-concurrence, il était donc nécessaire que la sanction de son illicéité préserve cette conciliation, cet équilibre, ce que permet le pouvoir de réfaction du juge en limitant l'effet de cette illicéité. Non seulement la spécificité de la clause de non-concurrence, au regard de la conciliation qu'elle opère entre deux intérêts en soi contradictoires, et l'inadéquation de l'annulation comme réponse à la nullité d'une clause de non-concurrence appelaient une solution alternative à cette, mais encore la jurisprudence illustrait la faisabilité de la consécration d'un pouvoir de pouvoir de réfaction du juge social en matière de clause de non-concurrence. [...]
[...] Bien qu'il soit absolument nécessaire au maintien, même partiel, de la clause de non-concurrence, son caractère indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise passe, en quelque sorte au second plan, alors qu'il a longtemps servi de référence centrale à l'appréciation du caractère excessif ou non des conditions de validité de la clause de non-concurrence. Cette attitude de la Cour est révélatrice d'un souci de mieux prendre en compte la liberté de travailler du salarié. Pour juger s'il doit mettre en oeuvre son pouvoir de réfaction, le juge doit se livrer à un contrôle de proportionnalité des éléments de la clause de non-concurrence. [...]
[...] La société décide alors de se pourvoir en cassation contre M. Suire. Devant la Cour de cassation, la société soulève le moyen selon lequel la Cour d'appel aurait violé l'article 1134 du Code civil, qui dispose notamment dans son alinéa premier que les conventions légalement formées tiennent lieu la loi à ceux qui les ont faites en réduisant la portée de la clause de non-concurrence aux seuls clients que le défendeur au pourvoi avait apportés à la société. Au soutien de son moyen, la société énonce que la simple entrave apportée à la liberté de travailler de M. [...]
[...] L'arrêt du 18 septembre 2002 étudié, en accordant au juge un pouvoir de limitation de l'effet d'une clause de non-concurrence illicite, comportant par conséquent le maintien de cette clause, et ce au regard de son caractère indispensable pour la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, offre la contrepartie nécessaire aux arrêts du 10 juillet 2002. En effet, en redonnant leur place aux intérêts de l'entreprise, la solution de cet arrêt permet de rétablir l'équilibre de l'obligation contractuelle de non-concurrence, qui depuis le 10 juillet 2002 avait été quelque peu atteint au détriment des entreprises. La solution de cet arrêt contribue d'autant plus à cet équilibre, que, combinée avec celle des arrêts du 10 juillet 2002, elle donne tout de même un effet dissuasif à la conclusion de clauses de non-concurrence disproportionnées. [...]
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