La qualification d'un contrat en contrat de travail emporte pour les parties des conséquences non négligeables. Cette qualification reste toutefois difficile. Les présomptions figurant au Livre 7 du Code du Travail viennent dans certaines professions faciliter la tâche du demandeur. Toutefois, l'étape de recherche des éléments fondant ces présomptions devient parfois une « pré qualification » qui ne fait que repousser la difficulté en amont. Cet arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 20 décembre 2006 nous en fourni l'exemple.
En l'espèce, M.M avait été embauché en 1989 par une société de presse en qualité de correspondant local. Son travail consistait à fournir des articles illustrés. Ayant postulé à un emploi de journaliste dans cette même société, celle-ci le lui avait refusé et avait rompu le contrat la liant à M.M.
M.M saisit le Conseil de Prud'hommes d'une demande de reconnaissance de sa qualité de journaliste professionnel pour la période antérieure à sa candidature et donc de paiement au titre de rappel de salaires et d'indemnisation de la rupture. Il demande par ailleurs des dommages et intérêts pour discrimination raciale à l'occasion de sa candidature. L'affaire ayant été portée devant la Cour d'appel, celle-ci renvoie le litige concernant le paiement en rappel de salaire et indemnité devant le Tribunal de Grande Instance, au motif que M.M n'avait pas la qualité de journaliste professionnel mais celle de correspondant local. Par ailleurs, elle reconnaît la compétence du Conseil de Prud'hommes en ce qui concerne la discrimination à l'embauche.
Non satisfaits de la décision de 2e instance, M.M ainsi que la Société se pourvoient en cassation. M.M invoque par un moyen unique plusieurs éléments. Il argue tout d'abord du fait qu'il tirait l'essentiel de ses ressources de cette activité, que cette activité était son unique occupation depuis une longue période, que la Société lui fournissait le matériel de son activité qu'il exerçait pour grande partie dans ses locaux, que c'est elle qui définissait sa mission ainsi que d'autres éléments de détermination de l'objet et des moyens de son travail et que la Société contrôlait l'exécution du travail. Il indique que ces éléments devaient conduire la Cour d'appel à reconnaître sa qualité de journaliste en application des articles L121-1 et L761-2 du Code du Travail. Il invoque ensuite un défaut de réponse à conclusions, lesquelles indiquaient, d'une part le caractère unilatéral du choix de la rémunération à la pige par la Société, et d'autre part, que M.M ne présentait aucune des conditions pour être correspondant local. Il invoque, par ailleurs, que le travail habituel même rémunéré à la pige d'un journaliste, en fait un collaborateur régulier auquel l'entreprise doit fournir du travail, et qu'ainsi ce mode de rémunération n'est pas incompatible avec la qualité de journaliste. Il reproche de plus le manque de base légale de la Cour d'appel qui n'a pas recherché si M.M ne pouvait être qualifié de reporter-photographe au sens de l'article L761-2 alinéa 3. Il reproche enfin à la Cour d'appel d'avoir mal interprété la demande qu'il avait formulé à la Société en 2004 de se voir appliquer le statut de journaliste, et d'en avoir tiré la conclusion que cette demande valait reconnaissance par M.M lui-même de l'impossibilité de s'en prévaloir pour la période antérieure à 2004 alors que c'était justement ce qu'il réclamait à son employeur.
La Société, pour sa part, critique la reconnaissance de la compétence du Conseil de Prud'hommes en matière de discrimination à l'embauche, au moyen qu'il n'existe à ce moment là aucun contrat de travail privant ainsi de sa compétence le Conseil de Prud'hommes au sens de l'article L511-1.
Deux questions sont ainsi posées à la Cour de cassation. D'une part, M.M est-il un journaliste professionnel ou un des professionnels assimilés au sens de L761-2 du Code du Travail. D'autre part, le Conseil de Prud'hommes est-il compétent pour connaître des discriminations à l'embauche.
La Cour de cassation rejette les deux pourvois. Sur la demande de la Société, elle indique que « le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître de tout litige relatif à L122-45 du Code du Travail ». Cette réponse ne sera pas ici étudiée. Sur la demande de M.M, la Cour de cassation indique que la Cour d'appel a constaté que M.M « ne participait pas à la politique rédactionnelle du journal, à la hiérarchisation et à la vérification de l'information; [...] que les rémunérations qui lui étaient versées sous forme d'honoraires, en fonction des articles et des photographies, étaient variables et qu'il ne démontrait pas qu'elles constituaient ses uniques revenus; qu'ainsi, n'étant pas tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, elle a pu décider, faisant application de l'article L761-2, alinéa 1 et 2, du Code du Travail, qu'il n'était pas un journaliste professionnel, mais un correspondant local de presse, qui, faute d'appointements fixes, avait un statut de travailleur indépendant ».
Cette solution, qui fait l'objet d'une publication P+B+R+I, ce qui laisse supposer qu'elle revêt une importance particulière, amène toutefois un certain nombre de remarques. La Cour de cassation admet ici la qualification de correspondant local et confirme donc implicitement le renvoi qui avait été décidé par la Cour d'appel. En effet, si le journaliste professionnel est bien un salarié relevant de la compétence du Conseil de Prud'hommes, le correspondant local est lui un travailleur indépendant qui n'est donc pas lié par un contrat de travail. Toutefois, si la Cour de cassation expose avec une certaine pédagogie ses motifs, le raisonnement qu'elle entreprend pour arriver à cette conclusion peut paraître incomplet ou du moins partiellement inexprimé. En effet, si le refus de la qualité de journaliste professionnel ne semble pas soulever la critique, la qualification subséquente de correspondant local semble trop rapidement énoncée pour que le syllogisme soit parfaitement rigoureux. De plus, les conséquences de cette qualification ne sont pas négligeables. En effet, elle conduit tout d'abord à attribuer la compétence au TGI. Elle pose de plus la question du droit applicable à la relation contractuelle qui est ici portée devant le juge. Toutefois, la portée de cette solution, malgré sa publication aux plus prestigieux supports officiels, semble devoir être relativisée. La restriction du champ d'application du régime du contrat de travail, que semble ici mettre en place la Cour de cassation, mérite d'être envisagé avec réalisme et lucidité, et ne semble pas mettre en jeu la jurisprudence classique en la matière.
Ainsi, il conviendra d'étudier successivement la qualification forcée de l'activité litigieuse (I) puis les conséquences majeures de la qualification de l'activité litigieuse (II).
[...] Le refus de la qualification de journaliste professionnel est ainsi justifié correctement bien que la Cour de cassation puisse paraître trop tolérante face à la Cour d'appel qui retient des éléments bien plus précis que ce que n'exige la loi. Ainsi, dans la deuxième partie de son raisonnement, la qualification de correspondant local semble extensive La reconnaissance extensive de la qualité de correspondant local de presse La Cour de cassation valide la qualification de correspondant local de presse. Cette reconnaissance apparaît comme extensive, car elle ne relève pas à cette fin d'autres éléments énoncés par la Cour d'appel. [...]
[...] Toutefois, le caractère spécifique du litige et la recherche du fondement de la décision dans l'article L761-2 permettent de largement relativiser ces scénarios. Cette solution est difficilement transposable. De plus, le caractère contestable du raisonnement, qui associe très rapidement absence de la qualité de journaliste et qualité de correspondant, laisse à penser qu'une telle solution ne saurait se généraliser ou même être confirmée sans que la Cour de cassation ne fournisse plus d'indications sur sa démarche. [...]
[...] Toutefois, la Cour de cassation procède bien ici en deux étapes bien distinctes. D'une part, elle refuse de manière justifiée la qualité de journaliste professionnel puis, de manière bien plus extensive, elle reconnaît la qualité de correspondant local de presse Le refus justifié de la qualité de journaliste professionnel La Cour de cassation reprend dans son motif les éléments pertinents relevés par la Cour d'appel afin de refuser la qualification de journaliste professionnel. Cette partie du motif permet de constater que deux indices ont fondé ce refus: d'une part, les fonctions de M.M d'autre part, sa rémunération Un refus fondé sur les fonctions La Cour de cassation indique que la Cour d'appel a relevé que M.M fournissait au journal des articles et photographies de manifestations sportives locales, mais ne participait pas à la politique rédactionnelle du journal, à la hiérarchisation et à la vérification de l'information Le premier élément qui justifie que M.M n'était pas un journaliste professionnel réside dans la nature de ses fonctions. [...]
[...] Là où classiquement la Cour de cassation va s'interroger sur la réunion des critères du contrat de travail à travers un faisceau d'indices, il est ici question de qualifier un pré requis, la qualité de journaliste, nécessaire à la mise en oeuvre d'une présomption. Cette solution se singularise d'ores et déjà par la question à laquelle elle répond. Il serait possible de voir dans cette décision le signe d'une approche restrictive de la qualification de contrat de travail. Cette décision prolongerait l'article L120-3 en agissant sur les présomptions inverses en limitant leur portée. [...]
[...] Cet article indique ainsi que Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse Le texte fournit ainsi un certain nombre de critères cumulatifs permettant de qualifier une activité de journalisme professionnel. La Cour de cassation vient ici préciser ce qu'il faut entendre par exercice de la profession C'est cet élément du texte qui incite la Cour de cassation à prendre en compte les fonctions comme élément pertinent. Elle avait déjà indiqué précédemment que Sont journalistes, au sens de l'article L761-2, ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et personnelle à une publication périodique en vue de l'information des lecteurs (Soc 1.04 .1992). [...]
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