La prise en compte depuis peu par le Droit du Travail du rapport indissociable existant entre la personne même du salarié en tant que corps humain et ses conséquences sur le contrat de travail a poussé le législateur à intervenir par une loi du 23 décembre 1982, devenue l'article L231-8-1 du Code de Travail qui énonce qu' : « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux ».
Quatre ans plus tard, la jurisprudence s'est enfin prononcée sur l'appréciation de ces dispositions en rendant, le 11 décembre 1986, un arrêt en ce sens.
Il s'agissait en l'espèce d'une salariée, qui souffrant d'une scoliose, avait refusé d'occuper le poste auquel elle avait été affectée par son employeur, en raison des risques d'aggravation de la maladie qu'elle encourait en l'absence de modifications du siège et du repose-pied envisagées par le médecin du travail.
La société Précilec avait alors notifié à Mme Nette, à son service en qualité de câbleuse, un avertissement pour avoir refusé de travailler le 6 avril 1983 et pour avoir démonté le dispositif de montage afin de le transporter à son ancien poste.
La Cour d'appel de Paris a estimé que la salariée avait un motif raisonnable de penser que le maintien à son porte de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé dans la mesure où son retrait avait été dicté par la crainte que les nouvelles conditions de travail auxquelles elle se soumettait nuisent à sa santé en l'absence d'aménagements spéciaux du poste par l'employeur.
Selon le pourvoi formé par ce dernier, le droit de retrait doit tout d'abord être un recours exceptionnel pour faire face à une situation dont le danger est imminent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et les conclusions du médecin du travail qui avait déclaré Mme Nette apte à occuper son poste permettait de croire que celle-ci allait reprendre le travail.
La question de droit que l'on peut alors se poser est celle de savoir si le motif raisonnable permettant au salarié de se retirer d'une situation dangereuse pour sa vie ou sa santé peut être appréciée subjectivement et en dehors de tout danger d'accident ?
La Cour de cassation a répondu par l'affirmative en s'en remettant à l'appréciation souveraine des juges du fond et rejette ainsi le pourvoi.
En affirmant le droit pour le travailleur de se retirer de son poste en dehors de tout danger d'accident, la Haute juridiction fait une application extensive de l'article L231-8-1 du Code de travail (I), tout en soumettant au contrôle souverain des juges du fond l'exigence d'une appréciation in concreto du motif raisonnable justifiant l'exercice du droit de retrait des salariés (II).
[...] Mais le droit de retrait étant comme nous l'avons vu un droit subjectif, les juges doivent relever les éléments subjectifs permettant de qualifier la situation dans laquelle se trouvait la salariée et d'admettre ou non le caractère raisonnable du motif du retrait. Pour ce faire la Cour d'appel a mis en parallèle le comportement de la câbleuse en ce qu'elle a délibérément décidé de ne pas exécuter le travail qui lui était demandé, avec les faits de l'espèce, c'est-à-dire, le fait que la salariée était atteinte d'une scoliose et que malgré le fait que le médecin du travail l'ait déclarée apte à travailler il n'en résultait pas moins qu'en l'absence de dispositifs spécialement aménagés à son nouveau poste Mme Nette encourait des risques d'aggravation pour sa maladie. [...]
[...] La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure est-il possible de vérifier objectivement la régularité de l'exercice d'un droit subjectif et qui est compétent pour le faire ? Le contrôle à posteriori et souverain des juges du fond La Cour de cassation énonce très clairement dans son attendu que c'est par une appréciation souveraine des éléments de la cause, que la Cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, a estimé que la salariée avait un motif raisonnable de penser que le maintien à son poste de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé En l'espèce, les juges du fond sont donc les seuls à pouvoir apprécier l'opportunité de l'utilisation du droit de retrait et d'en fixer les limites. [...]
[...] La Cour de cassation semble le penser, tout du moins elle semble avoir une appréciation extensive du critère d'imminence dans la mesure où elle applique l'article L231-8 du Code de travail en dehors de tout danger d'accident. II. Le droit de retrait du salarié ; un droit affirmé mais contrôlé En confirmant l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, La Cour de cassation semble respecter l'esprit de la loi en se prononçant pour une appréciation subjective de la situation de danger tout en s'en remettant entièrement au contrôle souverain des juges du fond Une appréciation subjective de la situation de danger En l'espèce, la Cour de cassation est amenée pour la première fois à se prononcer sur la question du droit pour le salarié de se retirer d'une situation qu'il estime dangereuse pour sa vie ou sa santé. [...]
[...] En effet, les juges de la Haute juridiction appliquent pour la première fois la loi du 23 décembre 1982, et ce de façon subjective. Selon la formulation de l'article L231-8-1 du Code de travail, le travailleur a le droit de s'éloigner de son poste s'il a un motif raisonnable de penser qu'il encourt des risques pour sa vie ou sa santé. Le droit de retrait est donc un droit subjectif dans le sens où seul le salarié est en mesure d'apprécier la dangerosité de la situation, en dehors de tout élément d'extériorité. [...]
[...] Ce droit de la personnalité fait partie, avec le respect à la vie privée et à la dignité, des droits fondamentaux des travailleurs. Cette exigence du respect de l'intégrité physique des salariés va dans le sens de la jurisprudence ordinaire en matière de droit commun car elle tend à protéger la partie faible au contrat, et plus particulièrement ici au contrat de travail. Encore faut-il que le respect de l'intégrité physique du salarié qui est à l'origine du droit pour celui-ci de se retirer d'une situation dangereuse soit défini de manière assez précise afin qu'aucun préjudice ne soit subi par l'une ou l'autre des parties. [...]
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