La transmission d'une information doit-elle faire l'objet d'une obligation? Cette question qui anime depuis très longtemps la doctrine a notamment été soulevée par Cicéron dans un cas moral très instructif. Ce cas est le suivant : « Si par exemple un homme de bien a amené d'Alexandrie à Rhodes, une grande quantité de blé au moment, chez les Rhodiens, d'une disette et d'une famine, accompagnées d'une cherté extrême des denrées. S'il sait également qu'un bon nombre de marchand ont quitté Alexandrie et s'il a vu, au cours de la traversée, des navires chargés de blé, se dirigeant vers Rhodes, va-t-il le dire au Rhodiens ou bien, grâce à son silence, va-t-il vendre son blé le plus cher possible ? ». Cette illustration permet de s'interroger sur la valeur morale du silence.
Cicéron (106 av. J.C.-43 av J.C), juriste et philosophe, nous donne son sentiment par l'intermédiaire d'un dialogue entre deux philosophes stoïciens, Diogène de Babylone et Antipater.
Diogène de Babylone, qualifié de stoïcien de grande autorité, pense que ce marchand peut licitement dissimuler la connaissance qu'il a de l'arrivée des vaisseaux et vendre ainsi son blé à prix élevé : en effet, selon lui, « le vendeur doit, dans la mesure où c'est déterminé par le droit civil, déclarer les défauts de la marchandise, mais pour le reste, agir sans traquenards, et puisqu'il vend, autant vouloir vendre le mieux possible ». Il ajoute : « j'ai amené, étalé ma marchandise, je ne la vends pas plus cher que les autres, peut être même moins cher, lorsqu'il y a plus grande abondance. À qui tort est-il fait ? ».
Antipater, son disciple, estime à l'inverse « qu'il faut tout découvrir, en sorte que l'acheteur n'ignore absolument rien que connaisse le vendeur ». Il répond alors à Diogène : « que dis- tu ? Alors que tu dois veiller au bien des hommes et servir la société humaine, que tu es né avec cette loi et que tu possèdes ces principes de la nature – auxquels tu dois obéir et que tu dois suivre – selon lesquels ton intérêt est l'intérêt général et inversement, c'est toi qui dissimuleras aux hommes ce que s'offre à eux avantage et comme ressource ? ».
Ce à quoi, Diogène de Babylone lui répond : « une chose est de dissimuler et autre chose est de se taire, et moi, en ce moment, je ne te dissimule rien, si tu ne te dis pas à quelle est la nature des dieux, quel est le terme des biens, choses qui te profiteraient plus une fois connues, que le bas prix du froment ; mais ce n'est point tout ce qu'il t'est utile d'entendre, qu'il m'est par le fait même obligatoire de te dire ».
Antipater rétorque que « c'est au contraire obligatoire s'il existe entre les hommes un lien social naturel ». Diogène clos alors la conversation : « je m'en souviens, mais est-ce que ton lien social est tel que rien n'appartienne à chacun ? S'il en est ainsi, on ne doit même pas vendre quelque chose mais donner ! ».
Cicéron adopte alors la position d'Antipater : « tout ce qu'il t'arrive de taire, cela n'est pas dissimuler, mais tu dissimules lorsque tu veux, en vue de ton propre avantage, laisser ignorer ce que tu peux savoir, à ceux à qui il importe de le savoir. Or qui ne voit quelle est la nature de cette façon de dissimuler et de quel homme c'est le fait ? Assurément, ce n'est pas d'un homme droit, franc, noble, juste d'un homme de bien mais plutôt d'un homme retors, rusé, trompeur, roué, madré, subtil. N'est-il pas inutile d'attirer sur soi tant de noms de vices et de plus nombreux encore ? ».
La question peut se poser en ces termes : doit-on dissimuler des informations que l'on sait pertinentes pour le cocontractant éventuel ? Si la question s'est posée, dans l'exemple rapporté, de savoir si le marchand de blé devait révéler l'arrivée prochaine des vaisseaux, c'est bien évidemment parce qu'il savait que ceux-ci, pleins de blé, se dirigeaient vers Rhodes. Le droit doit-il exiger des hommes un niveau élevé de morale, pour essayer de les transcender eux-mêmes, les obliger à avoir pour objectif un idéal élevé de transparence, ou au contraire, doit-il se contenter du minimum nécessaire à la vie en société ?
L'introduction de la morale pénètre le droit lorsque se pose la question de la valeur juridique d'une dissimulation. Doit-on penser ce que l'on dit et dire ce que l'on pense ? Le fait d'informer recouvre des concepts très différents. Deux étymologies du terme « information » sont possibles. Selon la première thèse , « l'information » viendrait du mot latin « informare » qui désigne l'action de façonner, de mettre en forme et selon une seconde approche, « information » trouverait sa racine dans le latin « informatio » de « informatum » qui vise dessein, l'esquisse, la conception . Ces deux acceptions sont les deux faces d'une même réalité : la première illustre l'aspect dynamique de l'information (l'action d'informer) et la deuxième, l'aspect descriptif de celle-ci (le savoir).
En partant de cette idée, on peut arriver à trouver une cause de nullité dans la rétention d'information, c'est-à-dire dans le silence gardé par l'une des parties sur un fait que l'autre ignore et qui, si elle le connaissait, modifierait profondément ses intentions de contracter. Si l'une des parties a l'obligation de conscience de parler sous peine d'abuser de l'ignorance de l'autre, le silence doit être moralement et juridiquement sanctionné.
Tel est le rôle joué par la réticence dolosive. La réticence se définit comme le fait de se taire . Elle consiste non pas à dire quelque chose que l'on sait être faux mais à taire un fait avéré susceptible de pouvoir intéresser l'autre pour sa décision de contracter. « La réticence consisterait alors à ne pas dire tout ce qu'on sait » . Réticence parce qu'elle sanctionne un défaut d'information et dolosif parce que l'institution n'est qu'une forme particulière de dol visé à l'art. 1116 du c. civ.
À cet égard, le Code civil a recueilli la tradition romaine, tempérée par le droit canonique. Un système juridique consacrant le formalisme, comme celui du droit Romain primitif, ne pouvait qu'ignorer le dol – comme les vices du consentement d'une façon plus générale – le contrat était valable dès lors que les formes prescrites avaient été correctement utilisées. Ce n'était pas le consentement qui créait l'obligation mais la forme.
C'est grâce à l'action du prêteur s'efforçant de réprimer la déloyauté dans la conclusion du contrat que le dol (dolus) a été introduit en droit positif de façon détournée. Si le contrat n'a pas été exécuté, le prêteur peut donner à la victime du dol ou de la violence une exception fondée sur les agissements délictueux de celui qui réclame l'exécution, l'exception doli ou l'exception metus. Si le contrat a été exécuté, le prêteur ordonne la réparation du délit au moyen d'une restitutio in integrum, mais il n'y a pas d'annulation du contrat, c'est à titre d'indemnité qu'on ordonne la restitution de ce qui a été payé.
La tradition du droit canonique envisage la question en termes de conscience : le juge ecclésiastique doit déterminer si celui qui n'exécute pas sa promesse commet un péché ; à cette fin, il vérifie si la promesse elle-même est entachée d'immoralité, si elle a été donnée sous le coup de l'erreur, du dol ou de la violence. Dans l'affirmative, l'inexécution de la promesse ne constituera pas un péché.
Les rédacteurs du Code civil ont repris les règles romaines qui avaient le mérite d'avoir été éprouvées par une longue pratique tout en les faisant changer de catégorie juridique. Alors qu'en droit Romain, le dol était sanctionné en tant que délit, l'art. 1109 c. civ les envisage comme vices du consentement, sans pour autant que la connotation délictuelle soit gommée. En effet, selon l'angle sous lequel on le considère, le dol se présente sous ces deux aspects, à la fois distincts et complémentaires.
Vu du côté de celui qui en est victime, le dol apparaît comme un vice du consentement. Ce sont alors les exigences psychologiques liées à l'erreur que le dol doit provoquer qui exigent que soit prononcée l'annulation du contrat.
Vu du côté de son auteur, l'auteur apparaît comme un délit civil : il s'agit d'un comportement malhonnête intentionnellement dommageable. Les exigences morales se joignent alors aux impératifs psychologiques pour imposer une sanction que seule le Droit romain connaissait.
Pourtant, en adoptant la réticence dolosive comme une simple variété de dol, la jurisprudence a contribué à imposer l'obligation d'information comme le fondement contemporain de cette dernière, en abandonnant l'intention de nuire aux figures traditionnelles du dol (chapitre I), avec un effet particulièrement perturbateur pour le régime juridique qui est dévolu (chapitre II).
[...] Bourgeois, Solidarité, Paris, Armand Collin p [206] V. J. Cédras, Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de cassation, Rapport annuel de la Cour de cassation Partie II, p [207] V. Cass., civ, 1ère mai 1995, réf., préc. [208] Cass., civ, 3e janvier 2007, réf., préc. [209] Pour une présentation de sa doctrine, V. J.-L Aubert, J. Flour, E Savaux, Droit civil, Les obligations, Volume 1 : L'acte juridique, 10e éd., Armand Collin 120, p. [...]
[...] [202] En contemplation de l'effet de ce défaut qui rendait la chose inutilisable pour les véhicules : V. Cass., civ, 1ère juin 1999, D IR 287 [203] C. Atias, L'obligation de délivrance conforme, D Chron. p [204] Ch. Jamin, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, in Le contrat au début du XXIème siècle, Etudes offertes à J. Ghestin, LGDJ 2001 ; D. Mazeaud, Loyauté solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle in L'avenir du droit, Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz [205] L. [...]
[...] Or qui ne voit quelle est la nature de cette façon de dissimuler et de quel homme c'est le fait ? Assurément, ce n'est pas d'un homme droit, franc, noble, juste d'un homme de bien mais plutôt d'un homme retors, rusé, trompeur, roué, madré, subtil. N'est-il pas inutile d'attirer sur soi tant de noms de vices et de plus nombreux encore ? La question peut se poser en ces termes : doit-on dissimuler des informations que l'on sait pertinentes pour le cocontractant éventuel ? [...]
[...] La première application jurisprudentielle du principe semble être un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 janvier 1930, RTD civ obs. Demogue Si la situation est lourdement obérée car a contrario, si la banque peut taire à la caution les difficultés courantes de trésorerie que peut connaître le débiteur. Comme le fait remarquer L. Aynès sous l'arrêt, le cautionnement est un contrat conclu dans l'intérêt du créancier et l'on ne saurait reprocher à celui-ci d'adopter un comportement conforme à cet intérêt dès qu'il n'est pas malhonnête. [...]
[...] [114] Portalis, Discours préliminaire du Code civil, Videcoq t p [115] Dans ce sens, P. Bonassies, th. préc., p et p. 484-485 [116] Comme l'emploi de moyen fallacieux pour rajeunir artificiellement le véhicule d'occasion en modifiant la carte grise ou en trafiquant le compteur kilométrique (V. Cass., 1ère janvier 1979, D p. 288) [117] V. notamment, le cas de l'assuré qui procède à des déclarations inexactes afin de diminuer l'objet du risque. Cass., 1ère octobre 1998, JCP 1998, II concl. [...]
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