La réaction instinctive, devant la matérialité du dommage, est un sentiment d'injustice, de rupture d'égalité exigeant une compensation. Les droits primitifs, favorables à la victime, prévoient une réparation automatique, d'abord par vengeance, par la célèbre loi du Talion, puis par composition pécuniaire. Cette dernière est automatique en ce que la conduite de l'acteur du dommage n'est ni examinée ni jugée. Cette réparation systématique revient plus à déplacer qu'à compenser le sort. L'auteur doit réparer même si, ayant agi normalement, il n'a été que l'instrument du sort.
Ainsi, pendant longtemps, le sens du progrès a consisté à réagir contre ce mouvement naturel en distinguant ce qui est dû au hasard et ce qui est dû à l'activité fautive de quelqu'un et en limitant la réparation à ceci.
Le mouvement a commencé au cours de l'évolution du droit romain. Pendant un certain temps, celui-ci ne tint compte que du préjudice. Dans la lex Aquilia, le damnum injuria datum s'appréciait uniquement chez la victime et c'était la matérialité du dommage qui ouvrait droit à réparation. Ce n'est qu'à la fin de la République romaine que la conduite de l'auteur fut prise en considération pour déclarer irresponsable celui qui a causé un dommage sans faute. Cette mutation d'injuria fut le premier pas dans la voie de l'abandon du dommage fortuit à la charge de sa victime.
Le deuxième pas fut franchi par l'action dite « de dol », uniquement fondée sur la faute. Mais l'évolution s'est faite lentement et l'action du dol n'est jamais parvenue à s'élever en principe. Il restait encore sous Justinien de nombreux cas de responsabilité automatique. Poursuivant l'évolution et stimulé par la double idée chrétienne que chacun doit respecter ses devoirs et répondre de ses manquements, mais doit aussi accepter avec soumission les épreuves de la vie.
L'Ancien Droit français est arrivé à une responsabilité uniquement sur la faute, qui a pour corollaire que tout dommage ne résultant pas d'une faute n'est pas réparable. Ainsi pour Domat, si « c'est une suite naturelle de toutes les espèces d'engagements particuliers et de l'engagement général de ne faire tort à personne que ceux qui causent quelque dommage, soit pour avoir contrevenu à quelque engagement ou pour y avoir manqué, sont obligés de réparer le tort qu'ils ont fait. ». En revanche, aucune réparation n'est due « s'il arrive quelque dommage par une suite imprévue d'un fait innocent, car cet événement aura quelque autre cause, soit une imprudence de la victime, soit un cas fortuit, est c'est ce cas fortuit que le dommage doit être imputé. ».
Le Code civil a repris cette attitude, qui s'adaptait si bien à sa philosophie générale. Pour lui, en présence d'un dommage fortuit, il n'y a pas de choix à faire entre l'auteur et la victime. « L'attribution naturelle du dommage est de le laisser à la charge de la victime, parce qu'ainsi on ne fait pas de choix, tendant à redresser les coups du sort. La victime est choisie par le sort, désignée par le destin ».
C'est pourquoi la responsabilité délictuelle du Code est entièrement fondée sur la faute, à savoir un comportement anormal. Le dommage, disait Tarrible, l'un des codificateurs, « pour qu'il soit sujet à réparation, doit être l'effet d'une faute ou d'une imprudence de la part de quelqu'un ».
Ainsi la responsabilité est-elle entièrement fondée sur la faute, prouvée ou présumée. En dehors de là, aucune réparation ne peut être obtenue : le dommage dû au hasard reste dès lors à la charge de la victime, le droit n'étant pas fait pour redresser les coups du sort.
Cependant, par la suite, les conditions du développement technique entraînaient une multiplication des accidents et des dommages dont il devenait de plus en plus difficile de déterminer les causes et qui restaient ainsi sans réparation d'après le système traditionnel.
Le sentiment général, application des nouvelles conceptions plus solidaires, fut que le poids du hasard se faisait trop lourd pour les victimes, d'autant plus qu'il pesait presque toujours sur les mêmes. Aussi un effort constant s'est-il manifesté depuis lors en vue d'une indemnisation de plus en plus large des dommages. Le développement des institutions de garantie est l'un des traits saillants du droit du XX è siècle. Mais ce mouvement, bien qu'inspiré par la même réaction sentimentale, n'aboutit pas aux mêmes résultats que les systèmes de responsabilité primitifs. Car ce sentiment de pitié qui joue en faveur des victimes se retrouve au profit des responsables. Ces derniers n'ont été que les « acteurs » des dommages fortuits, et ne doivent pas non plus supporter ces coups du sort. Alors, sur qui les faire peser ? C'est ici que la solidarité doit jouer : c'est sur le corps social tout entier que doivent s'amortir ces dommages.
C'est pourquoi ce mouvement de réparation croissante s'est indissociablement accompagné d'un effort tendant à répartir sur l'ensemble du corps social le poids des dommages fortuits.
Cette prise en charge par le corps social opère un déclin de la responsabilité individuelle au moyen d'une socialisation des risques. Les dommages sont alors pris en charge par les assurances, la Sécurité sociale et l'Etat. Cette solution tend à assurer une égale sécurité à tous et elle renforce la solidarité par un partage des coups du sort. Elle rassure également chacun sur sa propre sécurité satisfaisant le sentiment de justice dans sa conscience actuelle. Cependant cette conception présente des inconvénients majeurs à savoir qu'économiquement parlant, le poids total de cette construction pèse très lourd sur la collectivité, beaucoup plus lourd que la somme des dommages à réparer. Tous les automobilistes savent le coût de leur assurance. Moralement parlant, cette indemnisation automatique inquiète certains auteurs car elle fait disparaître la sanction attachée à la faut, et par là le sens de la responsabilité individuelle. Pour ne pas renoncer aux bienfaits du système, des correctifs sont mis en place, telle que l'institution du bonus malus dans les assurances pour répondre au souci moral. En pratique, les tribunaux, même animés par un souci général d'indemnisation, restent grandement influencés dans chaque cas d'espèce par le rôle qu'a pu jouer une faute.
C'est ainsi le cas en matière d'accident de la circulation qui a connue une lente évolution pour aboutir à la loi du 5 juillet 1985. Le législateur est resté très longtemps inactif en cette matière, ou plutôt indécis entre les différents intérêts en cause à savoir le souci de protéger les victimes, le souci toutefois de ne pas encourager les imprudences par une réparation automatique, le souci également de ne pas accroître à l'excès les charges des assurances qui se répercutent dans le calcul des primes alors que le secteur automobile constitue un pan important de l'activité économique. Il convient alors de souligner tous les précédents de la loi de 1985 avant de voir les tenants et les aboutissants de ladite loi.
[...] C'est pourquoi ces auteurs souhaitaient la mise en place par le législateur d'un véritable système de sécurité routière. La Cour de cassation, par l'arrêt Desmares a ainsi répondu à cette attente et posé le principe suivant : seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l'article 1384 alinéa 1er ; que dès lors, le comportement de la victime, s'il n'a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l'en exonérer, même partiellement C'était la politique dite du tout ou rien (obs. [...]
[...] Ainsi, des sanctions sont prévues pour le cas où il ne respecterait pas ses obligations (offres tardives, offre dérisoire). L'ensemble de ces mesures, explique que si le contentieux des accidents de la circulation n'a pas totalement disparu, il est devenu relativement marginal. Cela montre que le processus volontariste que voulait le législateur a abouti ; la plupart des affaires se résolvent et si les victimes sont un peu moins indemnisées, ces accords ont pour avantage une indemnisation plus rapide de la victime. [...]
[...] La même remarque vaut pour les décisions relatives au caractère insurmontable de la force majeure : les décisions s'enchainent sans aucune logique d'ensemble. C'est d'ailleurs principalement à cause des accidents d'automobile que la jurisprudence a été conduite à préciser quelle pouvait être l'incidence d'un fait ou d'une faute de la victime sur la responsabilité pesant sur le gardien en application de l'article 1384 alinéa 1er du Code Civil. L'appréciation de la faute de la victime, étant devenue une autre cause d'exonération du conducteur, était tout autant controversée. [...]
[...] Tel est le cas par exemple des notions de force majeure ou de fait d'un tiers utilisées à l'article 2 de la loi ou encore de faute de la victime. Enfin, le caractère immédiat de l'application de la loi nouvelle peut également être souligné. En effet, l'article 47 alinéa modifié par la loi du 11 octobre 1985 est ainsi rédigé : Les dispositions des articles premier à six s'appliqueront dès la publication de la présente loi, même aux accidents ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette publication, compris aux affaires pendantes devant la Cour de cassation. [...]
[...] Cet arrêt tellement critiqué a eu au moins un effet positif, à savoir que moins de trois ans plus tard, en 1985, est enfin intervenue la réforme au profit des victimes d'accidents de la circulation. La jurisprudence Desmares ne se justifiait plus. Celle-ci se justifiait d'autant moins que les autres chambres de la Cour de cassation avaient refusé d'appliquer cette solution et maintenaient la solution classique. On comprend dès lors fort bien, les raisons qui ont conduit le législateur à suivre la position dominante de la doctrine prônant la nécessité de réformer le système d'indemnisation pour les dommages causés en cas d'accident de la circulation. [...]
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