L'arrêt qu'il s'agit de commenter a été rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 3 mai 2000. En l'espèce, Mme Boucher, la venderesse, vend en 1986 aux enchères publiques 50 photographies de Baldus au prix de 1000 francs chacune. Trois ans plus tard, elle retrouve son acquéreur et lui vend 35 puis 5 autres photographies du même auteur au même prix qu'elle avait fixé. Elle apprend ultérieurement que Baldus était un photographe de très grande notoriété. La venderesse échoue d'abord devant le juge pénal du chef d'escroquerie. Elle assigne donc son acheteur en nullité des ventes pour dol. La cour d'appel de Versailles, par un arrêt du 5 décembre 1997, fait droit à ses demandes et condamne l'acquéreur au paiement de 1 915 000 Francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes après déduction du prix de vente d'un montant de 85000 Francs encaissé par la venderesse. Elle retient que l'acheteur ayant vendu avant les ventes successives, les photographies acquises lors de la vente aux enchères à des prix sans rapport avec leur prix d'achat, savait qu'il « contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l'art, manquant ainsi à l'obligation de contracter de bonne foi qui père sur tout contractant. Par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, il avait incité le vendeur à conduire une vente que celui-ci n'aurait pas envisagée dans ces conditions. L'acheteur forme alors un pourvoi en cassation à l'encontre de la venderesse. L'acheteur était-il obligé d'informer la venderesse sur la valeur des photographies vendues ? Jusqu'où l'exigence de loyauté entre les parties doit–elle s'imposer ?
La Cour de cassation répond par la négative à la première question et casse l'arrêt de la Cour d'appel au motif que celle-ci a violé l'art. 1116 du Code civil: « aucune obligation d'information ne pesait sur l'acheteur ».
Cette décision présente un double intérêt: d'une part en raison des solutions données respectivement par la Cour d'appel et par la Cour de cassation qui correspondent aux deux courants relatifs à la réticence dolosive. En effet, cette décision invite à remarquer que le droit applicable à la réticence dolosive diffère, non pas en fonction de l'espèce, mais en fonction du courant qui inspire la juridiction chargée de l'affaire. Ce courant sera tantôt libéral tantôt solidariste. Il est alors logique de constater que la jurisprudence en subit les conséquences: elle ne brille pas par sa cohérence en matière d'obligation d'informer le vendeur. Il convient donc pour commenter la décision de la troisième chambre civile, d'analyser d'abord les deux solutions de la Cour d'appel et de la Cour de cassation (I) pour ensuite étudier la divergence de la jurisprudence susceptible de raviver certaines critiques (II).
[...] Il estimait que le silence était un véritable manquement à la loyauté. Ce n'est pas un devoir de justice au sens strict du terme mais un de voir de solidarité. C'est d'ailleurs à cette thèse que la cour d'appel s'est rattachée. B. Le soutien du courant solidariste par la cour d'appel La cour d'appel retient que l'acheteur a contracté à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l'art, manquant ainsi à l'obligation de contracter de bonne foi ( ) et que par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, l'acquéreur a incité le vendeur à conclure une vente qu'il n'aurait pas envisagée dans ces conditions Contrairement à la solution de la cour de cassation, la cour d'appel s'est clairement inspirée du courant moral et solidariste. [...]
[...] Ces ventes sont justement fondées sur le fait que l'acheteur croit acheter une chose en dessous du prix fixé sur le marché. Cette solution donnée par la cour d'appel impliquerait manifestement que le dol devienne le paravent de la lésion dont le principe n'est pas admis de manière générale en droit positif. On n'annule pas en principe un contrat du fait qu'il est déséquilibré. En admettant cette solution on pourrait tout à fait contrôler l'équilibre du contrat. Ces deux solutions semblent être le miroir de la réaction de la jurisprudence face à cette question. [...]
[...] M.Savaux estimera malgré tout que l'objet des erreurs provoquées et que l'élément matériel du dol étaient différents, ce qui justifiait des solutions distinctes Cette opinion est contestable. Si les deux espèces ne sont pas les mêmes, ce n'est que par nuance. Pour finir, J.Mouly, travailliste, propose un critère pour faire prévaloir ou non le devoir d'informer : c'est celui de l'accessibilité de la partie à l'information. Ce critère semble être une juste vision du contrat dans son sens le plus large. [...]
[...] La cour d'appel se retranche derrière l'obligation d'information alors que la cour de cassation prône implicitement le devoir de s'informer. En réalité, toute la difficulté réside dans ce conflit d'obligation quand il s'agit d'un contrat conclu entre deux particuliers ou deux professionnels. Dans le cadre d'un contrat conclu entre un particulier et un professionnel, l'obligation d'information pèse en principe sur le professionnel. Mais dans la première hypothèse, les tribunaux doivent comparer la force de ces obligations t doivent en faire prévaloir une au détriment a fortiori de l'autre. [...]
[...] Le désordre jurisprudentiel Le 15 janvier 1971, la troisième chambre civile pose le principe suivant : le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant un fait qui s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter L'arrêt du 3 mai 2000 précise quant à lui que le contrat ne pouvait être annulé pour réticence dolosive puisqu'aucune obligation d'information ne pesait sur l'acheteur. La victime aurait donc toujours le devoir de se renseigner elle-même et son erreur devrait être qualifiée d'inexcusable. Mais le renversement de jurisprudence a surtout eu lieu quelques mois après cette décision, le 15 novembre 2000. La cour de cassation estime que l'acquéreur resté silencieux sur une qualité essentielle du bien vendu, le contrat doit être annulé pour dol. [...]
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