La force majeure, ou cause étrangère était traditionnellement définie comme la réunion de trois éléments : un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Nous allons voir dans cet arrêt que la jurisprudence après avoir divergé, montre aujourd'hui une volonté de redéfinir la force majeure, définition qu'il convient d'analyser.
Dans cet arrêt, une société avait subi un dommage du fait de deux coupures d'électricité, dues à un mouvement social dans la société cocontractante, son fournisseur d'électricité. Le fournisseur a assigné la société qui avait subi le dommage en paiements de factures arriérées, laquelle forme alors une demande reconventionnelle en réparation du préjudice causé.
La Cour d'appel exonère le débiteur de son obligation et déboute la société demanderesse en estimant que malgré le caractère prévisible des ruptures de fournitures d'énergie, la force majeure était constituée car les ruptures de fourniture d'énergie présentaient un tel caractère d'irrésistibilité que le caractère imprévisible de celles-ci n'était pas requis.
La question qui se pose alors est de savoir si le caractère imprévisible du dommage est nécessaire pour constituer la force majeure.
[...] De même, pour la maladie, tout débiteur peut envisager la survenance de la maladie, même s'il est vrai qu'au jour de la conclusion du contrat, aucun élément peut laisser à penser qu'elle surviendrait durant l'exécution. En elle-même la condition d'imprévisibilité d'un événement n'est pas rigoureuse, puisqu'il peut survenir probablement. Mais la Cour de cassation s'en tient en réalité uniquement à une condition de connaissance de la survenance du dommage, c'est-à-dire à savoir si le débiteur savait, au jour de la conclusion du contrat que l'événement allait survenir. [...]
[...] La première Chambre civile avait admis, en contradiction avec la deuxième, que l'on puisse se délier de ses obligations si, malgré la prévisibilité de l'événement, on avait pris toutes les mesures nécessaires afin d'éviter le dommage. Ainsi, elle a considéré que l'imprévisibilité de l'événement est, à elle seule, constitutive de la force majeure lorsque sa prévision ne saurait permettre d'en empêcher les effets, sous réserve que le débiteur ait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de l'événement Dans la présente affaire, c'est ce qu'applique la Cour d'appel en estimant que bien que les ruptures dans la fourniture d'énergie étaient prévisibles puisqu'annoncées publiquement, étaient irrésistibles, inévitables et insurmontables et que dans de telles circonstances d'irrésistibilité, l'imprévisibilité n'est pas requise Nous avons cependant montré qu'en matière contractuelle, le principe de liberté contractuelle (dont son pendant, la liberté de ne pas contracter) impose tout de même que le dommage soit imprévisible au jour du contrat. [...]
[...] Même si la première Chambre civile caractérise enfin la force majeure, on peut regretter qu'elle abandonne toute allusion à l'inévitabilité des effets dommageables, puisque nous avons vu qu'elle facilite l'exonération du débiteur. Il semblerait donc sage de définir la force majeure, en tout cas en matière contractuelle, comme un événement présentant un caractère irrésistible dans son exécution, imprévisible lors de la conclusion, et qu'on ne peut éviter par des mesures appropriées. Ceci se rapproche de l'Avant-projet de réforme du droit des obligations qui prévoit que la force majeure consiste en un événement irrésistible que l'agent ne pouvait prévoir ou dont on ne pouvait éviter les effets par des mesures appropriées art alinéa 3. [...]
[...] En effet, la première Chambre civile casse l'arrêt de la Cour d'appel qui avait reconnu la force majeure considérant qu'il y avait cause étrangère sans vérifier la condition d'imprévisibilité. Mais la Cour d'appel de renvoi, en application de la solution de la décision, va vérifier uniquement que l'événement présentait un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution En l'espèce, bien qu'un mouvement social soit prévisible, puisqu'en général annoncé à l'avance, on peut penser que la société était engagée depuis longtemps avec son fournisseur d'énergie électrique, par exemple depuis la constitution de la société, si bien qu'il était impossible de prévoir au jour du contrat la survenance de ce mouvement social. [...]
[...] Plus largement, nous verrons que cette décision donne enfin une définition des critères de la force majeure quoiqu'elle soit insatisfaisante (II). La détermination attendue des critères de la force majeure Pour comprendre en quoi l'arrêt de la première chambre civile clarifie enfin les éléments constitutifs de la force majeure il convient d'abord de se pencher sur la position décevante de l'Assemblée plénière L'imprévisibilité et l'irrésistibilité seulement constatées En effet, par deux arrêts du 14 avril 2006, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation n'a pas su donner une position claire sur la question des critères de la force majeure, et notamment sur l'exigence ou non de la réunion des deux conditions d'irrésistibilité et d'imprévisibilité du dommage, alors qu'une grande partie de la doctrine l'y invitait. [...]
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