Dans l'affaire tranchée par la chambre civile de la Cour de cassation le 15 avril 1872, une usine offre une prime à ses salariés. L'avis de prime précise « qu'il est bien entendu que n'importe pour quel cas, la prime demeurera facultative ». Un salarié de l'usine prétend avoir rempli les conditions de la prime, l'ayant déjà touché précédemment, et réclame le paiement de la prime que l'employeur lui a refusé. Le tribunal des prud'hommes ordonne le paiement de celle-ci. L'employeur forme un pourvoi en cassation.
La question qui se pose à la Cour de cassation est de savoir si le juge peut user de son pouvoir d'interprétation vis-à-vis d'une clause rédigée sans ambigüité.
[...] Ainsi, lorsque les termes du contrat sont clairs et précis, la haute juridiction peut censurer la décision du juge pour dénaturation de la convention. Le juge du droit réaffirme sa supériorité face au juge du fond. On peut d'ailleurs critiquer la Cour de cassation de s'être immiscée dans des considérations de fait, c'est-à-dire la volonté des parties, au lieu de se contenter de vérifier si les considérations légales ont bien été respectées. Ainsi, la Cour de cassation instaure une nouvelle sorte de contrôle par elle-même, qui s'apparenterait curieusement à une vérification des faits en censurant l'appréciation souveraine des juges du fond. [...]
[...] Avant que la Cour de cassation ne vienne fixer les premières véritables règles d'interprétation à ce sujet, l'idée classiquement retenue était que les contrats étaient des lois particulières dont la violation était susceptible d'ouverture à cassation. La Cour de cassation avait à ce titre un pouvoir de contrôle de l'interprétation faite par les juges du fond. Avec l'arrêt Lubert du 2 février 1808, la haute juridiction considère que les juges ont désormais un pouvoir souverain d'interprétation des clauses. Une éventuelle erreur ou un abus du juge ne pouvait pas être sanctionné par le juge de droit. [...]
[...] Depuis le XXe siècle s'est également développée une vaste législation du travail, rendant l'arrêt insuffisant. Le Code civil contient bien des dispositions célèbres, contenues dans les articles 1156 jusqu'à 1164 du code. Ces articles, bien que des lois sont pourtant considérées seulement comme des règles d'interprétation auxquelles le juge peut se référer, mais n'est pas tenu. Pour la Cour de cassation, ces directives ne sont que des conseils adressés au juge. Ce dernier n'est donc pas lié par eux (arrêt de la Chambre des Requêtes février 1868). Cette solution peut s'avérer regrettable. [...]
[...] Ultérieurement, la Cour de cassation s'est montrée hésitante à ce propos. Si le conflit qui a opposé le salarié et son employeur dans le cas d'espèce n'a pas posé de difficultés du fait de son cas isolé, il n'en serait pas de même si la condition mise en cause avait été reprochée par plusieurs centaines de salariés. Plus généralement, il s'agit ici de considérer l'inadaptation d'une telle décision dans le cas de contrats d'adhésion, ces contrats de masse signés parfois par des milliers de clients comme c'est le cas avec les contrats d'assurance. [...]
[...] Cette décision du 15 avril 1872 semble donc porter en elle des enjeux colossaux quant à l'un des fondements même du droit des obligations : la volonté des parties au contrat et son interprétation. Il s'agit donc d'une décision de principe dont la portée est à ne pas sous-estimer au regard de l'interprétation des contrats, même si dans la pratique le principe posé se révèle somme toute inachevé (II). I. Une décision de principe L'arrêt de la chambre civile du 15 avril 1872 constitue un revirement de jurisprudence en matière d'interprétation de la volonté des parties. [...]
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