Idem est non esse et non probari. Ou encore, si l'on entend formuler l'adage de façon moins savante : pas de preuve, pas de droit. Tel pourrait bien être l'enseignement majeur (mais pas le seul) de cet important arrêt de rappel, prononcé par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 2 novembre 2005. Important à un double titre : d'abord, parce qu'il vient confirmer, en des termes clairs et précis, une jurisprudence constante, ébauchée depuis plusieurs années déjà ; ensuite, parce qu'il ne se contente pas d'un simple rappel, mais affine la doctrine de la Cour de cassation sur la question récurrente du paiement des prestations effectuées par un garagiste.
En l'espèce, une cliente amène son véhicule à entretenir et à réparer chez un spécialiste, la société Brout. Au moment de la présentation des deux factures émises par le professionnel, la cliente refuse de payer l'une d'elles en prétendant ne pas avoir consenti à l'ensemble des travaux réalisés. Persuadé de son bon droit, le garagiste n'hésite pas à l'assigner en justice afin de recouvrer sa créance alléguée. Et il parvient à convaincre le juge du fond qui condamne la défenderesse sur le fondement de l'enrichissement sans cause (TI Sarlat, 19 juill. 2001). Mais cette dernière, loin de s'avouer vaincue, se pourvoit en cassation pour éviter de régler la somme litigieuse de... 1 067,14 euros HT ! Initiative finalement heureuse car le jugement est censuré au visa très large des articles 1315, alinéa 1er, et 1371 du code civil, et des principes de l'enrichissement sans cause.
Un tel visa n'est pas innocent ! En effet, les précédents jurisprudentiels se fondaient soit sur l'article 1315, alinéa 1er, quand la solution résultait des règles de preuve, soit sur la double référence à l'article 1371 et aux principes de l'enrichissement sans cause lorsque les magistrats statuaient sur l'action de in rem verso. L'arrêt commenté prend donc tout son relief et son intérêt dans cette audace, reflet de la position logique adoptée par la Cour. A cet égard, la liaison opérée entre les différentes sources visées témoigne d'un raisonnement en deux temps : le fondement de la créance du garagiste étant nécessairement contractuel, la théorie de l'enrichissement sans cause n'a pas vocation à s'appliquer ; dans la mesure où l'obligation de la cliente est de nature contractuelle, le demandeur qui ne prouve pas son accord doit succomber dans sa prétention.
Cette décision rigoureuse, mais respectueuse de l'ordre juridique, mérite d'être pleinement approuvée, tant sur le fondement de l'action du garagiste (I), que sur la preuve de l'obligation du client (II).
[...] Quelles sont les prévisions d'un client confiant son véhicule pour un entretien ou une réparation chez un technicien ? Il a l'intention manifeste de conclure un contrat d'entreprise portant sur la réalisation de travaux moyennant un certain prix. Au reste, c'est également l'intention non équivoque du professionnel qui intervient en qualité de prestataire de services. Cela ne signifie pas pour autant que la convention sera effectivement passée entre les parties. Tout dépendra de l'issue des négociations et, notamment, de l'exigence ou non d'un devis. [...]
[...] Par conséquent, prouver l'obligation du propriétaire du véhicule implique d'établir son consentement sur les travaux réalisés. A cet égard, il convient de rappeler qu'un accord préalable sur le prix n'est pas un élément essentiel du contrat de louage d'ouvrage et que, à défaut d'un tel accord (cas fréquent), les juges ont la faculté de le fixer eux-mêmes. Même en présence d'un prix déterminé à l'avance par les parties, l'entrepreneur peut exiger le paiement de travaux supplémentaires qui ont été agréés. [...]
[...] En l'occurrence, elle prend naissance dans un contrat d'entreprise, seul fondement admis par les hauts magistrats. Ce type de contrat ne dérogeant pas au droit commun des actes juridiques, il incombe au garagiste de se conformer aux règles qui gouvernent la preuve littérale. L'arrêt commenté, reprenant une formule désormais traditionnelle, énonce qu'il appartenait à la société Brout d'établir que Mme G . avait commandé ou accepté les travaux effectués [ . ] Autrement dit, le demandeur doit prouver l'accord de son client sur l'étendue de ses propres obligations. [...]
[...] Il est alors enclin à se retourner contre le propriétaire du véhicule en exerçant une action de in rem verso. La tentation est d'autant plus grande que la théorie prétorienne de l'enrichissement sans cause, aux contours mal définis, semble plutôt accueillante. C'est ce que fit la société Brout en l'espèce, avec le succès que l'on connaît en première instance. Cependant, très rares sont les décisions qui font application de cette théorie aux circonstances de la cause. La censure de la Cour de cassation paraissait donc assurée. Pour justifier ce refus, plusieurs raisons ont été avancées par les commentateurs. [...]
[...] C'est cette précaution qui, semble-t-il, lui a permis d'obtenir, ici, le paiement de l'une des factures. Mais, pour l'autre, seul un commencement de preuve par écrit ou une impossibilité matérielle ou morale aurait rendu admissibles des présomptions (art et 1348 c. civ.). A l'inverse, si le montant des travaux ne dépasse pas euros, la preuve de l'accord du client pourra être rapportée par tous moyens, sous réserve de l'adage précité qui est d'application générale : un procédé unilatéral, telle une facture, ne sera pris en compte qu'étayé par d'autres éléments plus objectifs. [...]
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