Surveillance médicale, stimulateurs cardiaques, annonce de la défectuosité, préjudice moral, indemnisation des préjudices
Le professeur Hocquet-Berg a eu l'occasion d'écrire qu'« un préjudice éventuel découlant d'un risque, qui ne s'est pas encore réalisé, n'est pas réparable » c'est ce que rappelle cet arrêt rendu par la Première Chambre civile de la Cour de cassation le 19 décembre 2006.
Il s'agissait d'une affaire où une société avait mis sur le marché des stimulateurs cardiaques équipés de sondes auriculaires, dont a bénéficié M.X, demandeur au pourvoi, atteint d'une insuffisance cardiaque. Suite à divers incidents résultants de la rupture du fil de rétention, il a été convenu d'augmenter la surveillance médicale des porteurs de ces sondes. En dépit du renforcement de la surveillance médicale proposée par le corps médical, le demandeur a préféré se la faire explanter ne supportant plus l'angoisse créée par le risque de rupture du fil de rétention.
Le patient a assigné le fabriquant aux fins d'obtenir réparation de ses préjudices liés tant à la dimension patrimoniale de l'intervention qu'à sa dimension extrapatrimoniale, préjudice moral subi par l'intéressé trouvant sa source dans l'annonce de la défectuosité de la sonde posée et de la crainte de subir un accident cardiaque. Le Tribunal de grande instance de Lyon fit droit à ses demandes. L'appel étant interjeté par le fabriquant, la Cour d'appel de Lyon débouta le patient de ses demandes au motif que l'ex-plantation de la sonde effectuée à titre préventif n'était pas nécessaire puisqu'il n'était pas avéré que la surveillance médicale aurait été insuffisante, mais omise de se prononcer sur le préjudice moral.
[...] Il semble donc que la réparation d'un préjudice moral est indépendante de la réparation du préjudice matériel. En effet, la réparation du préjudice moral lié à la défectuosité de la sonde est admissible, alors que la réparation du préjudice matériel est expressément rejetée. Ceci s'expliquerait si on suppose que les préjudices en cause sont les conséquences de la rupture du fil de rétention, dépourvus de caractère certain, et ne pouvant être réparés ; alors que le préjudice moral lié à l'angoisse de la rupture du fil de rétention est bien certain donc réparable. [...]
[...] Le préjudice s'analysait alors dans les frais d'hospitalisation ou encore l'incapacité induite par l'intervention, qui étaient bien certains. Ainsi, si la Cour de cassation avait fondé son raisonnement sur ce préjudice-là, la solution aurait été sans doute différente. En effet, après avoir constaté que le patient avait rapporté la preuve de son préjudice matériel né des dépenses engagées, la haute juridiction aurait vérifié le lien de causalité entre la défectuosité de la sonde et des dépenses engagées ainsi que les conséquences de l'ablation de ladite sonde, et aurait fait sans doute droit à la demande du patient. [...]
[...] D'abord le dommage doit être direct c'est-à-dire qu'il doit être en relation de causalité avec la faute. Ce lien de causalité s'apprécie selon deux théories : la théorie de la causalité adéquate et la théorie de l'équivalence des conditions. Selon la première, parmi tous les événements qui ont concouru à la réalisation du dommage, on ne retiendrait que celui qui l'a rendu le plus probable. La théorie de l'équivalence des conditions suppose que tout événement ayant concouru de près ou de loin à la réalisation du dommage en est la cause. [...]
[...] Or, ce rejet de la fonction préventive par la Cour de cassation s'il a ses justifications est tout de même critiquable. On compte parmi les négateurs de la fonction préventive de la responsabilité civile le professeur Denis Mazeaud qui estime qu'en consacrant cette fonction, on aboutirait à une responsabilité sans victime, une responsabilité sans préjudice et une responsabilité sans indemnisation. Le professeur Hocquet-Berg ajoute que l'admission d'une action fondée sur le principe de précaution constituera inévitablement un frein à l'amélioration des innovations médicales, les chercheurs craindraient alors la multiplication des procédures et devoir indemniser quiconque ayant bénéficié d'une innovation qui se révèle suspecte, même si le dommage ne s'est pas réalisé. [...]
[...] Le patient soulève également qu'en omettant se statuer sur sa demande de réparation du préjudice moral, la Cour d'appel aurait violé l'article 455 du Code de procédure civile. La Cour de cassation était donc invitée à répondre à deux questions : le préjudice né de dépenses engagées pour prévenir la réalisation d'un dommage est-il réparable ? le préjudice né de la crainte de subir un accident cardiaque liée à la défectuosité de l'appareil implanté est) il réparable ? La première chambre civile approuva les juges du fond d'avoir rejeté la demande d'indemnisation des préjudices liée à l'ex-plantation estimant qu'il ne s'agit là que d'un préjudice éventuel, mais censura toutefois l'arrêt pour n'avoir pas répondu aux conclusions invoquant un préjudice moral. [...]
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