Une lettre de change nulle n'est pas pour autant dénuée de toute valeur juridique. Si par un arrêt du 24 mars 1998, la Cour de cassation rappelle ce principe, elle apporte des précisions sur la possibilité de déduire de cette nullité une délégation de créance.
En l'espèce, une banque prends à l'escompte des lettres de change, ne comportant pas la date de leur création et sans indication d'un quelconque bénéficiaire, qui ont été tirées sur une SNC, laquelle les a acceptées. La SNC s'oppose à la demande de paiement des traites réalisée par le porteur. Ce dernier assigne le tiré en paiement des effets litigieux en prétendant que bien que nuls, les titres emportent délégation de créance à son profit et engage la SNC au profit du porteur. Le tiré s'oppose au paiement des effets en arguant de leur nullité en raison de leur irrégularité et de l'exception d'inexécution de ses obligations par le tireur, en l'espèce de l'exception d'annulation.
Suite à un premier jugement, un appel est interjeté devant une cour d'appel qui rend un arrêt rejetant la prétention du porteur. On peut supposer que l'arrêt considère que les traites étant nulles, le tiré peut opposer une exception d'inexécution des obligations issue du rapport entre le tireur et le tiré à celui qui se prévaut de la promesse de payer née de la nullité des effets.
Le porteur forme un pourvoi en cassation. L'auteur du pourvoi considère que l'acception d'un effet, même irrégulier en raison de l'absence de la date de création des effets, fait naître une délégation de créance au regard de l'article 1275 du Code civil. Dès lors, le délégué ne peut opposer au délégataire les exceptions issues de son rapport juridique avec le délégant. Par conséquent, le délégué ne peut refuser de payer le délégataire en invoquant une exception dont il dispose à l'égard du déléguant.
[...] Si la Cour de cassation confirme la possibilité de déduire de la nullité de la lettre de change une promesse de payer, elle rend possible la délégation de créance. II] la nullité de la lettre de change donnant naissance a une délégation de créance L'apport majeur de l'arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation réserve l'hypothèse dans laquelle le tiré accepteur d'une lettre de change irrégulière (nulle en raison de l'absence d'une mention essentielle) serait engagé comme si le titre était régulier grâce au mécanisme de la délégation de créance Un tel mécanisme, dans la mesure où il produit des effets similaires à l'encontre d'un tiré accepteur d'une lettre de change n'est-il pas dangereux pour le débiteur ? [...]
[...] Par ailleurs, confirmant sa jurisprudence, la Cour de cassation ne dénie pas toute valeur au titre et confirme la possibilité d'une requalification par la technique dite de la conversion par réduction sanction de l'omission d'une mention obligatoire par la nullité de la traite en elle même Si un titre qualifié de lettre de change n'en a pas la valeur en l'absence de certaines des mentions obligatoires . Sur ce point, l'arrêt commenté n'offre aucune innovation et ne fait qu'appliquer l'article L511-1 du Code de commerce selon lequel le titre dans lequel une des énonciations obligatoires fait défaut ne vaut pas comme lettre de change. Il en est ainsi lors de l'absence de signature du tireur (Cass. com nov. 1994) ou en cas de l'absence de date de la création des effets comme c'est le cas en espèce (Cass. com mars 1994). [...]
[...] La Cour de cassation affirme qu'un titre qualifié de lettre de change ne l'est pas en raison de l'absence d'une des mentions obligatoires posées à l'article 110 du Code de commerce, son acceptation par le débiteur désigné constitue une preuve écrite de sa promesse de payer le tireur, voire tout tiers ultérieurement indiqué par lui s'il est établi à son ordre. Par ailleurs, la Cour de cassation considère qu'un tel titre n'entraine pas délégation de créance au profit d'un tel tiers porteur sauf si lors de l'acceptation ce tiers a été désigné. Le débiteur peut donc opposer les exceptions issues dès ses rapports avec le tireur au tiers réclamant patiemment. Le pourvoi est donc rejeté. [...]
[...] C'est-à-dire que si en l'espèce, les conditions pouvant amener à la reconnaissance d'un billet à ordre étaient réunies, les juges auraient requalifié le titre en billet à ordre, et par cela la règle de l'inopposabilité des exceptions aurait survécu à la nullité de la lettre de change. Il faut noter que le débiteur ne peut supporter des obligations plus lourdes que si le titre avait valu comme lettre de change. L'acceptation par le tiré du titre a une certaine incidence. Dans le cas posé par l'arrêt, l'acceptation du tiré ne suffit pas à considérer qu'il a renoncé au bénéfice des exceptions issues de son rapport avec le tireur. L'arrêt commenté fonde implicitement la conversion par réduction sur l'intention des parties. [...]
[...] La lettre de change étant nulle, la Cour de cassation en tire les conséquences et confirme la possibilité de requalifier le titre, requalification qui dépend de certains facteurs. la conversion par réduction: de la lettre de change a la promesse de payer Son acceptation par le débiteur désigné peut être retenue, selon le droit commun, comme preuve écrite de sa promesse de payer le tireur Un titre n'ayant pas la qualité de lettre de change n'est pas pour autant dénué de toute valeur. [...]
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