Une fraude paulienne du débiteur permet à son créancier d'écarter l'opposabilité d'un acte à titre gratuit à travers l'exercice d'une action paulienne. L'arrêt de la 1e chambre civile de la Cour de cassation du 6 février 2008 est venu préciser la portée de cette règle lorsque l'acte à titre gratuit est consenti sur des biens communs par le débiteur et son conjoint.
En l'espèce, en 1991 les époux X mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts ont consenti à leur fils une donation portant sur des biens immobiliers. En 1997 M. X est reconnu coupable d'un délit de complicité d'escroquerie commis en 1989 et condamné à payer diverses sommes à M. Y. Celui-ci attaque la donation consentie par les époux X au motif que cet acte a été fait en fraude de ses droits.
L'action paulienne exercée par M. Y aboutit devant la Cour d'appel de Caen qui en 2006 déclare que la donation lui est inopposable. Les époux X se pourvoient en cassation aux motifs que les conditions de la fraude paulienne n'étaient pas réunies et que l'inopposabilité de l'acte frauduleux ne peut affecter que la donation de M. X et non pas celle de Mme X.
Dans cette affaire la Cour a dû se prononcer sur l'existence d'un acte frauduleux des droits du créancier et répondre à la question de droit suivante : l'inopposabilité d'une donation frauduleuse peut-elle produire ses effets sur la part donnée par l'épouse commune en biens du débiteur?
La Cour de cassation retient que « lorsqu'en fraude des droits de son créancier, un débiteur, époux commun en biens, a passé avec son conjoint un acte portant sur un bien commun qui fait partie du gage du créancier, l'acte est inopposable à celui-ci en son entier ». La Cour confirme donc la solution donnée par la cour d'appel et déclare la donation inopposable à M. Y en rejetant le pourvoi des époux X.
Cet arrêt classique, car respectueux des conditions générales de l'action paulienne, mais inédit, car élargissant les effets de celle-ci, répond à l'interrogation suivante : Quel est le régime d'une action paulienne qui porte sur les actes des époux communs en biens?
[...] L'antériorité de la créance à l'acte attaqué est une condition importante du bien-fondé de l'action paulienne : le créancier doit être titulaire d'un droit de créance au moment où le débiteur conclut l'acte litigieux. Cependant, la jurisprudence n'exige pas que ce soit un droit de créance parfait c'est-à-dire une créance certaine, liquide et exigible. Il suffit d'un principe de créance au moment de l'acte attaqué. En l'espèce M. X n'avait pas encore été condamné pour la complicité du délit d'escroquerie lorsqu'il a consenti la donation à son fils. Mais les agissements délictueux avaient eu lieu deux ans avant la donation. [...]
[...] Or le conjoint du débiteur même de bonne foi ne peut consentir une donation dotée d'une cause illicite. En effet de même que l'acte à titre gratuit est frauduleux du seul fait de la fraude du débiteur, le mobile illicite du disposant suffit à rendre illicite la cause de l'acte à titre gratuit. On écarte l'examen de la bonne foi du conjoint du débiteur, car il est question d'une fraude au droit d'un créancier et non d'une fraude au droit du conjoint, seul cas où ce dernier pourrait prétendre écarter l'inopposabilité de l'acte conclu. [...]
[...] Ainsi, la donation ne rendait pas le débiteur insolvable à l'égard des créanciers inscrits, mais avait néanmoins pour effet de le rendre insolvable à l'égard de M. Y. Celui-ci est donc en droit d'attaquer la donation, s'il arrive à établir qu'elle a été consentie en fraude de son droit. Transition : L'insolvabilité du débiteur au moment de l'acte attaqué ne suffit pas à caractériser la fraude paulienne. Il faut pour cela établir que l'acte a été conclu dans le but de compromettre l'exécution du droit du créancier. [...]
[...] C'est l'article 1413 du Code civil qui permet le recouvrement des dettes de chacun des époux sur les biens communs. La Cour décide d'écarter pleinement les effets de la donation afin d'assurer le rétablissement de l'efficacité du droit du créancier. En effet si le débiteur n'avait pas conclu la donation attaquée, le créancier aurait pu appréhender les biens communs qui en étaient l'objet en vertu de l'article 1413 du Code civil. Ainsi, l'inopposabilité permet au créancier d'agir sur l'objet de la donation comme il aurait pu le faire en l'absence de fraude. [...]
[...] Il suffit s'agissant des actes à titre gratuit d'établir l'intention frauduleuse du débiteur sans rechercher celle du bénéficiaire. En l'espèce M. X ne pouvait ignorer au moment de la donation l'existence du principe de créance de M.Y. Pour retenir l'intention frauduleuse du débiteur, la Cour se réfère au contexte de l'acte : le débiteur savait qu'il était obligé à l'égard de la victime de l'escroquerie au moment où il a conclu la donation. Par ailleurs, l'acte frauduleux est une donation, donc un appauvrissement sans contrepartie. [...]
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