« Le droit cesse où l'abus commence », telle est l'expression qui pourrait traduire la solution pour le moins originale, mais passée plutôt inaperçue, adoptée par la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans un arrêt de rejet en date du 15 janvier 2002.
En l'espèce, la société d'exploitation du garage Schouwer, était concessionnaire exclusif des véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et de Sarreguemines, depuis 1991. Dès l'année 1993, la société France Motors, importateur exclusif de la marque d'automobiles Mazda, refuse, dans un contexte économique difficile dû à la chute des ventes, aggravée par la hausse du yen, de déroger à la clause d'exclusivité, en interdisant au Garage Schouwer de représenter la marque Daewoo pour pallier à ses difficultés financières. Le 11 octobre 1995, quelques mois après que le Garage Schouwer assigne la société France Motors ce dernier est l'objet d'une liquidation judiciaire.
[...] C'est dans ce contexte qu'est née une nouvelle théorie limitant la force obligatoire des contrats et a fortiori la liberté contractuelle : le solidarisme contractuel (ou théorie sociale du contrat auquel l'arrêt donne une véritable illustration. Le devoir de coopération : un bouclier utile contre l'abus de droit Le présent arrêt s'appuie sur la théorie du solidarisme contractuel pour fonder sa solution. En effet, la Cour d'Appel et a fortiori la Cour de cassation reprochent au concédant automobile (la société France Motors) d'avoir fixé radicalement et unilatéralement les conditions de vente à ses concessionnaires, au point que l'un d'entre eux (le Garage Schouwer) fasse l'objet d'une liquidation judiciaire. [...]
[...] De ce fait, la société France Motors était tenue à un devoir de coopération (ou de collaboration), voire d'altruisme vis-à-vis de son cocontractant, d'autant plus qu'elle avait la possibilité matérielle et les moyens financiers d'aider ses concessionnaires à faire face à leurs difficultés, ce qu'elle n'a pas fait. Autrement dit, dans une relation contractuelle de dépendance, tel est le cas en l'espèce, le solidarisme contractuel est a cet égard bénéfique, car il exige que chaque contractant prenne en compte les intérêts légitimes de son cocontractant, au risque de parfois protéger les intérêts d'autrui au détriment des siens. Au contraire en l'espèce, la société France Motors a utilisé le contrat conformément à son intérêt et préféré trahir intentionnellement la confiance suscitée par le Garage Schouwer. [...]
[...] Le titre de l'article de Jacques Mestre D'une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration en date de 1986 est parfaitement approprié, non seulement pour évoquer l'évolution jurisprudentielle, mais également pour démontrer le cheminement par les juges du fond qui a permis aux hauts magistrats d'adopter la solution du présent arrêt, et ainsi faire la transition entre nos deux parties. II- L'application sélective du principe de bonne foi : un rempart discutable contre l'usage abusif d'une prérogative contractuelle Depuis les années 1970, la jurisprudence a opéré une relecture de l'article 1134 du Code civil, afin d'étendre son pouvoir d'interprétation des contrats et par la même commencer à utiliser la notion de bonne foi pour faire ressortir l'exigence de loyauté entre les contractants. [...]
[...] Notons que le refus du concédant de déroger à la clause d'exclusivité n'a pas été examiné par les juges du fond, ni par la haute juridiction, en raison de la primauté accordée au premier moyen. Ainsi la bonne foi renvoie à une double fonction d'interprétation permettant de caractériser l'abus dans la fixation unilatérale des conditions de vente par le concédant : une fonction évaluatrice du comportement d'un des contractants et une fonction d'appréciation des éléments de faits La bonne foi : un outil nécessaire pour caractériser les agissements abusifs d'une partie La bonne foi (ou la loyauté) dont se sont prévalus implicitement les juges pour caractériser un comportement abusif a été pour eux d'une grande aide. [...]
[...] Autrement dit, le but de cette interprétation est d'évaluer la conduite de l'un des contractants pris isolément par rapport à l'exigence générale de bonne foi. En l'espèce, les juges ont considéré qu'au regard de l'exigence de bonne foi, le concédant avait abusé de sa prérogative contractuelle Ici, contrairement à la plupart des cas auxquels la Cour Suprême avait eu affaire jusque-là, l'abus principal ici ne s'applique pas seulement à la fixation unilatérale des prix dans le contrat, mais à l' ensemble de la politique commerciale imposée par le chef de réseau (Jacques Mestre), c'est-à-dire aux conditions de vente Cet abus a résulté, de ce fait, de l'usage excessif par le concédant d'un droit qui lui était favorable, entraînant à son égard un profit illégal, pour cause d'absence d'aide financière à ses concessionnaires en difficulté, alors même qu'il avait la possibilité et les moyens de pallier, en totalité ou du moins en partie, aux difficultés financières de ces derniers. [...]
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