La délégation, visée aux articles 1275 et 1276 du Code civil, est une opération par laquelle le débiteur délégant donne à son créancier délégataire un autre débiteur délégué. La délégation est consacrée par la doctrine comme étant un mécanisme à part entière et ayant un régime juridique propre.
Celle-ci est dite « novatoire » (ou parfaite) lorsque l'obligation du délégué envers le délégataire se substitue complètement à celle du délégant envers le délégataire, et est dite « imparfaite » lorsque l'obligation entre le délégant et le délégataire demeure. Il s'agit donc d'un mécanisme de délégation sans novation. L'arrêt rendu par la chambre commerciale la cour de cassation, le 14 février 2006, met en exergue la particularité de ce mécanisme juridique en se prononçant sur la question des saisies de la créance déléguée.
En l'espèce, une société, la société Elisa demande à sa locataire, la société Antopolis, de payer des loyers commerciaux à la BNP, créancière d'Elisa. Antopolis accepte d'exécuter cette demande sans toute fois renoncer à sa créance contre Elisa. Un arrêt du 1er juin 1999 condamne Elisa à verser à la société immobilière de la Ville de Nice (SIVN), société créancière d'Elisa, le solde du prix de vente des locaux commerciaux qu'elle loue à Antopolis. Pour ce faire, la SIVN fait pratiquer une saisie attribution de la créance existant entre Elisa et Antopolis.
En présence d'une délégation imparfaite, est-il possible pour les créanciers du délégant de se saisir de la créance demeurant entre le délégant et le délégué ?
[...] Les juges de la chambre commerciale de la cour de Cassation prennent position dans ce débat au travers de la solution de leur arrêt en datte du 14 février 2006. En effet, l'arrêt de la chambre commerciale, tout comme celui de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, estime qu'un lien préexistant fondamental existe entre le délégant et son délégué. De plus, ce lien ne s'éteint qu'une fois l'obligation remplie. L'arrêt dispose effectivement : [ ] la créance du délégant sur le délégué ne s'éteint seulement par le fait de l'exécution de la délégation [ ] Un lien préexistant entre le délégant et le délégataire est lui aussi nécessaire A la réalisation de la délégation. [...]
[...] C'est pourquoi la cour de Cassation rejette le pourvoi formé par la SIVN. L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la cour de Cassation est un arrêt intéressant en ce qu'il traite de ce mécanisme atypique qu'est la délégation qu'il définit comme étant une garantie pour le créancier L'importance de cet arrêt réside également dans le fait que ce dernier apporte de nombreuses questions laissées en suspend aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence (II). La délégation imparfaite au profit du créancier La délégation est un mécanisme assez peu connu en droit des obligations. [...]
[...] Ce mécanisme de délégation imparfaite confère au créancier une plus grande garantie de paiement. En plus d'assurer au créancier une double sécurité de paiement, la délégation imparfaite lui consacre un droit exclusif de paiement lequel ne peut être mis en concurrence avec la demande de paiement des créanciers de son débiteur délégant. La consécration du principe visant en l'interdiction de la saisie attribution par les créanciers du délégant Les juges de la chambre commerciale de la cour de Cassation consacrent, dans leur arrêt du 14 février 2006, le principe suivant lequel : La saisie attribution effectuée entre les mains du délégué par le créancier du délégant ne peut [ ] priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué [ ] L'arrêt précise que le droit exclusif du délégataire de recevoir son paiement est sans concours avec le créancier saisissant Autrement dit, la délégation imparfaite confère un statut privilégié au délégataire car il est le seul à pouvoir bénéficier de la créance existant entre délégant et délégué, quand bien même le créancier du délégant voudrait s'en saisir pour être lui aussi payé. [...]
[...] En effet, l'article 1165 du Code civil dispose que les contrats conclus entre les parties n'ont aucun effet sur les tiers. En l'espèce, il convient donc de considérer les créanciers du délégant comme étant des tiers au contrat de délégation conclu uniquement entre la société Elisa, délégante, la société Antopolis, déléguée et la BNP, délégataire. Il parait normal que seul le créancier du contrat soit le bénéficiaire de la créance. La délégation imparfaite fait demeurer la créance entre délégant et délégué tout en la protégeant des saisies attribution extérieures garantissant une double garantie sécuritaire pour le délégataire qui, tant qu'il n'a pas reçu son paiement, garde tenus envers lui les deux débiteurs délégant et délégué et profite d'un droit exclusif de paiement ne pouvant en aucune façon être déjoué par les créanciers de l'un de ses débiteurs. [...]
[...] La chambre commerciale de la cour de Cassation, dans son arrêt du 14 février 2006, répond à cette question par la négative et entérine la solution dégagée par les juges de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle estime effectivement que la créance existant entre le délégué et le délégant ne s'éteint qu'une fois la délégation exécutée. Avant que le délégué ne remplisse son obligation envers le délégataire, il est impossible pour le délégant ainsi que pour ses créanciers, d'exiger le moindre paiement et par là même, il est impossible que les créanciers du délégant se saisissent de la créance du délégué envers le délégataire. [...]
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