« Il faudra sans doute, tôt ou tard, que l'on puisse mettre en cause la responsabilité personnelle des administrateurs et qu'ils aient à participer à l'indemnisation des victimes. Ce sera la manière la plus efficace de les responsabiliser. »
Cette citation de Monsieur J-F BURGELIN, Procureur général auprès de la Cour de Cassation, résume l'enjeu actuel autour de la responsabilité civile des dirigeants : trouver un juste équilibre entre leur déresponsabilisation destinée à favoriser leur esprit d'initiative et le droit des tiers à obtenir réparation de leur préjudice.
En théorie, la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux à l'égard des tiers ne devrait poser aucun problème, puisqu'elle est expressément posée par la loi. En effet, outre la responsabilité civile de droit commun qui concerne le dirigeant pour les fautes qu'il commet en dehors de ses fonctions, la loi de 1966 sur les sociétés commerciales prévoit également un régime spécifique de responsabilité civile du mandataire social.
En effet, le Code de commerce (dans l'article L. 223-22 pour le gérant de SARL et l'article L. 225-251 pour les administrateurs et le Directeur général de SA) pose le principe de la responsabilité civile des mandataires sociaux à l'égard des tiers, pour les infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés, les violations des statuts, ou encore pour les fautes commises dans leur gestion.
Malgré cela, la pratique a abouti à une irresponsabilité de fait des dirigeants. En effet, le législateur est resté timide en la matière et la jurisprudence a longtemps été réticente à sanctionner la faute du dirigeant. Ceci s'explique d'une part par l'existence d'un mandat social et d'autre part par l'écran que forme la personne morale. Ainsi, en vertu de l'effet relatif des conventions, le dirigeant ne se trouve pas engagé vis-à-vis des tiers, puisqu'il agit au nom et pour le compte de la société.
Aussi, pour mettre en jeu la responsabilité civile du dirigeant, la jurisprudence exige-t-elle de la part des tiers de prouver le caractère détachable de la faute commise.
Cette exigence s'inspire du droit administratif qui distingue la faute de service et la faute personnelle ou détachable du service pour la mise en jeu de la responsabilité personnelle des agents publics. La situation des dirigeants est également souvent comparée à celle des préposés, responsables personnellement s'ils agissent en dehors de leurs fonctions.
Cependant malgré les scandales financiers qui ont pu éclater en France et aux Etats-Unis, occasionnant ainsi une crise de confiance envers les dirigeants de sociétés, la faute détachable est longtemps restée « introuvable ».
En effet, la jurisprudence a longtemps hésité avant de dégager des critères pour caractériser la faute détachable (I) et même encore, malgré une avancée importante en la matière, des critiques subsistent quant à la portée de cette définition (II).
[...] Or, les fautes commises par les mandataires sociaux ne sont pas toutes pénalement sanctionnables. De ce fait, le recours au procès pénal par les tiers ne peut être systématique. D'ailleurs, si tel était le cas, le débat sur les conséquences de la faute détachable n'existerait pas. Cour de cassation, chambre commerciale novembre 1961, J.C.P II note J.R., R.T.D. Com note Rodière ; Cour de cassation chambre commerciale mars 1971, Bull. civ. IV, no 81 ; Cour de cassation 3e chambre civile mars 1973, Rev. [...]
[...] En effet, le dernier critère, soit l'incompatibilité avec l'exercice normal des fonctions sociales, semble ne viser qu'à souligner l'exigence d'une faute particulièrement grave. Il peut également être vu comme la conséquence logique de la réunion d'une faute intentionnelle et d'une particulière gravité. En outre, s'il s'agissait d'un critère indépendant, il pourrait alors exister une faute intentionnelle particulièrement grave qui serait compatible avec l'exercice normal des fonctions de dirigeant et qui ne serait donc pas séparable, ce qui serait pour le moins étonnant. [...]
[...] La responsabilité personnelle des dirigeants ne fût toujours qu'exceptionnellement retenue. Face à cette jurisprudence frileuse et aux tentatives infructueuses de la Cour de cassation d'éclaircir la notion, seule la Cour d'appel d'Aix en Provence s'est risquée à une définition dans une décision du 20 septembre 2000[5]. On peut considérer que cet arrêt marque les balbutiements d'une définition. Pour les juges, la faute du gérant pouvait être retenue dès lors qu'elle était détachable des fonctions c'est-à-dire que celui-ci menait une activité étrangère à l'objet social. [...]
[...] Néanmoins, la doctrine considère qu'un régime similaire à celui des mandataires salariés peut leur être appliqué. En tout état de cause, il s'agit bien en l'espèce d'un autre moyen de protection des dirigeants, qui ne permet non pas d'éviter la mise en œuvre de leur responsabilité, mais d'en limiter les conséquences. Ainsi, dans l'hypothèse où l'on parviendrait à démontrer la responsabilité du dirigeant en dépit de la difficulté de mise en œuvre d'une telle action par un tiers, le mandataire social en cause n'aura même pas à subir les conséquences pécuniaires de ses actes du fait du mécanisme d'assurance instauré. [...]
[...] Il fait donc coup double en admettant la faute détachable et en en donnant une définition. Il marque également un coup d'arrêt de la jurisprudence précédente, remettant en cause l'irresponsabilité de fait qui s'était imposé aux tiers. Vers la restauration de la responsabilité du dirigeant à l'égard des tiers : ébauche d'un critère jurisprudentiel Dans son arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation donne donc une définition de la faute détachable des fonctions de dirigeant, et pose ainsi trois critères servant à caractériser cette faute. [...]
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