La lettre d'intention est une création de la pratique contractuelle. Ce document est le plus souvent souscrit par une société mère au profit de sa filiale pour lui faciliter l'obtention de crédits ; l'auteur de la lettre peut se contenter de recommander la filiale à son interlocuteur, mais il peut également prendre des engagements de nature et de portée variables.
C'est cette diversité de lettres tend à expliquer l'important contentieux en la matière, notamment en raison de l'incertitude liée à la nature de l'obligation stipulée.
C'est d'ailleurs ce que rappelle la Chambre commerciale dans un arrêt important rendu le 9 juillet 2002 (arrêt d'ailleurs publié au Bulletin civil).
En l'espèce par acte notarié du 30 juin 1983, la Société Lordex consentit à la société SMS un prêt remboursable en douze annuités garanti par une hypothèque. Peu après, la SMS demanda à la société Lordex de consentir à la mainlevée de l'hypothèque en contrepartie de la délivrance, par sa société-mère, la société La Rhénane, d'une lettre de confort. Ce qui fut fait.
Aux termes de cette lettre, la société signataire (La Rhénane) s'engageait envers le créancier, écrivant : "Dans le cadre de la restructuration de notre filiale, la SA SMS-Bove à Saint-Louis ... nous vous confirmons, étant donné les liens qui nous unissent à cette société, que nous veillerons, à compter de ce jour, au bon déroulement de cette opération et que nous ferons, envers vous, le nécessaire pour la mener à bonne fin». La SMS honorât les échéances du prêt jusqu'en février 1993, puis fut mise en redressement judiciaire le 16 avril 1996. La société mère refusa de payer à sa place et la société Lordex l'assigna en remboursement du solde du prêt ainsi que divers accessoires.
La Cour d'appel de Colmar débouta la société Lordex de cette demande. Les juges du fond jugèrent que l'engagement pris par la signataire de la lettre d'intention n'était pas un cautionnement, d'une part, et qu'il était constitutif d'une obligation de moyens, d'autre part. La société Lordex forma un pourvoi en cassation. Dans la première branche du moyen, elle demandait à la Cour de cassation de requalifier la lettre en cautionnement.
Dans la seconde branche du moyen, elle demandait, à défaut de requalification de la lettre en contrat de cautionnement, de voir reconnue une obligation de résultat lui permettant d'obtenir réparation en cas de non-remboursement de la part de la filiale.
Il était donc demandé aux juges de la Cour de cassation de se prononcer à la fois sur la qualification de l'acte contesté, mais aussi sur la nature de l'obligation pouvant en résulter. Les deux problèmes étaient les suivants :
Une lettre d'intention peut-elle être requalifiée judiciairement en contrat de cautionnement ? Quelle est la nature de l'obligation pouvant résulter d'une lettre d'intention ? En d'autres termes, s'agissait-il, en l'espèce, d'une obligation de résultat ou de moyens ?
[...] Cependant la demande de requalification en l'espèce avait un intérêt assez particulier que l'on peut souligner. L'intérêt spécifique de la qualification en cas de redressement ou de liquidation judiciaire Signalons que la différence de qualification acquiert une importance considérable lorsque la filiale débitrice est en état de cessation des paiements et fait l'objet d'une procédure collective comme en l'espèce. La situation varie donc selon que la société mère a consenti un cautionnement ou une lettre d'intention. Le caractère accessoire du contrat de cautionnement /L'opposabilité par la caution du défaut de déclaration de la créance Lorsque la société mère a consenti un cautionnement, l'omission pour le créancier de déclarer sa créance dans les deux mois à la procédure collective ouverte contre la filiale (débitrice principale) entraîne la perte de la créance : par conséquent la banque ne peut plus recouvrer sa créance ni contre sa filiale ni contre la société mère caution (c'est le principe de l'accessoire. [...]
[...] II La portée de l'engagement de la société mère C'est sur cette seconde question (deuxième branche du moyen) que la cour casse l'arrêt. De plus celle-ci revêt une très grande importance car la cour de cassation reconnaît une lettre d'intention comme génératrice d'une obligation de résultat (mettant plus ou moins fin à des remous jurisprudentiels fréquents) Toutefois on peut se demander si cette solution est vraiment adaptée La reconnaissance d'une lettre d'intention génératrice d'une obligation de résultat La clarification d'une jurisprudence incertaine La jurisprudence antérieure de la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait semblé écarter la possibilité qu'une lettre d'intention puisse donner naissance à une obligation de résultat de faire (c'est-à-dire impliquant un comportement déterminé de la part du signataire de la lettre plutôt que de se substituer au débiteur défaillant.)Ce qui signifiait que soit le signataire s'engageait à payer au lieu et place du débiteur, soit la lettre ne générait qu'une simple obligation de moyens. [...]
[...] Une partie de la doctrine (dont Rémy Libchaber, Ph. Rémy ) souligne qu'il s'agit d'un facteur de complication inutile. Cependant l'intérêt de cette distinction peut être expliquée par la nécessité pour le créancier bénéficiaire de prouver ou non la faute de la société mère, en cas d'inexécution de l'engagement. En effet, en présence d'une obligation de résultat, le créancier peut obtenir l'indemnisation de son préjudice au regard seulement de l'absence de paiement ; s'agissant d'une obligation de moyens il doit impérativement rapporter la preuve de la faute de la société garante, afin d'obtenir un quelconque dédommagement. [...]
[...] Dans la première branche du moyen, elle demandait à la Cour de cassation de requalifier la lettre en cautionnement. Dans la seconde branche du moyen, elle demandait, à défaut de requalification de la lettre en contrat de cautionnement, de voir reconnue une obligation de résultat lui permettant d'obtenir réparation en cas de non-remboursement de la part de la filiale. Il était donc demandé aux juges de la Cour de cassation de se prononcer à la fois sur la qualification de l'acte contesté, mais aussi sur la nature de l'obligation pouvant en résulter. [...]
[...] Une partie de la doctrine (Laurent Aynes, Alain Lienhard) avait vu dans cette décision le signe d'un changement de cap par rapport à la jurisprudence Sony. Cependant l'interprétation de cet arrêt était particulièrement difficile. La Cour de cassation ne s'était pas prononcée de manière extrêmement précise en cette occasion, pouvant laisser croire que la lettre d'intention souscrite en l'espèce donnait en réalité naissance à un cautionnement. Poursuivant cette évolution, la chambre commerciale fait donc oeuvre de clarification puisque, tout en approuvant expressément la cour d'appel d'avoir écarté la qualification de cautionnement, elle censure l'arrêt attaqué en ce qu'il avait retenu que la garantie consentie par la société anonyme générait une obligation de moyens :la société signataire de la «lettre de confort n'avait pas souscrit un engagement de cautionnement mais elle avait pris l'engagement de faire le nécessaire envers [le créancier] pour mener l'opération [garantie] à bonne fin, ce dont il résultait qu'elle s'était engagée à un tel résultat Il y a donc à nouveau place, en l'état actuel de la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, pour la lettre d'intention donnant naissance à une obligation de résultat autre que l'engagement de se substituer au débiteur défaillant. [...]
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