«Attendu que l'action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas où le patrimoine d'une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d'une autre personne, celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat, d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit ». Rien ne pouvait mieux résumer en si peu de mots la définition de l'enrichissement sans cause que cet attendu de solution de l'arrêt de la chambre civile de la Cour de Cassation dit « Patureau-Boudier » en date du 2 mars 1915.
Dans l'affaire en cause, les époux X ont émis au profit de la Société Finalion un chèque d'une valeur de 140 025 francs en remboursement anticipé d'un prêt. Le Crédit Lyonnais, banque de la société Finalion, après avoir crédité le compte de sa cliente, n'a pu présenter le chèque en paiement à la banque des époux X, ayant égaré le chèque en question.
Il a donc assigné les époux X en paiement de la somme précitée sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
La Cour d'Appel de Reims, dans un arrêt en date du 6 mai 2004, rejette la demande du Crédit Lyonnais, au motif qu'ayant égaré le chèque litigieux, il a commis une « faute lourde de négligence », le privant du bénéfice de l'action fondée sur l'enrichissement sans cause. Le Crédit Lyonnais forme alors un pourvoi en cassation.
Le problème qui se pose ici est le suivant : Quelle est la nature de la faute de l'appauvri susceptible de le priver du bénéfice de l'action de in rem verso ?
La Cour de Cassation édicte ici une décision sans appel : « Vu l'article 1371 du code civil et les principes qui régissent l'enrichissement sans cause ; attendu que le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui ; Qu'en se déterminant ainsi, quand la seule faute commise par la banque est la perte du chèque, laquelle, en dépit de sa découverte tardive, ne constituait pas une faute lourde au regard de l'enrichissement sans cause, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ».
Le Cour de cassation réaffirme donc ici une summa divisio entre la faute lourde et la faute de négligence (I). Pour autant, elle ne se penche que très peu sur le contenu de ces notions, laissant ce soin à l'appréciation des juges du fond (II).
[...] Cette décision semble être encore une fois en faveur de l'appauvri, qui se voit protégé même si son appauvrissement est dû à une faute légère de sa part. II. L'imposition d'une summa divisio, ou l'insuffisante et critiquable définition de son contenu Si la notion de faute susceptible d'écarter ou non l'action fondée sur l'enrichissement sans cause est aujourd'hui clairement définie, il reste certaines lacunes quant à son contenu De plus, l'acceptation d'une quelconque faute de négligence du banquier paraît contradictoire avec les multiples obligations de vigilance qui lui incombent en tant que professionnel A. [...]
[...] Doit-on faire la distinction entre les deux ? Et dans l'affirmative, doit-on l'assimiler plutôt à la faute lourde, ou à la faute de négligence ? La tendance actuelle favorable à l'appauvri serait plutôt à l'assimilation de la faute grave à la faute de négligence pour permettre à l'appauvri de se retourner contre l'enrichi. Autant d'interrogations auxquelles la Cour ne répond pas, laissant le soin aux juges du fond de déterminer sur quels critères se baser pour qualifier la faute lourde et la faute de négligence. [...]
[...] L'imposition d'une summa divisio, ou l'impact de la nature de la faute Face aux incertitudes de la Cour d'appel, la Cour de cassation a ressenti le besoin de réaffirmer la nature de la faute susceptible d'écarter l'action de in rem verso en résumant en une seule décision la jurisprudence mise en place depuis la fin des années quatre-vingt-dix Une distinction entre faute lourde et faute de négligence affirmée Pour que l'action de in rem verso soit fondée, il faut nécessairement que l'enrichissement ne soit pas causé. Les causes de l'enrichissement sont diverses, et peuvent aller de la disposition légale, au contrat entre l'enrichi et l'appauvri, en passant par l'intérêt de l'appauvri. Traditionnellement, la faute de l'appauvri quelle qu'elle soit était considérée comme une cause de l'enrichissement, qui le privait de tout recours sur ce fondement. [...]
[...] Etait-ce un signe adressé à la Haute Juridiction pour l'inciter à clarifier le contenu de ces deux notions ? La Cour de cassation quant à elle effectue une mise au point sur sa jurisprudence de 1997 et 1998, en l'unifiant dans une seule décision. Dans la solution de droit, elle rappelle le fondement du code civil, et réaffirme que le fait d'avoir commis une faute d'imprudence ou de négligence ne prive pas l'appauvri de l'action de in rem verso. Dans la solution de fait, elle précise que le fait d'avoir égaré le chèque n'est pas pour elle une faute lourde, cause légitime de l'enrichissement. [...]
[...] Cette solution est d'autant plus étonnante que depuis quelques années, la responsabilité du banquier ne cesse de s'accroître, notamment au travers de son obligation de mise en garde, dans laquelle il se doit d'alerter son client, de vérifier les capacités financières de celui-ci, notamment en situation de contrat de prêt. (jurisprudence du 12 juillet 2005 pour la première chambre civile, et du 3 mai 2006 pour la chambre commerciale). De plus, la Cour a d'habitude une tendance consumériste, à travers laquelle elle tranche le plus souvent en faveur des consommateurs. Ici, elle privilégie le banquier par rapport au consommateur. Néanmoins, cette solution semble basée sur l'équité, puisqu'il est normal que le Crédit Lyonnais puisse se faire payer d'une somme qu'il a crédité au compte d'une de ses clientes. [...]
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