Les opérations portant sur le capital, essentielles à la vie des sociétés de capitaux, ont pour objectif d'assurer le financement de l'activité sociale tout en aménageant le pouvoir au sein des sociétés. Or, en utilisant les techniques les plus diverses, parfois en marge des prévisions légales sans pour autant être illégitimes, ces opérations suscitent une attention particulière de la part des investisseurs. Elles donnent lieu aujourd'hui à un contentieux croissant, émanant bien souvent d'actionnaires minoritaires qui s'estiment lésés par des décisions qu'ils jugent contraires à leurs intérêts financiers.
Etait en cause ici la restructuration, dans le cadre de la procédure de règlement amiable régie par la loi du 1er mars 1984, de la société anonyme l'Amy. En l'espèce, cette dernière, société spécialisée dans la fabrication de montures de lunettes et ayant de sérieuses difficultés financières, avait décidé, dans le cadre d'un protocole d'accord signé en 1994, d'une réduction de capital à zéro et d'une augmentation de capital corrélative, avec suppression du droit préférentiel de souscription au profit d'une société tierce du même secteur, la société KLG. Les décisions demandées ont fait l'objet d'une série de résolutions votées par l'assemblée générale extraordinaire en application d'accords passés avec les banques créancières quant aux conditions de renflouement de la société l'Amy. Or, s'estimant exclus de manière illégitime, certains actionnaires minoritaires, directement et par l'intermédiaire de l'association ADAM, ont alors assigné la société l'Amy afin qu'elle soit condamnée à réparer le préjudice subi du fait de cette exclusion. Après avoir été autorisés à plaider au fond par la Cour d'appel de Besançon ayant infirmé le jugement de premier instance qui les avait déclarés irrecevables à agir, ces actionnaires se sont finalement vus déboutés (CA Besançon, 2 déc. 1998) et se sont donc pourvus en Cassation.
Les minoritaires reprochent d'abord à la Cour d'appel d'avoir confondu l'intérêt social et l'intérêt commun des associés et d'avoir ainsi déduit la conformité à l'intérêt commun de la seule conformité à l'intérêt social. Puis, considérant qu'ils avaient été exclus contre leur gré du fait de leur suppression du droit préférentiel de souscription, ces mêmes minoritaires soutiennent qu'il s'agit là d'une mesure d'expropriation pour cause d'utilité privée non assortie d'indemnisation, caractérisant une augmentation de leurs engagements. De ce fait, la Cour d'appel aurait selon eux respectivement violé les articles 1833 et 545 du Code Civil. Enfin, se contentant d'affirmer de façon abstraite et générale que l'opération concernée aurait été conforme aux règles légales, la Cour d'appel aurait privé sa décision de motifs et ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.
Le problème posé à la Cour de Cassation était donc double : déterminer si une « opération de coup d'accordéon » préserve tant l'intérêt social que l'intérêt commun des associés. Puis, dans un deuxième temps, affiner cette analyse en précisant si cette opération, conjuguée à la suppression du droit préférentiel de souscription pour les actionnaires, n'est pas de nature à constituer une expropriation pour cause d'intérêt privé voire une augmentation des engagements des actionnaires.
La Cour de cassation, dans un arrêt de rejet en date du 18 juin 2002, réponds aux deux principales interrogations soulevées par le pourvoi, à savoir la conformité à l'intérêt social et à l'intérêt commun des associés ainsi que l'absence d'expropriation pour cause d'intérêt privé. En effet, par une affirmation réitérée par deux fois selon laquelle l'opération litigieuse a été effectuée afin de préserver la pérennité de l'entreprise sans cela condamnée au dépôt de bilan et ce, sans nuire aux actionnaires minoritaires (les actionnaires majoritaires subissant par ailleurs le même sort), la Cour de cassation n'attache dans cette décision aucune importance au maintien ou à la suppression du droit préférentiel de souscription. Ainsi, dès lors qu'elle se justifie sur le terrain économique en préservant la pérennité de l'entreprise, l'opération de « coup d'accordéon » est considérée comme licite.
Il s'agira donc pour la Cour de Cassation, dans un souci de pérennisation financière de l'entreprise, de considérer ce type d'opération comme justifiée, préservant l'intérêt social comme l'intérêt commun des associés (I), tout en ne portant pas atteinte aux droits individuels inhérents à la personne de l'actionnaire et ce, nonobstant la suppression de leur droit préférentiel de souscription (II).
[...] Les minoritaires reprochent d'abord à la Cour d'appel d'avoir confondu l'intérêt social et l'intérêt commun des associés et d'avoir ainsi déduit la conformité à l'intérêt commun de la seule conformité à l'intérêt social. Puis, considérant qu'ils avaient été exclus contre leur gré du fait de leur suppression du droit préférentiel de souscription, ces mêmes minoritaires soutiennent qu'il s'agit là d'une mesure d'expropriation pour cause d'utilité privée non assortie d'indemnisation, caractérisant une augmentation de leurs engagements. De ce fait, la Cour d'appel aurait selon eux respectivement violé les articles 1833 et 545 du Code Civil. [...]
[...] com mars 1989) ou d'une aggravation de l'obligation à la dette (Cass. com oct. 1999). Or, les opérations de coup d'accordéon ne sont sujettes à aucune de ces deux obligations. Il n'existe aucun apport supplémentaire obligatoire : la suppression du droit préférentiel de souscription empêche tout apport supplémentaire des actionnaires en place. Par ailleurs, le maintien de ce droit préférentiel de souscription conduit à une conclusion similaire, les actionnaires disposant d'une simple faculté de souscrire et non d'une obligation. [...]
[...] Si, dans un premier temps, il a pu y avoir des réserves, elles ont été rapidement levées. En effet, le coup d'accordéon a pu précédemment être validé au regard de l'intérêt social par la Cour de cassation. Dans l'arrêt Usinor de 1994 (Cass., com mai 1994), la Haute juridiction approuve la Cour d'appel d'avoir pu déduire de la nécessité de reconstituer les fonds propres et du refus de dissoudre la société que la survie de celle-ci légitimait la réduction de son capital à zéro, sous la condition suspensive d'une augmentation de capital destinée à amener celui-ci au montant légal Par ailleurs, dans une décision plus récente (Cass. [...]
[...] En cela, la justification avancée par la Cours de Cassation (de la contribution aux pertes) peut paraître insuffisante : il y a bien expropriation des actionnaires sans indemnité du fait de la situation financière largement obérée de la société. Cette expropriation se justifie non par l'intérêt général mais par l'intérêt social ou, en termes plus économiques, la préservation de la pérennité de l'entreprise. Le droit de propriété, pourtant reconnu comme un droit fondamental à valeur constitutionnelle (Cons. const janv. 1982), se trouve donc quelque peu contesté. A cet égard, l'exigence du maintien du droit préférentiel de souscription aurait été plus protectrice du droit de propriété. [...]
[...] Cour de Cassation, Chambre commerciale du 18 juin 2002 Les opérations portant sur le capital, essentielles à la vie des sociétés de capitaux, ont pour objectif d'assurer le financement de l'activité sociale tout en aménageant le pouvoir au sein des sociétés. Or, en utilisant les techniques les plus diverses, parfois en marge des prévisions légales sans pour autant être illégitimes, ces opérations suscitent une attention particulière de la part des investisseurs. Elles donnent lieu aujourd'hui à un contentieux croissant, émanant bien souvent d'actionnaires minoritaires qui s'estiment lésés par des décisions qu'ils jugent contraires à leurs intérêts financiers. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture